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mort

Un de mes collègues médecins, de peu mon aîné, se plaisait lors de nos rencontres à me taquiner sur "ma manie d'interpréter les rêves". Un jour, me rencontrant dans la rue, il m'interpella : "Comment allez-vous ? Toujours plongé dans les rêves? A propos, j'ai eu dernièrement un rêve stupide; veut-il aussi dire quelque chose?" Voici ce qu'il avait rêvé :
"Je fais l'ascension d'un haut sommet et me trouve sur un névé incliné. Je monte toujours plus haut et il fait un temps splendide. Plus je monte, plus mon bien-être grandit; mon sentiment est tel que je pense: Ah! Si je pouvais monter ainsi éternellement! Lorsque j'arrive à la cime, je suis transporté de bonheur; mon impression de plénitude est telle que je sens pouvoir continuer à m'élever dans l'espace; je m'y risque et m'élève dans les airs. Je me réveillai dans l'extase la plus parfaite."
Je lui répondis: "Mon cher collègue, comme je vous sais alpiniste incorrigible, il me faut au moins vous adjurer de renoncer à l'avenir aux excursions solitaires. Quand vous irez en montagne, engagez deux guides auxquels vous promettrez sur l'honneur une obéissance absolue." Il rit et s'écria en prenant congé: "Vous êtes bien toujours le même!" Je ne le revis plus. Deux mois plus tard survint le premier accident : au cours d'une excursion entreprise seul, il fut surpris par une avalanche et recouvert; une patrouille militaire qui passait par là put encore le dégager. Trois mois après ce fut la fin : lors d'une excursion sans guide, en compagnie d'un ami plus jeune, il fit à la descente, comme l'observa un guide qui se trouvait en dessous, une enjambée littéralement dans le vide, s'écroula sur l'ami qui le précédait, et ils furent tous deux précipités dans le gouffre où ils s'écrasèrent. C'était bien là l'extase, au sens plein du terme.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info:

[ prémonition ] [ littérature ]

 

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parapsychologie

- Il y a-t'il un cas qui marque un tournant dans votre pensée ?
- Il y en a beaucoup, par exemple je suis allé à Washington pour étudier des noirs dans une clinique psychiatrique afin de voir s'ils avaient le même genre de rêves que nous. Un cas qui m'a amené à penser qu'il y a dans notre psyché un stratum impersonnel. Par exemple nous avions un patient, calme mais complètement dissocié, un schizophrène, qui était dans la clinique depuis 20 ans. Un petit employé, sans éducation particulière. Un jour il m'a attrapé par le bras, tout excité, et m'a conduit vers la fenêtre en me disant :
"- Docteur, vous allez voir. Maintenant, regardez-le soleil, voyez comme il bouge... Vous devez aussi bouger votre tête comme ceci et vous alors verrez le phallus du soleil et ça, c'est l'origine du vent... Et regardez comment ça bouge si vous déplacez votre tête..."
Bien sûr je n'y comprenais rien et pensais : voilà, il est fou.
Cet épisode est resté dans ma tête et quatre ans plus tard je suis tombé sur l'article d'un historien allemand, Dieterich, qui s'était occupé de la Lyturgie de Mithra, une partie du grand papyrus magique de Paris*. Dieterich y présentait cet extrait :
"Après la seconde prière tu verras le disque solaire se déployer et tu verras pendre de lui le phallus, l'origine du vent : et si tu tournes le visage vers l'orient il ira ici, et si tu tournes le visage vers l'occident il te suivra."
Immédiatement j'ai su : c'était la vision de mon patient !
- Comment pouvez-vous être sûr que ce n'était pas un souvenir inconscient du cet homme ?
- C'est hors de question, cette histoire était inconnue, issue du codex de Paris qui n'avait pas même été publié, si ce n'est quatre ans après la vision de mon patient.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Lors de sa dernière interview par la BBC deux ans avant sa mort.*Papyrus 574 de la Bibliothèque Nationale

