totalitarisme

Un jour, je serais assise dans une pièce - je me l'imaginais austère, un bureau normal -, et l'on me poserait des questions. Des questions de différents degrés, dont certaines anodines ; mais moi, je m'étais promis de ne répondre à aucune question que ce soit et j'avais bien l'intention de m'en tenir là (ô ! ton imagination, ma soeur !). Puis, au bout d'une, deux ou vingt heures - ne parlait-on pas d'interrogatoires qui duraient des jours entiers, avec quelques courtes interruptions ? -, mon interrogateur sortirait cet épais carnet vert dans lequel je venais de noter consciencieusement ce qu'aujourd'hui, hier, avant-hier, j'avais fait, lu, entendu, que j'avais vu, et même le temps qu'il faisait. Bon, dirait alors mon interrogateur - il resterait très poli jusqu'aux questions du troisième et même du quatrième degré, et ce n'est qu'aux questions du cinquième degré qu'il deviendrait soudain très rude, mais je m'y attendrais et je tiendrais tête aussi à la rudesse, peut-être même plus facilement qu'à la politesse (ma soeur ! ma soeur...) : bon, dirait-il. Parlons franchement. Et, à chaque question, avec mes propres mots, pris dans mon propre carnet de notes, il me lirait les réponses que j'aurais encore si fièrement refusé l'instant d'avant. Et maintenant, Monsieur Je-sais-tout, peux-tu m'expliquer pourquoi je continue malgré tout à noter tout cela dans mon carnet, si ce n'est par fierté, témérité, orgueil ?
Parce que tu penses : ils n'oseront pas.

Auteur: Wolf Christa

Info: In "Ce qui reste", éd. Stock, p. 62-63

[ vie privée ] [ peur ]

 

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