Idée, signes, images et langage façonnent la réalité d'en haut

(Cette page tente de coller à une certaine réalité, immédiate, en ce qui concerne le pouvoir qu'Internet et les divers réseaux sociaux organisés procurent à ceux qui en tiennent les commandes.)

 

Trump banni de Twitter : qui doit décider ?

La décision de Twitter de bannir Donald Trump suscite des débats passionnés sur le pouvoir des réseaux sociaux, mais aussi sur leurs limites.

Pendant les quatre annees qu'il a passe a la Maison-Blanche, Twitter aura ete l'outil de communication prefere de Donald Trump.
Pendant les quatre années qu'il a passé à la Maison-Blanche, Twitter aura été l'outil de communication préféré de Donald Trump. © SAUL LOEB / AFP

Une vague de confusion règne à propos de la décision de Twitter de bannir Donald Trump. Comme un oiseau (bleu) en cage, le 45e président américain est devenu pour certains le symbole d'une perte de démocratie déjà fortement fragilisée. Pour d'autres, la conséquence symptomatique du pouvoir grandissant des acteurs technologiques. Ou encore le reflet d'une d'hypocrisie de Twitter qui a attendu trop longtemps pour agir. Pour sortir par le haut d'une discussion passionnée, il faut déverrouiller le débat avec des clés de compréhension. Dans ce genre de cas, qui doit décider, et comment ?

Les politiques qui affirment que Twitter ne peut décider seul lui reprochaient il y a encore quelques mois son irresponsable manque de réaction. Les réseaux sociaux considèrent les utilisateurs égaux face aux conditions d'utilisation et le risque de voir son compte fermé temporairement ou définitivement en fait partie. Mais le vrai sujet réside dans la perte de contrôle de ces plateformes sur leurs contenus, qui deviennent des bombes à retardement contre la démocratie. Twitter a fait des efforts tant dans la détection algorithmique des contenus inappropriés que dans les alertes nombreuses sur le risque de fausseté ou d'inexactitude d'un post, ou dans le rappel régulier à ses utilisateurs de lire un article avant de le partager. Mais ce n'est pas suffisant et plusieurs solutions peuvent être discutées.

Anonymat, ou pas

Tout d'abord, les algorithmes, qui tendent à mettre en avant les contenus viraux qui sont souvent polémiques, voire faux, pourraient être modifiés. Ces changements imposeraient aux acteurs comme Twitter de revoir leur modèle économique basé sur ces modes de consommation intensifiée. En parallèle, la disparition de l'affichage du nombre de likes et de partages diminuerait sûrement l'effet buzz catalysé et alimenté par une popularité apparente et évidente aux yeux de tous. Des régulations sont également nécessaires en respectant les lois de chaque pays tout en tendant vers le consensus. À titre d'exemple, la liberté d'expression est pensée comme un droit absolu dans la Constitution américaine alors qu'elle est un droit relatif, et donc potentiellement remise en cause, dans le droit français.

L'anonymat, qui empêche l'application de la loi dans de nombreux cas, reste, à raison, le bâton de pèlerin de beaucoup d'individus. Mais il faut rappeler deux points importants. Tout d'abord, l'anonymat permet à des individus, des peuples et des communautés à travers le monde de s'exprimer, de faire connaître leurs conditions et les actes de leurs dirigeants, tout en étant protégés. Ensuite, au risque de contrarier les avocats de la recherche d'identité par l'adresse IP pour les comptes anonymes qui enfreignent la loi, la réalité informatique est plus complexe.

Modération collaborative

Pourquoi pas envisager un système de modération collaboratif beaucoup plus organisé que le simple report de compte, par la participation consensuelle des utilisateurs, pour alerter les plateformes. Dans un article récent de la revue technologique du MIT, la militante américaine pour la liberté d'expression Jillian York affirme que les utilisateurs (et non les dirigeants de ces réseaux) devraient décider. Même si la comparaison a ses limites, la plateforme Wikipédia démontre à elle seule les bénéfices de contributions individuelles et publiques dans une volonté générale collective de véracité. Une étude de 2010 du professeur Thomas Chesney de l'université de Nottingham démontre empiriquement que 10 % des articles en anglais sur Wikipédia contiendraient des erreurs factuelles à des degrés de gravité somme toute relative.

À la question : qui doit décider ?, la réponse est complexe, multidimensionnelle et délicate, mais les éléments de réflexion sont concrets, discutables et comparables. Rappelons tout de même que les réseaux sociaux ne sont pas que des lieux stigmatisant de cruauté, de haine raciale, sexuelle ou religieuse ; ou encore de propagation de mensonges jusqu'à l'échelle étatique. Ils sont également des lieux de diffusion de la connaissance et des savoirs, de débats sains et équilibrés, et de libération de la parole. Il est temps de donner raison au professeur Noam Chomsky qui parlait il y a déjà 50 ans du besoin d'un média alternatif qui serait démocratique et participatif… Ainsi soit-il !

Par Aurélie Jean Publié le 17/01/2021, https://www.lepoint.fr