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technique de drague

— La cruauté, donc. Oui, mon Nathan, je te comprends. Tu l'aimes et tu veux qu'elle t'aime, et tu ne peux tout de même pas aimer un chien parce qu'il vaut mieux qu'elle ! Eh bien alors séduis, fais ton odieux travail de technique et perds ton âme. Force-toi à l'habileté, à la méchanceté. Elle t'aimera, et mille fois plus que si tu étais un bon petit Deume. Si tu veux connaître leur grand amour, paie le sale prix, remue le fumier des merveilles.

Mais attention, Nathan, pas de zèle au début, avant l'entrée du cobaye en passion. Tu n'es pas encore enraciné et des méchancetés trop marquées la repousseraient. Il leur reste un peu de bon sens au début. Par conséquent, du tact et de la mesure. Se borner à lui faire sentir que tu es capable d'être cruel. Cette capacité tu la lui feras sentir, entre deux courtoisies, par un regard trop insistant, par le fameux sourire cruel, par des ironies brusques et brèves, ou par quelque insolence mineure comme de lui dire que son nez brille. Elle sera indignée, mais son tréfonds aimera. Lamentable de devoir lui déplaire pour lui plaire. Ou encore un masque subitement impassible, des airs absents, une surdité soudaine. Ne pas répondre par distraction feinte à une question qu'elle te pose la désarçonne mais ne lui déplaît pas. C'est une gifle immatérielle, une ébauche de cruauté, un petit plain-pied sexuel, une indifférence de mâle. De plus, ton inattention augmentera son désir de captiver ton attention, de t'intéresser, de te plaire, la remplira d'un sentiment confus de respect. Elle se dira, non, pas se dira, mais vaguement sentira, que tu es habitué à ne pas trop écouter toutes ces femmes qui t'assaillent, et tu seras intéressant. Il est parfait de courtoisie, pensera-t-elle, mais il pourrait être méchant s'il le voulait. Et elle savourera. Ce n'est pas moi qui les ai faites. Affreux, cet attrait de la cruauté, promesse de force. Qui est cruel est sexuellement doué, capable de faire souffrir, mais aussi de donner certaines joies, pense le tréfonds. Un seigneur quelque peu infernal les attire, un sourire dangereux les trouble. Elles adorent l'air démoniaque. Le diable leur est charmant. Affreux, ce prestige du méchant.

Donc, pendant le processus de séduction, prudence et y aller doucement. Par contre, dès qu'elle sera ferrée, tu pourras y aller. Après le premier acte, curieusement dénommé d'amour, il sera même bon, à condition qu'il ait été réussi et approuvé avec enthousiasme par la balbutiante pauvrette, il sera même bon que tu lui annonces qu'elle souffrira avec toi. Encore transpirante, et contre toi collante, elle te répondra alors que peu lui importe, que la souffrance avec toi ce sera encore du bonheur. Pourvu que tu m'aimes, murmurera-t-elle, ses yeux sincères tournés vers toi. Elles acceptent courageusement la souffrance, surtout avant d'y être.

Lorsqu'elle est entrée en pleine passion, donc cruautés ouvertes. Mais dose-les. Sois cruel avec maîtrise. Le sel est excellent, mais pas trop n'en faut. Par conséquent, alternances de duretés et de douceurs, sans oublier les obligatoires ébats. Le cocktail passion. Être l'ennemi bien-aimé, saupoudrer de méchancetés de temps à autre pour qu'elle puisse vivre sur le pied d'amour, être toujours inquiète, se demander quelle catastrophe l'attend, souffrir, et notamment de jalousie, espérer, attendre les réconciliations, déguster les tendresses inattendues. En résumé, qu'elle ne s'embête jamais. Sans compter que les réconciliations donnent de la saveur aux jonctions. Après une froideur ou une vacherie, si tu lui souris, la malheureuse escroquée fond de gratitude et elle court vite raconter à son amie intime toutes sortes de merveilles sur toi et comme quoi tu es si bon, au fond. D'un méchant, elles s'arrangent toujours pour dire qu'au fond il est bon. Elles le remercient de sa méchanceté en le couronnant de bonté.