[ inconscient collectif ]

 
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individuation

J’ai toujours été profondément impressionné par le fait que la nouveauté qui est un destin ne correspond que rarement, ou même jamais, à ce que la conscience attendait ; il est encore plus surprenant qu’elle contredise les instincts les plus enracinés que nous connaissions et soit cependant une expression étrangement précise de la personnalité totale ; une expression que l’on ne pouvait absolument pas s’imaginer.
Si nous résumons ce que les hommes peuvent et savent raconter de leur expérience de la totalité nous pouvons le formuler à peu près ainsi : ces êtres, à ce moment d’élection, se sentirent devenir conformes à eux-mêmes, purent s’accepter eux-mêmes, furent en mesure de se réconcilier avec eux-mêmes et, grâce à cela, ils furent réconciliés avec les circonstances cruelles et des événements marqués au cœur d’une adversité qui leur semblait inacceptable jusque-là. Cela rappelle beaucoup ce qu’on exprimait jadis par ces mots : "Il a fait sa paix avec Dieu, il a fait le sacrifice de sa volonté en se soumettant à la volonté de Dieu."
Quand je considère la marche du développement de ceux qui, en silence, comme inconsciemment, se sont dépassés eux-mêmes, je remarque que leurs destins ont eu tous un point commun : le nouveau s’approcha d’eux, sortant du champ obscur des possibilités de l’extérieur ou de l’intérieur ; ils l’acceptèrent et ils grandirent à cause de cela. Il me semblait typique que les uns l’aient reçu du dehors, les autres du dedans ou plutôt que la croissance de l’un se fît du dehors et celle de l’autre, du dedans. Mais jamais la nouveauté n’émanait du seul dedans ou du seul dehors. Venait-elle du dehors ? elle se transformait en l’expérience la plus intime ; venait-elle du dedans ? elle se transformait en événement extérieur. Mais jamais elle n’avait été amenée intentionnellement ni voulue consciemment ; elle coulait plutôt vers nous sur le flot du temps.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "L'âme et la vie"

[ intégration ] [ déroulement du temps ] [ inattendu ] [ rencontres ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

parapsychologie

Je ne connais aucun rituel magique parce que je n’y crois pas. Donc pour moi, je ne vous recommanderais pas l’exorcisme ou autres rituels. Ces moyens ne fonctionnent que si tous ceux qui sont en présence y croient, alors ce serait légitime. Je connais le cas d’une étable qui était hantée, quelque chose d’assez fréquent, ici, en Suisse. Alors, on faisait appel à un père franciscain pour qu’il vienne purifier spirituellement l’étable au moyen d’un savoir particulier auquel il avait été formé. C’est un véritable "medicine-man" sachant s’y prendre avec les esprits malins et les fantômes, en utilisant la magie de son Eglise, l’exorcisme. Autre exemple, parmi les animaux du petit cirque "Knie" un éléphanteau souffrait de diarrhée. Tous les vétérinaires des environs avaient prodigué leurs meilleurs soins, mais rien n’y faisait et l’éléphant ne guérissait pas. Alors, on fit venir le "medecine-man", ce père franciscain du monastère. Il parla à l’éléphant pendant trois demi-heures, il lui massa le dos, le regarda longuement dans les yeux et lui dit qu’il devait arrêter d’être malade, se soumettre, et être gentil. Et tout à coup, tout en le regardant toujours intensément dans les yeux, il dit : "A présent, il veut bien être guéri. Demain, il sera sur pied. Ne faites plus rien, il s’est soumis". Et le lendemain il était debout, sur pied. Voilà de la médecine primitive authentique, c’est ce que fait le "medecine-man", il fait pénétrer quelque chose dans les têtes. Ce petit éléphant à juste réagit comme n’importe quel être humain sensible, ou n’importe quel enfant. Nous autres ne pourrions pas pratiquer de pareille magie, car nous avons du mal à y croire. Si nous étions capables d’y croire, nous serions redescendus à un autre niveau et à ce niveau, notre conscience serait encore tellement circonscrite, avec une portée tellement limitée, que nombre de ses contenus psychiques ne seraient pas conscients, mais extériorisés.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "L'analyse des visions"

