Vivre à l'étranger m'a permis d'avoir, vis-à-vis du pays d'origine et du pays d'adoption, un petit recul critique: je les perçois l'un et l'autre comme des cultures. La même chose vaut pour la langue: ce n'est qu'à partir du moment où plus rien n'allait de soi - ni le vocabulaire, ni la syntaxe, ni surtout le style -, à partir du moment où était aboli le faux naturel de la langue maternelle, que j'ai trouvé des choses à dire. Ma "venue à l'écriture" est intrinsèquement liée à la langue française. Non pas que je la trouve plus belle ni plus expressive que la langue anglaise, mais, étrangère, elle est suffisamment étrange pour stimuler ma curiosité. (Encore aujourd'hui, si je dois faire un article en anglais, je le rédige d'abord en français pour le traduire ensuite: perversion peut-être, perte de temps sans doute, mais sans cela j'aurais l'impression de me noyer dans des évidences trompeuses.)"
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Info: Lettres parisiennes, Histoires d'exil, correspondance avec Leïla Sebbar, 1983
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