Et voilà, pour qu'elle continue à t'aimer de passion tu seras condamné à te surveiller sans cesse et notamment à toujours arriver en retard aux rendez-vous, afin qu'elle frétille sur le gril. Ou même, de temps à autre, alors qu'elle t'attend, toute prête et minutieusement lessivée, et qu'elle ne bouge pas de peur de s'abîmer, tu devras lui téléphoner au dernier moment que tu es empêché de venir, alors que tu meurs d'envie de la voir. Ou mieux encore, ne lui téléphone même pas et n'y va pas. Alors elle cuit et se désespère. A quoi bon ce shampooing et cette mise en plis si réussie puisque le cher méchant n'est pas venu, à quoi bon cette nouvelle robe qui lui va si bien? Elle pleure, la pauvrette, et elle se mouche à grandes explosions, étant seule, se mouche et se remouche dans un tas de petits mouchoirs, se tamponne les paupières enflées par les larmes et travaille de la cervelle et fabrique une nouvelle hypothèse à chaque mouchoir. Mais pourquoi n'est-il pas venu? Est-il malade? M'aime-t-il moins? Est-il chez cette femme? Oh, elle est habile, elle le flatte ! Et puis naturellement, avec toutes les robes haute couture qu'elle peut s'offrir ! Oh, il est sûrement chez elle ! Et lui qui hier encore me disait... Oh, ce n'est pas juste, moi qui lui ai tout sacrifié ! Et caetera, tout leur petit poème cardiaque. Et le lendemain, elle sanglote sur ton épaule et elle te dit Mon méchant chéri, j'ai pleuré toute la nuit. Oh, ne me quitte pas, je ne peux plus sans toi. Voilà, voilà le sale travail auquel elle t'obligera si tu veux une passion absolue !

Et attention, Nathan, lorsque tu la verras ainsi humide et croulée, garde-toi de te laisser aller à ton naturel de bonté. Ne renonce jamais aux cruautés qui vivifient la passion et lui redonnent du lustre. Elle te les reprochera mais elle t'aimera. Si par malheur tu commettais la gaffe de ne plus être méchant, elle ne t'en ferait pas grief, mais elle commencerait à t'aimer moins. Primo, parce que tu perdrais de ton charme. Secundo, parce qu'elle s'embêterait avec toi, tout comme avec un mari. Tandis qu'avec un cher méchant on ne bâille jamais, on le surveille pour voir s'il y a une accalmie, on se fait belle pour trouver grâce, on le regarde avec des yeux implorants, on espère que demain il sera gentil. Bref, on souffre, c'est intéressant.

Et en effet, le lendemain il est exquis, et c'est un paradis qu'on apprécie, qui vaut à tout moment et dans lequel ne poussent pas les pâles fleurs d'ennui parce qu'on craint à tout moment de le voir disparaître, ce paradis. Bref, une vie variée, tourmentée. Bourrasques, cyclones, bonaces soudaines, arcs-en-ciel. Qu'elle ait des joies, bien sûr, mais moins souvent que des souffrances. Voilà, c'est ainsi qu'on fabrique un amour religieux.

Le terrible, ô mon Nathan, c'est que cet amour religieux, ainsi acheté au sale prix, est la merveille du monde. Mais c'est faire un pacte avec le diable, car il perd son âme, celui qui veut être religieusement aimé. Elles m'ont obligé à feindre la méchanceté, je ne le leur pardonnerai jamais ! Mais que faire? J'avais besoin d'elles, si belles quand elles dorment, besoin de leur odeur de petit pain au lait quand elles dorment, besoin de leurs adorables gestes de pédéraste, besoin de leurs pudeurs, si vite suivies d'étonnantes docilités dans la pénombre des nuits, car rien ne les surprend ni ne les effraie qui soit service d'amour. Besoin de son regard lorsque j'arrive et qu'elle m'attend, émouvante sur le seuil et sous les roses. Ô nuit, ô bonheur, ô merveille de son baiser sur ma main ! (Il se baisa la main, regarda cette femme qui le considérait, lui sourit de toute âme.) Et plus encore et surtout, ô pain des anges, besoin de cette géniale tendresse qu'elles ne donnent qu'entrées en passion, cette passion qu'elles ne donnent qu'aux méchants. Donc, cruauté pour acheter passion et passion pour acheter tendresse !

