émoi

Plus tard, je suis resté un moment à contempler attentivement l'agitation de la foule. C'était une des ces journées où tout le monde est pressé, transpirait, se bousculait. Les changeurs se mêlaient au vendeuses de nourriture qui ravivaient avec une certaine impatience le feu de leur braseros avec un éventail de paille. Par moment la circulation bouchonnait ; à d'autres les autos passaient comme des bolides. C'est alors qu'à quelques mètres, j'ai été témoin d'une émotion extraordinaire. Très peu de personnes ont remarqué l'incident.
Une femme âgée, assise dans un fauteuil roulant, avançait sur le trottoir. Un garçon d'environ dix ans, son fils, poussait le fauteuil. Et tout à coup, en passant sur un nid-de-poule, une des roues s'est déboîtée et est allée en roulant heurter les pieds d'un homme. Inquiet parce que sa mère semblait sur le point de tomber par terre, l'enfant a demandé de l'aide. Il n'a pas du tout fait attention à qui il s'adressait. C'était à un fou crasseux qui, à ce moment-là, très contrarié, cherchait quelque chose d'imaginaire qui bougeait en l'air. L'interruption de l'enfant l'a déconcerté et pendant quelques secondes il s'est gratté la nuque. Quand la mère s'est rendu compte de la situation il était trop tard : le fou avait ramassé la roue et s'efforçait de la remettre en place. Ce qu'il a fait avec une habilité et une rapidité surprenantes, s'assurant que les vis étaient bien serrées. L'enfant a attendu en silence qu'il ait terminé son travail et puis, le regardant en face, lui a dit :
- Merci beaucoup, monsieur.
La mère en a fait autant, bien que son remerciement ait été un peu évasif, et mère et fils sont vite repartis. Le fou est resté perplexe un instant. Quand il s'est retourné, j'ai vu qu'il avait les joue ravagées de larmes. Son visage, sale et inexpressif, offrait un spectacle désolant. Qu'est-ce qui l'avait ému à ce point ? Le fait de se sentir utile ? Ou peut-être de s'être senti encore traité comme une personne ? Depuis combien de temps ne l'avait-on pas appeler monsieur ou ne lui avait-on pas dit merci ?
Je deviens peut-être sentimental. Je ne sais pas. Mais ces choses-là arrivent avec le travail. Ça fait partie de la rue, et il n'y a pas moyen de les éviter. On pense que cela nous apprend quelque chose, nous donne l'occasion d'être plus ouverts au monde. De la merde, oui ! Ceux qui savent de quoi je parle n'ignorent pas que le premier coin de rue donne aussi d'autres leçons plus frappantes.

Auteur: Ampuero Fernando

Info: Caramel vert

[ réalisme ] [ littérature ]

 

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