[ pouvoirs ] [ chamane ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

involution

Plus la pénétration et l'approfondissement du nouvel esprit scientifique eurent de succès, plus ce dernier - il en est toujours ainsi du vainqueur - devint prisonnier du monde qu'il venait de conquérir. Au début de ce siècle encore, un auteur chrétien pouvait considérer l'esprit moderne en quelque sorte comme une deuxième incarnation du Logos. "La profonde compréhension de l'animation de la nature dans la peinture et la poésie modernes, dit Kalthoff, l'intuition vivante dont la science elle-même, dans la rigueur de ses travaux, ne veut pas non plus se passer davantage, permettent de voir aisément comment le Logos de la philosophie grecque, qui poussa le type ancien du chrétien à s'éloigner du monde, dépouille son caractère d'au-delà et fête une nouvelle incarnation." En trés peu de temps, on dut s'apercevoir qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle incarnation du Logos, mais bien plutôt d'un effondrement de l'anthropos ou du Noûs dans la Physis. Le monde avait non seulement perdu son caractère divin; il avait aussi perdu son caractère spirituel. En transposant le centre d'intérêt du monde intérieur au monde extérieur, la connaissance de la nature a infiniment grandi en comparaison de ce qu'elle était autrefois; mais la connaissance et l'expérience du monde intérieur ont diminué en proportion. L'intérêt religieux qui, normalement, devrait être le plus fort et par conséquent décisif, s'est détourné du monde intérieur et les figures du dogme sont, dans notre monde, des résidus étranges et incompréhensibles, livrés à toutes sortes de critiques. Même la psychologie moderne a grand-peine à revendiquer pour l'âme humaine un droit à l'existence et à faire admettre qu'elle soit une forme d'être doué de qualités que l'on peut étudier et par conséquent objet d'une science empirique; qu'elle ne dépend pas uniquement d'un extérieur, mais possède aussi un intérieur autonome et qu'elle ne représente pas uniquement un moi conscient, mais également une existence qu'on ne peut atteindre qu'indirectement.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Métamorphose de l'âme et ses symboles

[ matérialisme ] [ régression ] [ rationalisme aveugle ]

 

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Ajouté à la BD par Neshouma

indifférenciation

Les liaisons internationales croissantes et la faiblesse des religions ont déjà effacé ou surmonté ces limitations [exogames], et le feront encore plus à l’avenir, engendrant une masse amorphe dont nous apercevons déjà les prodromes dans les phénomènes modernes de la psyché de masse. Ainsi l’ordre exogame originel se rapproche progressivement de l’état de chaos qui avait été péniblement maîtrisé. Face à ce péril, il n’est qu’un remède : l’affermissement intérieur de l’individu, lequel est menacé d’abrutissement et de dissolution dans la psyché de masse. Ce qu’il faut entendre par là, le passé le plus récent nous l’a montré avec la plus grande netteté. Aucune religion n’a su nous en préserver, et notre facteur d’ordre, l’Etat, s’est finalement révélé le pionnier le plus efficace de la massification. Dans de telles conditions, le seul recours possible semble bien être l’immunisation de l’individu contre le poison de la psyché de masse. […]
Mais il est de la plus haute importance que ce processus s’accomplisse consciemment, sinon les conséquences psychiques de la massification s’installeront inévitablement. En effet, si l’affermissement intérieur de l’individu ne se produit pas consciemment, il se manifeste spontanément dans ce phénomène d’ores et déjà connu : l’endurcissement inimaginable de l’homme de masse à l’égard de ses semblables. Il se transforme en un animal grégaire et sans âme, que seuls régissent encore la panique et les appétits. Son âme, qui ne vit que de la relation humaine, se perd. […] ce quelque chose en quoi l’union intérieure s’accomplit n’est rien de personnel ou d’égotique, mais une réalité supérieure à ce domaine, car il signifie, en tant que Soi, une synthèse du moi et de l’inconscient suprapersonnel. L’affermissement intérieur de l’individu n’a donc absolument rien à voir avec la forme que pourrait prendre, à un autre niveau, l’endurcissement de l’homme de masse, ni avec une attitude d’isolement spirituel et d’inaccessibilité, par exemple ; tout au contraire, elle inclut le prochain.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "Psychologie du transfert" pages 94-95

