- Ecoute, est-ce que je peux rester deux minutes encore ?
- Oui, bien sûr.
Il s’assit sur le rebord du lit, lui prit la main. Epouse modèle, elle posa sur ses lèvres un sourire immobile tandis qu’il la regardait avec des yeux de chien derrière ses lunettes, attendant d’elle le réconfort. Les paroles qu’il espérait ne venant pas, il voulut les provoquer.
- Tu comprends, c’est un sale coup pour moi.
- Oui, je comprends, répondit-elle, et de nouveau ce fut le sourire peint.
- Alors, qu’est-ce que tu me conseilles ?
- Je ne sais pas. Attendre ses excuses.
- Oui, mais s’il ne m’en fait pas ?
- Je ne sais pas, dit-elle, et elle lança un regard vers la pendule de la cheminée.
Dans le silence, il la regardait, attendait. Elle ne pensait qu’aux minutes qui tombaient, une à une, dans le silence. S’il restait encore, elle perdrait son sommeil et ce serait une nuit blanche. Il avait promis qu’il ne resterait que deux minutes et il était là, à la regarder sans arrêt depuis plus de deux minutes. Pourquoi ne tenait-il pas sa promesse ? Elle savait bien ce qu’il voulait. Il voulait être rassuré. Mais si elle commençait à le consoler, on n’en finirait plus. Il ferait des objections à ses consolations pour être consolé plus à fond, et la comédie durerait jusqu’à deux heures du matin. Cette main transpirante qui collait à la sienne était désagréable. Les menus retraits qu’elle entreprit n’ayant pas eu d’effet, elle dit qu’elle avait des fourmis, retira sa main et regarda la pendule.
- Je reste encore une minute et je m’en vais.
- Oui, sourit-elle.
Il se leva d’un trait.
- Tu n’es pas très gentille avec moi.
Elle se dressa dans son lit. C’était trop injuste ! Elle lui avait répondu gentiment, n’avait cessé de lui sourire, et voilà qu’il lui faisait des reproches !
- En quoi ? demanda-t-elle, le regard droit. En quoi est-ce que je ne suis pas gentille ?
- Tu n’as qu’une envie, c’est de me voir partir, et pourtant tu sais que j’ai besoin de toi.
Ces derniers mots la mirent hors d’elle. Cet homme qui avait tout le temps besoin d’elle !
- Il est minuit moins dix, articula-t-elle.
- Mais alors, si une fois je tombe malade et qu’il faille me veiller, qu’est-ce que tu feras ?
Cette fois, ce fut la vision d’une veille toute la nuit qui la mit en rage contre cet homme qui ne pensait qu’à lui. Elle fit sa tête de marbre, butée et dure. Elle était maintenant une froide folle insensible à tout ce qui n’était pas son sommeil menacé, épouvantée par la perspective d’une nuit d’insomnie.
Années: 1895 - 1981
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Suisse