La carapace résiste à la pince, aux doigts, aux ongles, émet des craquements. La ravissante casse en deux sa moitié de homard et mord dedans :
- Sérieux, on va juste se ruiner les dents là. Quelle arnaque.
- Ton idée. Y avait aussi des burgers et des pâtes.
- T'as trop raison. Encore un truc de bourge. C'est stylé de raquer pour pas dîner. C'est trop la classe de rien bouffer. En vrai, on aurait dû prendre un burger. Le homard je sais pas faire.
- Mais attends attends ! Le boloss ! Il peut nous faire les explications.
- Il peut pas. Le bâillon.
Elles se tournent toutes les deux vers le lit.
Sur le lit, il y a un homme, le visage déformé par un bâillon-boule. Il est allongé sur le dos, les mains attachées au cadre par des menottes roses, ses jambes aux pieds du lit avec du gros scotch de bricolage. Il a le pantalon aux chevilles et le sexe mort. Contraste indécent avec sa chemise blanche et froissée en mille morceaux, son pantalon de costume noir, en accordéon ; c'était, il y a quelques heures, un financier qui sortait d'une journée de travail très bien payée. C'est maintenant un gros animal terrorisé. Sa peau est bien remplie. Il est replet, rebondi même, presque féminin. Tout de lui déborde : les yeux, le visage, la chair, et rien ne tient debout. Le couvre-lit moins rouge et moins fluide que son visage prêt à exploser. Ses yeux crachent des larmes. Un tremblement irrégulier secoue son corps tout entier.
Années: 1976 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: écrivaine, enseignante
Continent – Pays: Europe - Belgique