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racines

Personne n’est la patrie. Même pas le haut cavalier

qui dans l’aube d’une place déserte

régit un coursier de bronze le long du temps

(…)

Personne n’est la patrie. Même pas les symboles.

Personne n’est la patrie. Même pas le temps

chargé de batailles, d’épées et d’exodes

et du lent peuplement de ces régions

(…)

La patrie, mes amis, c’est un acte perpétuel

comme le perpétuel univers (si l’Eternel

Spectateur cessait de nous rêver

un seul instant, nous serions foudroyés

par le blanc et soudain éclair de son oubli)



Personne n’est la patrie, mais nous devons tous être dignes

de ces anciens gentilhommes qui jurèrent

qu’ils seraient ce qu’ils ignoraient, des Argentins,

(…)

Nous sommes l’avenir

De ces vaillants, la justification

de ces morts. Sauvons-les, assumons cette charge

de gloire que lèguent ces ombres à notre ombre.



Personne n’est la patrie, mais nous le sommes tous.

Que dans mon cœur et dans le vôtre, incessamment

brûle la limpide flamme mystérieuse.


 

 

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Oda escrita, 1966, extraits. In "L’autre, le même". Pour célébrer le cent-cinquantenaire de l’indépendance de l’Argentine, traduction Ibarra

[ poème ] [ nation ] [ continuité ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

errance

Il n’y a pas deux collines identiques mais partout sur la terre la plaine est la même. Et je marchais par un chemin de plaine. Je me demandai, sans y attacher trop d’importance, si j’étais dans l’Oklahoma ou au Texas, ou bien dans la région qu’en littérature on appelle la pampa. Pas plus à droite qu’à gauche je ne vis la moindre clôture. Une fois de plus je répétai lentement ces vers d’Emilio Oribe :

Au milieu de l’interminable plaine panique

Là-bas près du Brésil,

qui vont croissant et s’amplifiant. Le chemin était défoncé. La pluie se mit à tomber. A quelque deux ou trois cents mètres j’aperçus la lumière d’une habitation. C’était une maison basse et rectangulaire, entourée d’arbres. L’homme qui m’ouvrit la porte était si grand qu’il me fit presque peur. Il était vêtu de gris. J’eus l’impression qu’il attendait quelqu’un. Il n’y avait pas de serrure à la porte. Nous entrâmes dans une vaste pièce aux murs de bois. Du plafond pendait une lampe qui répandait une lumière jaunâtre. La table avait je ne sais quoi de surprenant. Il y avait sur cette table une horloge à eau, comme je n’en avais jamais vu que sur quelque gravure ancienne. 



 

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Le livre de sable, "Utopie d'un homme qui est fatigué". Incipit

[ étrangeté ] [ steppe ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

égocentrisme

Wordsworth lui-même était resté précocément orphelin, mais avec les moyens de se consacrer uniquement à la littérature - la poésie et parfois la prose. C'était un homme très vaniteux et très dur. Je crois qu'Emerson raconte qu'un jour il lui rendit visite et qu'il fit une remarque. Wordsworth la réfuta aussitôt - c'était son habitude : il suffisait qu'on lui dise une chose pour qu'il soutienne le contraire -, mais au bout de dix minutes ou d'un quart d'heure il émit exactement l'opinion qu'il avait jugée absurde dans la bouche d'Emerson. Celui-ci, avec la plus grand politesse, lui dit : "Eh bien, c'est exactement ce que je disais tout à l'heure." Alors, au comble de l'indignation, Wordsworth s'écria : "Mine, mine, not yours !" "C'est de moi, de moi, pas de vous !" L'autre comprit qu'il n'était pas possible de discuter avec un homme d'un tel caractère. Qui plus est, comme tous les poétes qui professent une théorie et qui en sont convaincus, il en arriva à considérer que toute poésie qui était conforme à sa théorie était acceptable. Voilà pourquoi l'oeuvre de Wordsworth est, comme celle de Milton, une des plus inégales de toute la littérature. On trouve des poèmes dont la mélodie, la passion sincère, la simplicité sont incomparables. Mais aussi de vastes étendues désertiques.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: In "Cours de littérature anglaise", éd. Seuil, p. 174-175

[ jugement littéraire ] [ anecdote ]

 

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Ajouté à la BD par Benslama

animal chimérique

Le domaine du "Squonk" est très limité. En dehors de la Pennsylvanie, peu de gens ont entendu parler de lui, bien qu'on dise qu'il soit assez commun dans les champs de ciguë de cet Etat. Le "Squonk" est très sauvage ; généralement il voyage à l'heure du crépuscule. Sa peau, qui est couverte de verrues et de grains de beauté, ne lui sied pas bien ; les connaisseurs les plus avertis déclarent qu'il est le plus malheureux de tous les animaux. Suivre sa piste est facile, car il pleure tout le temps et il laisse une trace de larmes. Quand on le traque et qu'il ne peut pas fuir ou quand on le surprend et qu'on lui fait peur, il fond en larmes. Les chasseurs de "Squonks" ont plus de succès les nuits de froid et de lune, alors que les larmes tombent lentement et que l'animal n'aime pas bouger ; ses pleurs s'entendent sous les branches des obscurs arbustes de ciguë.
M.J.P. Wentling, ancien habitant de Pennsylvanie, maintenant établi à St. Anthony Park, Minnesota, eut une triste expérience avec un "Squonk" près de Monte Alto. Il avait imité les pleurs du "Squonk" et il l'avait amené à se fourrer dans un sac qu'il rapportait chez lui, quand tout à coup le poids s'allégea et les pleurs cessèrent. Wentling ouvrit le sac ; il ne restait que des larmes et des bulles.
WILLIAM T. COX,
Fearsome Creatures of the Lumberwoods,
Washington, 1910