[ individuation ] [ grégarisme inhumain ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

sens-de-la-vie

Il existe 4 archétypes, quatre étapes que nous traversons pendant notre vie et ces étapes sont :

1. Etape de l'athlète (le sauvage). Nous nous préoccupons surtout de notre apparence, de ce à quoi ressemble notre corps. Sommes capables de rester des heures à regarder et admirer notre reflet dans le miroir. Notre apparence est la plus importante à nos yeux.

​​​​​​ 2. Etape du guerrier (l'aventurier). Le principal souci est de partir à la conquête du monde, de devenir le meilleur, de parvenir à l'excellence, de faire ce que font les guerriers. Le but est d'avoir plus que tout le monde, une étape de comparaison, il faut vaincre ceux autour de nous afin de nous sentir meilleurs parce que nous avons réalisé davantage. Nous nous mesurons, tel le guerrier.

3. Etape de la communication (l'enseignant). Nous réalisons que ce qui a été fait jusqu'ici ne suffit pas à nous contenter, à nous rendre heureux... Il faut donc, pour faire une différence dans le monde, servir ceux qui nous entourent. Dorénavant si la poursuite de l'argent, du pouvoir, des possessions, etc. continue, tout cela n'a plus la même valeur, parce que Nous savons qu'il existe autre chose. Quels sont les pour arrêter de penser à soi, comment recevoir et se concentrer sur une vie de service. Compréhension de l'échange : donner c'est recevoir. Comment stopper l'égoïsme afin de quitter ce monde en étant meilleur que lorsque nous y sommes entrés.

4. Etape spirituelle (le sage). Aucune des étapes précédentes ne représente réellement qui nous sommes et ce que nous sommes. Nous comprenons que nous sommes plus que notre corps, plus que nos possessions, plus que nos amis, notre pays... Nous en venons à réaliser que nous sommes des êtres divins, des êtres spirituels ayant une expérience humaine et non pas des humains ayant une expérience spirituelle. Nous sommes dans ce monde mais pas de ce monde. Nous pouvons désormais nous observer à partir d'une autre perspective. Renoncer à notre propre esprit, à notre corps et saisir qui nous sommes vraiment, voir les choses telles qu'elles sont. Et devenir l'observateur de notre vie. Je ne suis pas celui que je remarque mais l'observateur de ce que je remarque.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info:

[ existence ] [ initiatique ]

 

