Qu’est-ce que l’hystérique fait ? Qu’est-ce que DORA fait au dernier terme ? Je vous ai appris à en suivre les cheminements et les détours dans les identifications complexes, dans le labyrinthe où elle se trouve confrontée - avec quoi ? - avec ce dans quoi FREUD lui-même trébuche et se perd. Car ce qu’il appelle l’objet de son désir, vous savez qu’il s’y trompe justement parce qu’il cherche la référence de DORA en tant qu’hystérique d’abord et avant tout dans le choix de son objet, d’un objet sans doute petit (a). Et il est bien vrai que d’une certaine façon M. K. est l’objet petit (a), et après lui : FREUD lui-même, et qu’à la vérité c’est bien là le fantasme, pour autant que le fantasme est le support du désir. Mais DORA ne serait pas une hystérique si ce fantasme, elle s’en contentait. Elle vise autre chose, elle vise à mieux, elle vise grand A. Elle vise l’Autre absolu : Mme K. Je vous ai expliqué depuis longtemps que Mme K. est pour elle l’incarnation de cette question : "Qu’est-ce qu’une femme ?".
Et à cause de ceci, au niveau du fantasme, ce n’est pas S◊a, le rapport de fading, de vacillation, qui caractérise le rapport du sujet à ce (a) qui se produit mais autre chose, parce qu’elle est hystérique, c’est un grand A comme tel, Grand A auquel elle croit, contrairement à une paranoïaque. "Que suis-je ?" a pour elle un sens qui n’est pas celui de tout à l’heure, des égarements moraux ni philosophiques, ça a un sens plein et absolu.
Et elle ne peut pas faire qu’elle n’y rencontre, sans le savoir, le signe Φ [grand phi] parfaitement clos, toujours voilé qui y répond. Et c’est pour cela qu’elle recourt à toutes les formes qu’elle peut donner du substitut le plus proche, remarquez-le bien, à ce signe Φ. C’est à savoir que, si vous suivez les opérations de DORA ou de n’importe quelle autre hystérique, vous verrez qu’il ne s’agit jamais pour elle que d’une sorte de jeu compliqué par où elle peut, si je puis dire, subtiliser la situation en glissant là où il faut le ϕ [petit phi] du phallus imaginaire.
C’est à savoir que : son père est impuissant avec Mme K. : eh bien qu’importe ! C’est elle qui fera la copule, elle paiera de sa personne, c’est elle qui soutiendra cette relation. Et puisque ça ne suffit pas encore, elle fera intervenir l’image substituée à elle - comme je vous l’ai dès longtemps montré et démontré - de M. K. qu’elle précipitera aux abîmes, qu’elle rejettera dans les ténèbres extérieures, au moment où cet animal lui dira juste la seule chose qu’il ne fallait pas lui dire : "Ma femme n’est rien pour moi", à savoir elle ne me fait pas bander. Si elle ne te fait pas bander, alors donc à quoi est-ce que tu sers ?
Car tout ce dont il s’agit pour DORA, comme pour toute hystérique, c’est d’être la procureuse de ce signe sous la forme imaginaire. Le dévouement de l’hystérique, sa passion de s’identifier avec tous les drames sentimentaux, d’être là, de soutenir en coulisse tout ce qui peut se passer de passionnant et qui n’est pourtant pas son affaire, c’est là qu’est le ressort, qu’est la ressource autour de quoi végète, prolifère tout son comportement. Si elle échange son désir toujours contre ce signe - ne voyez pas ailleurs la raison de ce qu’on appelle sa "mythomanie" - c’est qu’il y a autre chose qu’elle préfère à son désir : elle préfère que son désir soit insatisfait afin que l’Autre garde la clé de son mystère.
C’est la seule chose qui lui importe, et c’est pour cela que, s’identifiant au drame de l’amour, elle s’efforce, cet Autre, de le réanimer, de le réassurer, de le recompléter, de le réparer. En fin de compte c’est bien de cela qu’il nous faut nous défier : de toute idéologie réparatrice, de notre initiative de thérapeutes, de notre vocation analytique. Ce n’est certes pas la voie de l’hystérique qui nous est le plus facilement offerte, de sorte que ce n’est pas là non plus que la mise en garde peut prendre le plus d’importance.
[…] la formule du fantasme hystérique peut s’écrire ainsi : a/-ϕ ◊ A. Soit : (a), l’objet substitutif ou métaphorique, sur quelque chose qui est caché, à savoir -ϕ, sa propre castration imaginaire dans son rapport avec l’Autre.