Il jongla avec un poignard damasquiné, don de Michaël, le remit sur la table auprès des roses, regarda la jeune femme, fut ému de pitié. Éclatante de jeune force, somptueuse en sa double proue, et pourtant immobile bientôt sous terre, et elle ne participerait plus aux joies du printemps, aux premières fleurs écloses, aux tumultes des oiseaux dans les arbres, ne participerait plus, rigide et solitaire en sa caisse étouffante, avec si peu d'air dans cette caisse dont le bois existait déjà, existait quelque part. 

Auteur: Cohen Albert

Info: Belle du Seigneur, éditions Gallimard, 1968, pages 428 à 432

[ domination ] [ violentées ] [ stratégie ] [ femmes-par-homme ] [ jouissance ] [ bad boy ] [ mâle alpha ] [ souffler le chaud et le froid ] [ poser un lapin ] [ émotions passionnelles ] [ dépendance affective ] [ dévouées ] [ vanité ] [ mortelle ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

technique de drague

— Sixième manège, la vulnérabilité. Oui, bien sûr, Nathan, sois viril et cruel, mais si tu veux être aimé à la perfection, tu dois en outre faire surgir en elle la maternité. Il faut que sous ta force elle découvre une once de faiblesse. Sous le haut gaillard, elles adorent trouver l'enfant. Quelque fragilité par moments — pas trop n'en faut, non plus — leur plaît énormément, les attendrit follement. Bref, neuf dixièmes de gorille et un dixième d'orphelin leur font tourner la tête.

Septième manège, le mépris d'avance. Il doit être témoigné au plus tôt mais point en paroles. Elles sont très susceptibles en matière de vocabulaire, surtout au début. Mais le mépris dans une certaine intonation, dans un certain sourire, elles le sentent tout de suite, et il leur plaît, il les trouble. Leur tréfonds se dit que celui-ci méprise parce qu'il est habitué à être aimé, à tenir pour rien les femmes. Donc, un maître qui les tombe toutes. Eh bien, moi aussi, je veux être tombée ! Réclame leur tréfonds. Le chien que je séduirai dès demain, on sortira ensemble tous les jours. Il sera si content de se promener avec moi, allant devant, mais se retournant tout le temps pour me regarder, pour être sûr que ce trésor que je suis est toujours là, et tout à coup il arrivera à fond de train, il sautera contre moi avec ses pattes de devant et me salira si gentiment. Quelle femme ferait cela ?

Huitième manège, les égards et les compliments. Si leur inconscient aime le mépris, leur conscient par contre veut des égards. Ce manège est à utiliser surtout au début. Plus tard tu pourras t'en passer. Mais pendant la séduction, elle adorera être exaltée par celui qui méprise toutes les autres, exultera d'être la seule à trouver grâce. Au mépris sous-jacent tu ajouteras donc l'admiration en paroles, de manière qu'elle se dise voilà enfin celui qui me comprend ! Car elles adorent être comprises, sans trop savoir d'ailleurs en quoi cela consiste. Interroge-la lorsqu'elle te sortira, avec une noble tristesse, la fameuse phrase sur le mari qui ne la comprend pas. Tâche de voir ce qu'elle entend par être comprise, et tu seras effaré par la bouillie de la réponse.

Donc, au début, compliments massifs. Et ne crains pas d'y aller à fond. Elles avalent tout. Le recours à la vanité est un bon hameçon. Vaniteuses ? Oui, mais surtout si peu sûres d'elles. Elles ont tellement besoin d'être rassurées. Parce que le matin, dans la glace, elles se découvrent un tas d'imperfections, les cheveux ternes et trop secs, les pellicules ennemies, les pores trop ouverts, les orteils pas beaux, surtout le dernier, le bossu, le petit infirme avec un ongle de rien du tout. Alors, tu te rends compte du service que tu lui rends en faisant d'elle une déesse ? Jamais sûres d'elles-mêmes. C'est pourquoi leur besoin maladif de robes nouvelles qui les feront neuves et de nouveau désirables. Oh, les pauvres ongles trop longs et vernis, leurs crétins sourcils épilés, leur obéissance abrutie aux lois de la mode. Dites-leur que cette année la mode c'est une jupe avec un grand trou au bas du dos, et elles courront se mettre des jupes trouées révélant leurs orbes nus. Complimente donc tout, même l'absurde bibi catastrophé qu'elle se colle, condamnation éternelle au-dessus de sa tête. Autant qu'une nouvelle robe, les compliments lui sont oxygène, elle respire largement et refleurit. Bref, sois le donneur de foi, et elle ne pourra plus se passer de toi, même si tu n'as pas réussi à la séduire complètement, le premier soir. Elle pensera à toi tous les matins au réveil, se redira tes louanges tout en bouclant sa toison, ce qui semble exciter son pouvoir de concentration. Par parenthèse, ne crains pas d'être scabreux de temps à autre. Cela abaisse les barrières. Une fois qu'elle sait que tu sais qu'elle a une toison secrète, que cette toison tu l'imagines, blonde ou châtaine ou brune, elle a moins de défense.