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bipolarité

L'idée naquit en moi que l'Eros et que l'instinct de puissance étaient comme des frères ennemis, fils d'un seul père, fils d'une force psychique qui les motivait, qui - telle la charge électrique positive ou négative - se manifeste dans l'expérience sous forme d'opposition : l'Eros comme patiens, comme une forme qu'on subit passivement, l'instinct de puissance comme un agens, comme une force active et vice versa. L'Eros a aussi souvent recours à l'instinct de puissance. Que serait l'un de ces instincts sans l'autre ? L'homme d'une part, succombe à l'instinct, Adler montre comment l'homme utilise l'instinct pour violenter l'objet. Nietzsche, livré à son destin, et y succombant, dut se créer un "surhomme". Freud - telle fut ma conclusion - doit être si profondément sous l'emprise de la puissance de l'Eros qu'il cherche à l'élever, comme un numen religieux, au rang de dogme aere perenius (de dogme éternel, plus durable que l'airain). Ce n'est un secret pour personne : "Zarathoustra" est l'annonciateur d'un évangile et Freud entre même en concurrence avec l'Eglise par son intention de canoniser doctrine et préceptes. Il est vrai qu'il ne l'a pas fait trop bruyamment ; par contre, il m'a prêté l'intention de vouloir passer pour prophète. Il formule la tragique exigence et l'efface aussitôt. C'est ainsi que l'on procède le plus souvent avec les conceptions numineuses (du sacré) et cela est juste, parce qu'à un autre point de vue elles sont vraies, tandis qu'à un autre elles sont fausses. L'événement numineux vécu élève et abaisse simultanément. Si Freud avait mieux apprécié la vérité psychologique qui veut que la sexualité soit numineuse - elle est un Dieu et un diable - il ne serait pas resté prisonnier d'une notion biologique étriquée. Et Nietzsche, avec son exubérance, ne serait peut-être pas tombé hors du monde s'il s'en était tenu davantage aux bases même de l'existence humaine.
Chaque fois qu'un événement numineux fait fortement vibrer l'âme, il y a danger que se rompe le fil auquel on est suspendu. Alors tel être humain tombe dans un "Oui" absolu et l'autre dans un "Non" qui ne l'est pas moins ! Nirdvandva - "libéré des deux"-, dit l'Orient. Je l'ai retenu ! Le pendule de l'esprit oscille entre sens et non-sens, et non point entre vrai et faux. Le danger du numineux est qu'il pousse aux extrêmes et qu'alors une vérité modeste est prise pour la vérité et une erreur minime pour une fatale aberration.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Ma vie

[ psychanalyse ] [ folie ] [ fanatisme ]

 

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couple

Le premier réceptacle de l’image de l’âme pour l’homme est pratiquement toujours la mère ; plus tard, les réceptacles qui apporteront à l’homme un reflet vivant de son anima seront les femmes qui font vibrer ses sentiments, que ce soit, d’ailleurs, indifféremment dans un sens positif ou négatif. C’est parce que la mère est le premier réceptacle de l’image de l’âme que l’émancipation du fils et la séparation d’avec la mère représentent un tournant évolutif tout aussi important que délicat, et de la plus haute portée éducative. C’est pourquoi nous trouvons déjà chez les primitifs un grand nombre de rites qui organisent les modalités de cette séparation. L’arrivée à l’âge adulte et la séparation extérieure d’avec la mère ne suffisent pas ; il faut encore toute sorte d’initiations masculines décisives très particulières, des cérémonies opérant une renaissance, pour parfaire efficacement la séparation de l’individu d’avec sa mère et, par voie de conséquence, d’avec son enfance.

Alors que le père, en protégeant l’enfant contre les dangers de la vie extérieure, devient de la sorte pour le fils un modèle de la persona, la mère constitue pour lui une sauvegarde contre les dangers qui peuvent surgir des mondes obscurs de l’âme. C’est pourquoi, dans les initiations masculines, l’initié sera instruit des choses de l’au-delà, ce qui doit le mettre en état de se passer de la protection de la mère.

L’adolescent qui grandit dans la civilisation actuelle se voit privé – en dépit de toute la primitivité qui demeure en lui – de ces mesures éducatives qui étaient au fond très remarquables. Il s’ensuit que l’anima, en jachère sous forme de l’imago de la mère, va être projetée en bloc sur la femme, ce qui va avoir pour conséquence que l’homme, dès qu’il contracte le mariage, devient enfantin, sentimental, dépendant et servile, ou, dans le cas contraire, rebelle, tyrannique, susceptible, perpétuellement préoccupé du prestige de sa prétendue supériorité virile. Cette attitude, naturellement, n’est faite que du renversement de la première. L’homme moderne n’a rien trouvé qui remplace la protection contre l’inconscient que la mère apportait, que la mère signifiait ; c’est pourquoi il modèle inconsciemment son idéal du mariage de telle sorte que sa femme soit amenée si possible à pouvoir assumer le rôle magique de la mère. Sous le couvert protecteur de l’union exclusive, il cherche au plus profond de lui-même protection auprès d’une mère, tendant dangereusement la perche à l’instinct possessif de la femme. Sa crainte et son angoisse, en face des obscurités insondables et des forces imprévisibles de l’inconscient, confèrent à la femme une puissance illégitime et soudent le ménage en une "communauté si intime" que, à force de tensions intérieures, il menace régulièrement d’éclater. A moins que l’homme, par protestation, ne prenne, en face de cette surpuissance de la femme, une attitude de contre-pied, ce qui entrainera d’ailleurs les mêmes conséquences.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "La dialectique du moi et de l'inconscient"

