homme-femme

Tout d'abord, j'allais à la pêche. Je prenais mon poisson à l'arbalète, juste ce qu'il fallait pour deux personnes. A cette heure-là la mer sentait le goémon, les coquillages et les étoiles, elle pénétrait dans ma bouche et laissait ces odeurs dans ma mémoire. Encore sous l'eau, je sentais le goût qu'aurait mon poisson, accompagné d'un vin "sang de lièvre" et de la salade piquante que préparait Barbara. Son petit restaurant, flanqué d'un kiosque à musique, était dans les pins, juste derrière la plage.

"Barbara, tu veux bien me faire frire ce poisson ?" lui demandais-je. Elle regardait les bords de mes talons couverts de résine, mes cheveux parsemés d'aiguilles de pin, et elle humait le vent salé que je portais dans mes narines. On venait dans son restaurant quand on était las de faire la fête. Elle mettait une vraie passion à accommoder le produit de ma pêche. Elle connaissait par coeur mes vêtements et mes chaussures et la couleur de mes chemises. Tandis que je dînais, assis à une petite table dans un coin où l'on entendait le bruit de la mer, elle me regardait à travers ses cils, par-dessus le comptoir, et elle sentait dans ma bouche le goût du poisson qu'elle venait de faire cuire.

Auteur: Pavic Milorad

Info: In "Les chevaux de Saint-Marc", éd. Belfond, p. 59-60

[ cuisine ] [ appétit ] [ complicité ] [ femme-par-homme ]

 

Commentaires: 1

Ajouté à la BD par Benslama

Commentaires

Benslama, karim.benslama@orange.fr
2020-09-03 09:44
merci pour "complicité" - je n'arrivais pas à trouver un terme pour définir cette entente mutuelle...