Il est pourtant une date que je ne laisse pas passer sans émotion, c'est la nuit du 4 août 1789, la nuit de l'Abolition des privilèges.
Événement capital de la Révolution française, on l'a dit et redit et non sans souligner que l'initiative en revient à quelques jeunes nobles. Pourtant, je ne sais si a été mesuré l'impact de cette abolition des privilèges par qui en jouissait. Je ne sais si a été mesurée la force déflagratoire de cette entrée en scène de ceux qui ont tout à perdre aux côtés de ceux qui n'ont rien à perdre. Chateaubriand le sent et le dit, en quelques lignes dans Les Mémoires d'outre-tombe : "La monarchie fut démolie à l'instar de la Bastille, dans la séance du soir de l'Assemblée nationale du 4 août. Ceux qui, par haine du passé, crient aujourd'hui contre la noblesse, oublient que ce fut un membre de cette noblesse, le vicomte de Noailles soutenu par le duc d'Aiguillon et par Mathieu de Montmorency, qui renversa l'édifice, objet des préventions révolutionnaires... Les plus grands coups portés à l'antique constitution de l'État le furent par des gentilshommes".
Mais il faut attendre quelques décennies plus tard pour qu'à l'autre bout du spectre politique, Michelet fasse passer l'intensité et l'ampleur de ce qui s'est joué là, tout particulièrement quand il évoque comment le jeune duc d'Aiguillon, le plus riche seigneur en propriétés féodales après le roi, "dit qu'en votant la veille des mesures de rigueur contre ceux qui attaquaient les châteaux, un scrupule lui est venu, qu'il s'était demandé à lui-même si ces hommes étaient bien coupables... Et il continua avec chaleur, avec violence, contre la tyrannie féodale, c'est-à-dire contre lui-même" (Scènes de la révolution française). En fait, c'est à l'incroyable moment où la liberté s'invente d'elle-même que Michelet nous fait assister, à cet instant stupéfiant où la liberté embrase celui à travers lequel elle se formule pour embraser de proche en proche tout ce qui l'entoure.
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