Le plus grand écosystème microbien du monde découvert sous la croûte terrestre
Des millions d’espèces microbiennes ont été découvertes par un conglomérat de 1 200 scientifiques, composé de géologues, de chimistes, de physiciens et de microbiologistes originaires de 52 pays. Leurs travaux ont été publiés lundi 10 décembre à l’occasion du sommet américain de géophysique à Washington. Pendant 10 ans, ils ont réalisé des centaines de forages, parfois à 5 kilomètres de profondeur sous la croûte terrestre et sous la mer. Ils y ont découvert un monde insoupçonné qui comprend des membres des trois domaines biologiques : les bactéries, les archées et les eucaryotes. Cette découverte vient questionner nos certitudes sur la formation de la vie sur Terre et ailleurs.
Une population aussi diversifiée que celle d'Amazonie
Nous sommes près de 7 milliards d’êtres humains mais nous ne représentons qu’une toute petite partie de la vie sur Terre. L’écosystème découvert par les scientifiques atteint un volume de près de deux fois celui de nos océans et un poids équivalent à une vingtaine de milliards de tonnes, soit beaucoup plus que le poids total de l’humanité. Sa diversité est comparable à celle de l’Amazonie. Ces millions de microbes "vivent partout dans les sédiments" explique Fumio Inagaki de l'agence japonaise pour les sciences marines et de la terre. "Ce sont de nouvelles branches dans l'arbre de la vie qui existent sur Terre depuis des milliards d'années, sans qu’on ne les ait jamais remarquées" ajoute Karen Lloyd de l'université du Tennessee. Une grande partie de la vie se trouverait donc à l'intérieur de la Terre plutôt qu'à sa surface et ces microbes "souterrains" représentent, selon les scientifiques, 70 % de la totalité de ces populations.
Un monde à part
Une telle découverte est souvent accompagnée de son lot d’énigmes et cette biosphère remet en cause de nombreuses certitudes que nous avons sur la vie. Ces microbes sont en effet très différents de leurs cousins vivant en surface. Ils vivent dans des milieux extrêmes très sombres et très chauds. "Leur source d'énergie n'est pas le Soleil et la photosynthèse. Ici, ce qui fait démarrer leurs communautés, c'est la chimiosynthèse. Ils tirent leur énergie des roches qui s'altèrent" explique Bénédicte Menez, responsable de l'équipe géomicrobiologie à l'Institut de Physique du Globe de Paris.
Leur rapport au temps est également différent. Alors qu’à la surface, nous dépendons de cycles relativement rapides, réglés sur le Soleil et sur la Lune, ces organismes souterrains font partie de cycles lents à l'échelles des temps géologiques, et ne dépendent pas de notre étoile. Certaines espèces vivent en effet depuis des milliers d’années et sont à peine en mouvement, excepté en cas de déplacement des plaques tectoniques ou d’éruptions. Les scientifiques ne comprennent pas leur mécanisme de survie à long terme : "Ils sont là et attendent…" conclut un scientifique.
La découverte de cette biosphère pose la question même de l'origine de la vie sur Terre : la vie a-t-elle commencé dans les profondeurs de la Terre pour ensuite migrer vers le Soleil, ou a-t-elle commencé à la surface pour ensuite migrer vers le bas ? Et comment ces microbes survivent-ils au manque de nutriments et aux conditions extrêmes ? Pour Robert Hazen, minéralogiste à la Carnegie Institution for Science, si "la vie sur Terre peut être si différente de ce à quoi nous sommes habitués, quelle étrangeté pourrait nous attendre en cherchant la vie dans d'autres mondes ?"
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Info: https://www.nationalgeographic.fr, trad Arnaud Sacleux , nov 2019
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