Héritier de la philosophie des Lumières, aristocrate désargenté, Claude Henri de Saint-Simon (1760- 1825) s’efforce, sa vie durant, d’organiser et de diffuser une doctrine du progrès qui culmine dans une nouvelle religiosité. Son testament philosophique contient ainsi le Catéchisme des industriels (1823-1824) et Le Nouveau Christianisme (1825). À la société d’Ancien Régime, fondée sur l’héritage, la propriété foncière et la hiérarchie des rangs, il substitue une vision égalitaire selon laquelle les capacités des individus seront rétribuées en fonction de leur contribution sociale. "À chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres. Plus d’héritage !", voilà la formule égalitaire de Saint-Simon. La société qu’il appelle de ses vœux repose sur la contribution, le travail et l’utilité. Autrement dit, l’association des producteurs opposée au règne des improductifs, dirigeants politiques, dignitaires religieux, commandants militaires. L’avenir appartient aux industriels, c’est-àdire à "tout homme qui travaille à produire ou à mettre à la portée des différents membres de la société un ou plusieurs moyens matériels de satisfaire leurs besoins ou leurs goûts physiques". On mesure l’extension que revêt ici le terme "industriel". Mais puisque les capacités, malgré tout, ne sont jamais égales entre les individus, comment faire en sorte d’œuvrer au bien collectif en s’appuyant sur elles ?
Un impératif s’impose : les faire concourir à un but collectif et pour cela, les organiser. La philosophie sociale de Saint-Simon est un plan d’organisation, sinon de réorganisation, des forces industrielles, tirant le meilleur des diverses capacités afin d’exploiter utilement la nature. Le cultivateur, le fabricant, le négociant, illustrent chacun à leur façon cette variété : tous seraient des industriels selon ce modèle social. S’ensuit-il une égalité de fait ? Non, car la mise en ordre des contributions aboutit à une nouvelle hiérarchie, au sommet de laquelle se dessine une élite : les hommes de génie, ou, mieux dit, les hommes "du" génie, c’est-à-dire la caste des scientifiques et ingénieurs, eux-mêmes financés dans leurs entreprises par les banquiers. Par conséquent, le politique se dissout dans l’organisation des forces économiques, soutenue par le crédit bancaire.
Les expériences de Saint-Simon, avant qu’il ne théorise sa doctrine, illustrent l’intrication des puissances industrielles. Pouvoir des communications tout d’abord : engagé avant la Révolution française dans l’armée et parti faire la guerre en Amérique, il propose au vice-roi du Mexique des projets de voie de navigation. De même en Espagne, où il présente au gouvernement espagnol un projet de canal reliant Madrid à la mer. Circulation de l’avoir ensuite : il se lance après 1790 dans des spéculations financières en explorant les circuits bancaires. Son travail théorique parachève l’édifice (pouvoir, avoir, savoir) par l’élaboration de la notion de réseau, pensée sur le modèle physiologique de la circulation du sang (modèle issu de Harvey, en 1628). En somme, Saint-Simon utilise le corps humain comme modèle de fonctionnement du corps social. Tout est affaire de circulation de fluides et de tension dynamique entre les corps solides. Si l’organisme est un réseau, c’est-à-dire un maillage , alors plus la circulation interne sera complexe et plus l’organisation générale sera structurée. D’où un surcroît de force et une capacité d’action sur le monde extérieur. On comprend déjà pourquoi la philosophie de Saint-Simon, avec son concept de réseau, constitue un appel aux ingénieurs et aux investisseurs : plus il y aura de voies de communications ouvertes, de canaux percés, d’isthmes conquis, de mers reliées, de navires affrétés, plus le corps social sera puissant et plus les peuples fabriqueront un monde à leur image : sicut dei, "comme des dieux".
Années: 20??
Epoque – Courant religieux: postmodernité
Sexe: R
Profession et précisions: groupe anti industriel, critique radical du progrès techno. De Grenoble
Continent – Pays: Europe - France