Neuvième manège, proche du septième, la sexualité indirecte. Dès la première rencontre, qu'elle te sente un mâle devant la femelle. Entre autres, par des viols si mineurs qu'elle ne pourra se rebiffer et qui, d'ailleurs, les convenances étant sauves, ne lui déplairont pas. Par exemple, entre deux phrases déférentes, un tutoiement comme par mégarde, dont tu t'excuseras aussitôt. Et surtout, la regarder bien en face avec un certain mépris, une certaine bonté, un certain désir, une certaine indifférence, une certaine cruauté — c'est un bon mélange et pas cher. Bref, l'odieux regard filtré, le regard d'emprise, ironique et calme, légèrement amusé et irrespectueux cependant qu'avec respect tu lui parles, un regard de familiarité secrète. Hosanna, s'exclame alors son inconscient, celui-ci est un vrai Don Juan ! Il ne me respecte pas ! Il sait y faire ! Alléluia, je suis délicieusement troublée et ne puis lui résister ! Tu vois combien de contradictions. Fort mais vulnérable, méprisant mais complimenteur, respectueux mais sexuel. Et chaque manège lustre son contraire et en accroît l'attrait.

Encore ceci, Nathan. Ne crains pas de considérer avec attention ses seins. Si rien n'est dit, cela va. Elle devinera ton désir et ne t'en voudra nullement. Seuls les mots offensent. En toi-même donc tandis que de quelque convenable sujet vous causerez, muettement tu lui diras le cantique de ton désir.

Oui, un cantique en tes yeux, cantique des seins. Ô seins de terrible présence, féminines deux gloires, hautes abondances, bouleversants étrangers devant toi intouchés, présents et défendus, cruellement montrés, trop montrés et point assez montrés, angéliques bombes, doux reposoirs dressés en leur étrange pouvoir, désirable récolte, tourmentantes merveilles et jeunes fiertés, l'une à droite et l'autre à gauche, ô tes deux souffrances, ô les fruits tendus de complaisante sœur, ô les deux lourds de ta main si proches.

Ainsi lui diront tes yeux, Nathan. Par pitié qu'elle les sorte, diront tes yeux, qu'elle les sorte puisqu'elle te les montre sans les montrer et si mal les cache, si mal exprès. Ô la cruelle qui trop largement respire, car alors ils saillent, prospères et à point, ô la maudite et bien-aimée. Oh, qu'elle les sorte, car tu veux vivre avant de mourir, les sorte enfin et te les tende avec leurs pointes, sublimes surgis et libérés, et que tu les manies enfin et en connaisses le poids et la bénédiction. De grâce, diront tes yeux, qu'elle écarte cette étoffe, hypocrite étoffe qui les recouvre mais les révèle, fameusement armés et présomptueux, et qu'elle te les montre au moins, te les montre une bonne fois, honnêtement te les montre et assez de ces étoffes qui invitent et interdisent et rendent fou. Assez, et que cessent ces feintes. Ces arbres et ce lac que tu vois y seront encore lorsque le pâle huissier de la mort dans ses bras t'emportera, dans ses bras à jamais vers l'humide royaume des étouffements. Donc, vite ses lèvres, diront tes yeux, et toute la toucher, et sur elle t'étendre et la connaître, et en elle vivre et merveilleusement mourir, et sur ses lèvres en même temps mourir.

