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écriture

Quand je mets de côté mes artifices et range dans un coin, avec un soin amoureux et l'envie de les embrasser, mes jouets à moi - mots, images ou phrases -, alors je me sens si petit, si inoffensif et si seul, perdu dans une pièce immense, et si triste, si profondément triste !

En fin de compte, qui suis-je, lorsque je ne joue pas ? Un pauvre orphelin abandonné dans les rues des Sensations, grelottant de froid aux coins venteux de la Réalité, obligé de dormir sur les marches de la Tristesse et de mendier le pain de l'Imaginaire.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Le livre de l'intranquillité

[ écriture thérapie ] [ passe-temps ] [ jeu ] [ refuge ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

désintéressement

Il y a du sublime à gaspiller une vie qui pourrait être utile, à ne jamais réaliser une œuvre qui serait forcément belle, à abandonner à mi-chemin la route assurée du succès ! … Pourquoi l’art est-il beau ? Parce qu’il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu’elle est un tissu de buts, de desseins et d’intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d’un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va… La beauté des ruines ? Celle de ne plus servir à rien.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Le livre de l'intranquillité

[ simplicité ] [ contentement ] [ anti-utilitarisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie pratique

Tout ce qui nous arrive de déplaisant dans la vie -les situations ridicules où nous nous trouvons, nos mauvaises actions, nos manquements à l'une ou l'autre vertu-, tout cela doit être considéré comme de simples accidents extérieurs, incapables d'atteindre la substance de notre âme. Traitons-les comme des rages de dents ou des cors aux pieds de la vie elle-même, comme des choses gênantes, extérieures quoique situées en nous, et dont ne doit souffrir que notre existence organique, ou se soucier seulement les éléments vitaux en nous (...)

La vie doit être, pour les meilleurs, un rêve qui se refuse aux confrontations.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info:

[ détachement ] [ stoïcisme ] [ indifférence ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

autoportrait

En raison de mes tendances naturelles, du milieu où s’est déroulé mon enfance, de l’influence exercée par les études que ces mêmes tendances m’ont poussé à faire -pour toutes ces raisons mon caractère est du genre introverti ; fermé sur lui-même, et silencieux ; non pas se suffisant à lui-même, mais bien plutôt perdu en lui-même. Ma vie entière a été une vie de passivité et de rêverie. Mon caractère tout entier se définit par l’aversion, l’horreur et l’impossibilité -qui imprègnent tout ce que je suis, sur le plan physique et mental- d’entreprendre des actions décisives, et de concevoir des pensées bien arrêtées.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Dans "Un singulier regard"

[ contingence ] [ introversion ] [ lucidité ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

inassouvissement

J’ai tout vu, et de tout je me suis émerveillé,

Mais ce tout ou bien fut en excès ou bien ne suffit pas, je ne saurais le dire - et j’ai souffert.

J’ai vécu toutes les émotions, toutes les pensées, tous les gestes,

Et il m’en est resté une tristesse comme si j’avais voulu les vivre sans y parvenir.

J’ai aimé et haï comme tout le monde,

Mais pour tout le monde cela a été normal et instinctif,

Et pour moi ce fut toujours l’exception, le choc, la soupape, le spasme.


Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Poésies d'Alvaro de Campos - Le Gardeur de troupeau, autres poèmes d'Alberto Caeiro

[ loin des choses ] [ heimatlos ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

impersonnel

Quels sont mes rêves? Je ne sais. J'ai déployé tous mes efforts pour arriver à un point où je ne sache plus à quoi je pense, à quoi je rêve, ni quelles sont mes visions. Il me semble que je rêve de toujours plus loin, et de plus en plus le vague, l'imprécis, l'invisionnable.

Je n'élabore pas de théories sur la vie. Je ne me demande pas si elle est bonne ou mauvaise. A mes yeux elle est cruelle et triste, et entremêlée de rêves délicieux. Que m'importe ce qu'elle est pour les autres?

La vie des autres me sert seulement à vivre à leur place et, pour chacun d'eux, la vie qui dans mon rêve me paraît leur convenir le mieux.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info:

[ indifférenciation ] [ irréelle ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

désengagement

Je suis hautement sociable, de façon hautement négative. Je suis l'être le plus inoffensif qui soit. Mais je ne suis pas davantage; je ne veux pas, je ne peux pas être davantage. J'ai à l'égard de tout ce qui existe une affection visuelle, une tendresse de l'intelligence -rien dans le coeur. Je n'ai foi en rien, espoir en rien, charité pour rien. J'exècre, effaré et écoeuré, les sincères de toutes les sincérités et les mystiques de tous les mysticismes, ou plutôt, et pour mieux dire, les sincérités de tous les sincères et les mysticismes de tous les mystiques. Cette nausée devient presque physique lorsque ces mysticismes sont actifs, qu'ils prétendent convaincre l'esprit des autres ou commander à leur volonté, trouver la vérité ou réformer le monde.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info:

[ neutralité ] [ inhumain ] [ distanciation ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

introspection

Je pense, je pense sans cesse ; mais ma pensée ne contient pas de raisonnements, mon émotion ne contient pas d'émotion. Je tombe sans fin, du fond de la trappe située tout là-haut, à travers l'espace infini, dans une chute qui ne suit aucune direction, infinie, multiple et vide. Mon âme est un maelström noir, vaste vertige tournoyant autour du vide, mouvement d'un océan infini, autour d'un trou dans du rien ; et dans toutes ces eaux, qui sont un tournoiement bien plus que de l'eau, nagent toutes les images de ce que j'ai vu et entendu dans le monde - défilent des maisons, des visages, des livres, des caisses, des lambeaux de musique et des syllabes éparses, dans un tourbillon sinistre et sans fin.


Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Le livre de l'intranquillité, p. 36. 1988

[ vertige ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

écriture

Écrire, c'est oublier. La littérature est encore la manière la plus agréable d'ignorer la vie. La musique apaise, les arts visuels exaltent, les arts du spectacle (comme le théâtre et la danse) divertissent. La littérature, cependant, se retire de la vie, se transformant en sommeil. Les autres arts ne présentent pas un tel recul, les uns parce qu'ils utilisent des formules visuelles et donc vitales, les autres parce qu'ils vivent de la vie humaine elle-même.

Ce n'est pas le cas de la littérature. La littérature simule la vie. Un roman est un conte de ce qui n'a jamais été, une pièce de théâtre est un roman sans narration. Un poème est l'expression d'idées ou de sentiments dans une langue que personne n'utilise, car personne ne parle en vers.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Le livre de l'intanquilité

[ refuge ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

récit de soi-même

Étant donné que la vie est essentiellement un état mental, et que nos actes ou nos pensées n'ont d'autre valeur à nos yeux que celle que nous leur attribuons nous-mêmes, la valorisation ne dépend que de nous. Le rêveur, en somme, est un fabricant de billets, et les billets qu'il émet ont cours dans la cité de son esprit tout comme ceux de la réalité. Que le papier-monnaie de mon âme ne soit pas convertible en or m'importe peu, puisqu'on ne trouve jamais d'or dans l'alchimie fictive de la vie. Après nous viendra le déluge - mais après nous seulement. Plus avisés et plus heureux ceux qui, voyant que tout est fiction, fabriquent le roman avant qu'on ne le leur fabrique, et, comme Machiavel, revêtent le costume de la Cour pour mieux écrire en secret.

Auteur: Pessoa Fernando (Alv. de Campos)

Info: Dans "Le livre de l'intranquillité"

[ reconquête ] [ pouvoir personnel ] [ sans-loi ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson