Un phénomène géologique inédit sous la mer du Nord : comment des " montagnes inversées " défient les lois de la Terre
Au fond de la mer du Nord, sous des centaines de mètres d’eau, se cachent des formations géologiques extraordinaires qui défient les règles connues de la stratigraphie. Ces vastes monticules de sable, que les scientifiques appellent désormais " sinkites ", ont intrigué les chercheurs pendant des années. Récemment, une équipe internationale a dévoilé l’origine surprenante de ces structures uniques : un processus géologique jamais observé à cette échelle, où le sable dense s’enfonce sous une couche plus légère de vase ancienne. Ce renversement inattendu des couches sédimentaires bouleverse notre compréhension des mouvements souterrains et pourrait avoir un impact important sur les techniques futures de stockage du carbone.
Des montagnes enfouies et un paradoxe géologique
Depuis plusieurs années, les géologues connaissent l’existence de ces grands monticules sous-marins au large des côtes norvégiennes. Mais leur origine restait un mystère. Plusieurs hypothèses avaient été avancées : glissements de terrain, sables poussés vers le haut, ou encore boue forcée à travers des roches cassantes. Cependant, aucune explication ne parvenait à rendre compte de l’ampleur et de la complexité de ces structures.
Pour percer ce mystère, les chercheurs ont utilisé des données sismiques tridimensionnelles détaillées associées à des analyses d’échantillons de roche. Ces investigations ont révélé que les monticules de sable étaient en fait liés à une couche de vase très ancienne, beaucoup moins dense que le sable qui l’entoure. Cette vase, composée en grande partie de restes fossiles microscopiques, formait une sorte de " radeau " soulevé à la surface, sur lequel le sable dense semblait s’enfoncer.
Ce phénomène est à l’opposé de ce que l’on observe habituellement en géologie, où les couches les plus anciennes se retrouvent en profondeur et les plus récentes à la surface. Ici, le sable plus récent s’est enfoncé sous une couche plus ancienne et plus légère, créant d’immenses monticules inversés qui n’avaient jamais été documentés auparavant.
Un mécanisme inédit : sable en mouvement dans la croûte terrestre
Pour expliquer ce renversement spectaculaire, les scientifiques ont émis l’hypothèse que des tremblements de terre ou des variations de pression sous le fond marin auraient pu transformer le sable en une sorte de fluide. Ce phénomène, appelé liquéfaction, permettrait au sable de circuler à travers des fractures dans les couches géologiques, s’infiltrant sous la vase plus rigide.
Le résultat : des " sinkites ", ces monticules de sable enfoncés, et les " floatites ", ces radeaux de vase légers flottant au-dessus. Ce déplacement inhabituel des matériaux révèle une dynamique souterraine beaucoup plus complexe que ce que la science avait jusqu’ici imaginé.
Selon Mads Huuse, géophysicien et co-auteur de l’étude publiée dans Communications Earth and Environment, cette découverte est majeure. Elle montre que le mouvement des fluides et des sédiments dans la croûte terrestre peut se produire de manière imprévue, bouleversant les schémas géologiques classiques. Comprendre ce mécanisme ouvre de nouvelles perspectives sur l’évolution du paysage sous-marin, mais aussi sur la stabilité des couches sédimentaires dans d’autres contextes géologiques.
Au-delà de l’intérêt fondamental, cette découverte revêt un enjeu environnemental majeur. La mer du Nord est une région envisagée comme site potentiel pour le stockage souterrain du dioxyde de carbone (CO2), une technologie clé pour limiter les émissions responsables du changement climatique.
Le stockage géologique consiste à injecter du CO2 dans des couches rocheuses poreuses situées sous le fond marin, afin de le piéger durablement et d’éviter qu’il ne s’échappe dans l’atmosphère. Mais la sécurité et l’efficacité de ce procédé dépendent étroitement de la connaissance fine des formations géologiques et de la dynamique des fluides dans la croûte terrestre.
Les " sinkites " et " floatites " révèlent une complexité inattendue dans le comportement des sédiments et pourraient influencer la manière dont le CO2 migre et se conserve dans ces réservoirs. Comme le souligne Mads Huuse, mieux comprendre la formation et la stabilité de ces structures est essentiel avant de lancer des projets de capture et stockage du carbone dans la région.
Cette avancée pourrait donc guider les ingénieurs et géologues dans le choix des sites les plus sûrs, en tenant compte des mouvements potentiels de sable et de vase qui pourraient compromettre l’étanchéité des réservoirs.
Un champ d’investigation ouvert pour la géologie marine
Au-delà de ses implications pratiques, cette découverte invite à repenser certains concepts fondamentaux de la géologie marine. Le modèle classique, où les couches sédimentaires s’empilent avec les plus anciennes en bas et les plus récentes en haut, doit désormais intégrer la possibilité d’un renversement localisé lié à la liquéfaction et à la circulation des fluides.
Elle illustre aussi l’importance de combiner des techniques modernes, comme la sismique 3D et l’analyse chimique, pour sonder les profondeurs sous-marines et déchiffrer les archives géologiques enfouies.
Les chercheurs comptent poursuivre leurs travaux pour mieux comprendre ces phénomènes et explorer si des structures similaires existent ailleurs dans le monde, ouvrant ainsi de nouvelles voies dans la compréhension des processus sous-marins.