Seul au monde, Nathan, privé de semblables, Nathan, elle t'est due, noble et de jeunesse ensoleillée, ô son ventre plat et même délicieusement creusé au-dessus du nombril, j'en fais serment ! Ô belle et femme, ô jeune et concave en son ventre, ô délicieuses jambes, ô longues et suaves, ô puissance féminine, ô solides cuisses présentes sous la robe insupportable une fois de plus tirée, vraiment c'est une manie, ô florissantes hanches, ô torturantes courbes, ô giron existant, doux refuge, ô ses longs cils recourbés, ô sa soumission alanguie bientôt. Oui, bien-aimée, tes yeux- lui diront, oui, je te veux et ne suis que ce vouloir, tout tendu vers toi et ton secret, ton secret présent sous ta robe, existant sous ta robe. Voilà ce que tes yeux lui diront, et bien davantage, cependant que de Bach honnêtement vous parlerez. Et si tu danses avec elle, ne crains pas de rendre un silencieux hommage à sa beauté. Il ne les offense jamais si les paroles restent déférentes. Ainsi dit Michaël. D'ailleurs, les meilleures s'arrangent pour ne pas trop savoir ce qui s'est passé. La danse finie, Bach de nouveau.

Sonnerie du téléphone. Il décrocha l'appareil, le mit contre sa tempe à la manière d'un revolver, puis contre son oreille.

— Bonsoir, Elizabeth. Danser avec vous ? Pourquoi pas, Elizabeth ? Attendez-moi au Donon. Non, je ne suis pas seul. La jeune femme dont je vous ai parlé, celle que vous avez connue à Oxford. Mais non, vous savez bien qu'il n'y a que toi. À tout à l'heure.

II raccrocha, se tourna vers elle.

— Sache, ô cousin chéri, que le dixième manège est justement la mise en concurrence. Panurgise-la donc sans tarder, dès le premier soir. Arrange-toi pour lui faire savoir, primo que tu es aimé par une autre, terrifiante de beauté, et secundo que tu as été sur le point d'aimer cette autre, mais que tu l'as rencontrée elle, l'unique, l'idiote de grande merveille, ce qui est peut-être vrai, d'ailleurs. Alors, ton affaire sera en bonne voie avec l'idiote, kleptomane comme toutes ses pareilles.

Et maintenant elle est mûre pour le dernier manège, la déclaration. Tous les clichés que tu voudras, mais veille à ta voix et à sa chaleur. Un timbre grave est utile. Naturellement lui faire sentir qu'elle gâche sa vie avec son araignon officiel, que cette existence est indigne d'elle, et tu la verras alors faire le soupir du genre martyre. C'est un soupir spécial, par les narines, et qui signifie ah si vous saviez tout ce que j'ai enduré avec cet homme, mais je n'en dis rien car je suis distinguée et d'infinie discrétion. Tu lui diras naturellement qu'elle est la seule et l'unique, elles y tiennent aussi, que ses yeux sont ouvertures sur le divin, elle n'y comprendra goutte mais trouvera si beau qu'elle fermera lesdites ouvertures et sentira qu'avec toi ce sera une vie constamment déconjugalisée. Pour faire bon poids, dis-lui aussi qu'elle est odeur de lilas et douceur de la nuit et chant de la pluie dans le jardin. Du parfum fort et bon marché. Tu la verras plus émue que devant un vieux lui parlant avec sincérité. Toute la ferblanterie, elles avalent tout pourvu que voix violoncellante. Vas-y avec violence afin qu'elle sente qu'avec toi ce sera un paradis de charnelleries perpétuelles, ce qu'elles appellent vivre intensément. Et n'oublie pas de parler de départ ivre vers la mer, elles adorent ça. Départ ivre vers la mer, retiens bien ces cinq mots. Leur effet est miraculeux. Tu verras alors frémir la pauvrette. Choisir pays chaud, luxuriances, soleil, bref association d'idées avec rapports physiques réussis et vie de luxe. Partir est le maître mot, partir est leur vice. Dès que tu lui parles de départ, elle ferme les yeux et elle ouvre la bouche. Elle est cuite et tu peux la manger à la sauce tristesse. C'est fini. Voici la nomination de votre mari. Aimez-le, donnez-lui de beaux enfants. Adieu, madame.

— Adieu, murmura-t-elle, et elle resta immobile. 

Auteur: Cohen Albert

Info: Belle du Seigneur, éditions Gallimard, 1968, pages 432 à 438

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