[ conjonction des opposés ] [ androgynie psychique ] [ femmes-hommes ]

 

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cas clinique

Emile Schwyzer avait été admis au Burghölzli le 27 octobre 1901. Agé de presque quarante ans, il avait passé près de vingt ans dans d’autres institutions psychiatriques. Ses délires avaient commencé en 1882, peu après son arrivée en Angleterre où il avait trouvé un emploi de coursier dans une banque. Licencié au bout de six mois pour une raison inconnue, il souffrit peu après de délires sporadiques et tenta de se suicider en se tirant une balle dans la tête. […]

Schwyzer "se prenait pour Dieu" et il était perturbé à l’idée qu’étant "le Seigneur", il avait l’ "obligation de distribuer sa semence, car autrement le monde courrait à sa perte". Généralement il ajoutait : "C’est ça le plus fou !" avant d’éclater de rire comme s’il s’agissait d’une blague entre les médecins et lui. Ce qui le rendait unique aux yeux de Jung, c’était le délire qui suivait toujours ses crises liées à la semence divine : systématiquement, il proclamait être "capable de décider du temps qu’il allait faire". Si on lui demandait comment il s’y prenait, il répondait que le soleil avait un gigantesque phallus : il lui suffisait de le regarder avec les yeux mi-clos et en tournant la tête de gauche à droite pour le mettre en branle, créant ainsi le vent et par conséquent le temps. Accompagnés de grands gestes et d’enjolivements, ces explications étaient formulées dans un langage archaïque sans aucun rapport avec sa vie en Suisse, ni rien qui concernait son séjour en Angleterre. Jung était très intrigué. […]

Cette idée lui était restée "absolument incompréhensible" jusqu’au moment où il était tombé sur un livre d’Albrecht Dieterich relatif à la liturgie de Mithra, évoquant notamment ses visions délirantes. […] Il trouvait que cette étonnante vision "d’un tuyau pendant du soleil [faisait] dans la liturgie de Mithra une étrange impression si l’on ne donnait à ce tuyau un sens phallique : le tuyau est le lieu d’origine du vent. Au premier abord, on ne saisit pas le sens phallique de cet attribut. Mais souvenons-nous que le vent, comme le soleil, est créateur. […] le tube est le lieu d’origine du vent qui se tourne tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest, et, peut-être, produit le vent convenable. La vision du malade concorde étrangement avec le mouvement du tube." En menant ses recherches, Jung découvrit la représentation suivante, d’un peintre allemand anonyme du XVe siècle : "[…] du ciel descend un tube, ou un tuyau, qui se glisse sous la robe de Marie ; dans ce tube vole, sous une forme de colombe, le Saint-Esprit venant féconder la mère de Jésus."  Cette observations et "quelques autres" convainquirent Jung qu'il ne s'agissait pas "d'une caractéristique de race, mais d'un trait généralement humain" ; il ne s'agissait pas non plus "le moins du monde de représentations héritées", mais d'une disposition fonctionnelle à produire des représentations semblables ou analogues". Plus tard il nommerait cette disposition "archétype" [...].

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "Jung", trad. de l’anglais par Martine Devillers-Argouarc’h, éd. Flammarion, Paris, 2007, pages 267-272

[ genèse d'un concept ]

 

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