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: In "Le livre des êtres imaginaires", L'imaginaire/Gallimard, p. 207-208 - ce récit est présenté par Borgès comme n'étant pas de lui, mais d'un certain "william t. fox", référence qui semble d'ailleurs fondée...

[ métamorphose ] [ pathétique ] [ citation ]

 

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Ajouté à la BD par Benslama

derniers instants

Le peloton se forma et se mit au garde-à-vous. Hladik, debout contre le mur de la caserne, attendit la décharge. Quelqu'un craignit que le mur ne fût tâché de sang ; alors on ordonna au condamné d'avancer de quelques pas. Hladik, absurdement, se rappela les hésitations préliminaires des photographes. Une lourde goutte de pluie frôla une des tempes de Hladik et roula lentement sur sa joue ; le sergent vociféra l'ordre final.

L'univers physique s'arrêta.

Les armes convergeaient sur Hladik, mais les hommes qui allaient le tuer étaient immobiles. Le bras du sergent éternisait un geste inachevé. Sur une dalle de la cour une abeille projetait une ombre fixe. Le vent avait cessé, comme dans un tableau. Hladik essaya un cri, une syllabe, la torsion d'une main. Il comprit qu'il était paralysé. Il ne recevait pas la plus légère rumeur du monde figé. Il pensa je suis en enfer, je suis mort. Il pensa je suis fou. Il pensa le temps s'est arrêté. Puis il réfléchit : dans ce cas, sa pensée se serait arrêtée. Il voulut la mettre à l'épreuve : il récita (sans remuer les lèvres) la mystérieuse quatrième églogue de Virgile. Il imagina que les soldats déjà lointains partageaient son angoisse ; il désira communiquer avec eux. Il s'étonna de n'éprouver aucune fatigue, pas même le vertige de sa longue immobilité. Il s'endormit, au bout d'un temps indéterminé. Quand il s'éveilla, le monde était toujours immobile et sourd. La goutte d'eau était toujours sur sa joue ; dans la cour, l'ombre de l'abeille ; la fumée de la cigarette qu'il avait jetée n'en finissait pas de se dissiper. Un autre "jour" passa avant que Hladik eût comprit.


Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Fictions, Le Miracle secret, pp.155-156, trad. P .Verdevoye

[ immobilisation temporelle ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

arrivée

Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s’enfoncer dans la fange sacrée, mais, quelques jours plus tard, nul n’ignorait que l’homme taciturne venait du Sud et qu’il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n’est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare. Ce qu’il y a de certain c’est que l’homme gris baisa la fange, monta sur la rive sans écarter (probablement sans sentir) les roseaux qui lui lacéraient la peau et se traîna, étourdi et ensanglanté, jusqu’à l’enceinte circulaire surmontée d’un tigre ou d’un cheval de pierre, autrefois couleur de feu et maintenant couleur de cendre. Cette enceinte est un temple dévoré par les incendies anciens et profané par la forêt paludéenne, dont le dieu ne reçoit pas les honneurs des hommes. L’étranger s’allongea contre le piédestal. Le soleil haut l’éveilla. Il constata sans étonnement que ses blessures s’étaient cicatrisées ; il ferma ses yeux pâles et s’endormit, non par faiblesse de la chair mais par décision de la volonté. Il savait que ce temple était le lieu requis pour son invincible dessein ; il savait que les arbres incessants n’avaient pas réussi à étrangler, en aval, les ruines d’un autre temple propice, aux dieux incendiés et morts également ; il savait que son devoir immédiat était de dormir. Vers minuit, il fut réveillé par le cri inconsolable d’un oiseau. Des traces de pieds nus, des figues et une cruche l’avertirent que les hommes de la région avaient épié respectueusement son sommeil et sollicitaient sa protection ou craignaient sa magie. Il sentit le froid de la peur et chercha dans la muraille dilapidée une niche sépulcrale et se couvrit de feuilles inconnues.



