Il me faut aller à tâtons et rien ne m'ennuierait ou ne me découragerait davantage en commençant un roman que de savoir exactement ce qu'il va être, quels personnages vont l'habiter, quand et comment ils vont apparaître ou disparaître, à quoi ressemblera leur vie ou la partie de leur vie que je vais raconter. Tout cela arrive à mesure que le roman s'écrit et appartient au domaine de l'invention, en prenant le mot dans son sens étymologique de découverte, de trouvaille; et même, il y a des moments où l'on s'arrête et où l'on sent deux voies ouvertes pour continuer le récit, à l'opposé l'une de l'autre [c'est moi qui souligne]. Une fois le livre fini [...], il semble impossible qu'il eût pu être différent de ce qu'il est. Et alors on croit qu'on peut parler du livre, et même qu'on peut l'expliquer, avec d'autres mots que les siens propres, comme si ceux-ci ne pouvaient en aucun cas suffire.
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Info: Préface de L'Homme sentimental, Editions Rivages, 1990, pp. 9-10
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