 

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Les ruines circulaires, in Fictions

[ incipit ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

rapports humains

Il existe des personnes qui nous rendent heureux dans la vie, par le simple hasard de les avoir rencontrées sur notre chemin. Quelques-unes parcourent le chemin en entier à nos côtés, et voient passer beaucoup de lunes, mais il en est d'autres que nous voyons à peine, d'un pas à l'autre. Toutes, nous les appelons amies, et il en est plusieurs sortes. Chaque feuille d'un arbre pourrait caractériser un de nos amis. Les premiers à éclore du bourgeon sont notre papa et notre maman qui nous enseignent ce qu'est la vie. Ensuite, viennent les amis frères, avec lesquels nous partageons notre espace pour qu'ils puissent fleurir comme nous. Nous en arrivons à connaître toute la famille des feuilles, nous la respectons et lui souhaitons du bien. Mais le destin nous présente d'autres amis, ceux dont nous ne savions pas qu'ils allaient croiser notre chemin. Parmi ceux-là, il y en a beaucoup que nous appelons amis de l'âme, du coeur. Ils sont sincères et vrais. Ils savent lorsque nous n'allons pas bien, ils savent ce qui nous rend heureux. Parfois un de ces amis de l'âme étincelle en notre coeur, nous l'appelons alors ami amoureux. Il met du brillant dans nos yeux, de la musique sur nos lèvres, fait danser nos pieds et chatouiller notre estomac. Il existe aussi des amis d'un temps, peut-être de vacances, de quelques jours ou de quelques heures. Pendant ce temps où nous sommes à leurs côtés, ils s’habituent à mettre de nombreux sourires sur nos visages. Parlant de près, nous ne pouvons oublier les amis lointains, ceux qui se trouvent au bout des branches et qui, lorsque souffle le vent, apparaissent d'une feuille à l'autre. Passe le temps, s'en va l'été, l'automne s'approche et nous perdons quelques unes de nos feuilles, certaines naîtront lors d'un autre été et d'autres restent pendant plusieurs saisons. Mais ce qui nous réjouit le plus, c'est de nous rendre compte que celles qui tombèrent continuent d'être proches, en alimentant notre racine de joie. Ce sont les souvenirs de ces moments merveilleux lorsque nous les avons rencontrés. Je te souhaite, feuille de mon arbre, paix, amour, santé, chance et prospérité. Aujourd'hui et toujours... tout simplement parce que chaque personne qui passe dans notre vie est unique. Elle laisse toujours un peu d'elle-même et emporte un peu de nous. Il y a celles qui auront emporté beaucoup, mais il n'y en a pas qui n'auront rien laissé. C'est la plus grande responsabilité de notre vie et la preuve évidente que deux esprits ne se rencontrent pas par hasard.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: L'Arbre des amis. Traduction : Nicole Pottier

[ rencontres ] [ fraternités éphémères ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

expérience

Comme tous les hommes de Babylone, j'ai été proconsul ; comme eux tous esclave ; j'ai connu comme eux tous l'omnipotence, l'opprobre, les prisons. Regardez : à ma main droite il manque l'index. Regardez ; cette déchirure de mon manteau laisse voir sur mon estomac un tatouage vermeil ; c'est le deuxième symbole, Beth. Les nuits de pleine lune, cette lettre me donne le pouvoir sur les hommes dont la marque est Ghimel, mais elle me subordonne à ceux d'Aleph, qui les nuits sans lune doivent obéissance à ceux de Ghimel. Au crépuscule de l'aube, dans une cave, j'ai égorgé des taureaux sacrés devant une pierre noire. Toute une année de lune durant, j'ai été déclaré invisible : je criais et on ne me répondait pas, je volais le pain et je n'étais pas décapité. J'ai connu ce qu'ignorent les Grecs : l'incertitude. Dans une chambre de bronze, devant le mouchoir silencieux du strangulateur, l'espérance me fut fidèle ; dans le fleuve des délices, la panique. Pythagore, si l'on croit le récit émerveillé d'Héraclide du Pont, se souvenait d'avoir été Pyrrhus, Euphorbe, et avant Euphorbe encore quelque autre mortel ; pour me remémorer d'analogues vicissitudes je puis me dispenser d'avoir recours à la mort, et même à l'imposture.
Je dois cette diversité presque atroce à une institution que d'autres républiques ignorent ou qui n'opère chez elles que de façon imparfaite et obscure : la loterie. Je n'en ai pas scruté l'histoire : il ne m'échappe pas que les magiciens restent là-dessus divisés ; toute la connaissance qui m'est donnée de ses puissants desseins, c'est celle que peut avoir de la lune l'homme non versé en astrologie. J'appartiens à un pays vertigineux où la loterie est une part essentielle du réel ; jusqu'au présent jour, j'avais pensé à elle aussi peu souvent qu'à la conduite des dieux indéchiffrables ou de mon propre cœur. Aujourd'hui, loin de mon pays et de ses chères coutumes, c'est avec quelque surprise que j'évoque la loterie et les conjectures blasphématoires que sur elle, à la chute du jour, vont murmurant les hommes voilés.
Mon père me rapportait qu'autrefois - parlait-il d'années ou de siècle ? - la loterie était à Babylone un jeu de caractère plébéien. Il racontait, mais je ne sais s'il disait vrai, que les barbiers débitaient alors contre quelques monnaies de cuivre des rectangles d'os ou de parchemin ornés de symboles. Un tirage au sort s'effectuait en plein jour, et les favorisés recevaient, sans autre corroboration du hasard, des pièces d'argent frappées. Le procédé était rudimentaire, comme vous le voyez.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: La loterie à Babylone, in Fictions

[ incipit ] [ entame ]

 
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Ajouté à la BD par miguel