Je hais mon dormeur. C’est un mort qui n’a pas dit son dernier mot. Son sommeil est plus fort que ma haine. Il ne faut pas abandonner la nuit, Marc. Les lits ont été créés pour souffrir et pour jouir. Donneur de sang, donneur de cœur, épuise ta soif blanche. Je me lève, j’ouvre la fenêtre parce que la nuit se pousse contre la vitre. Elle entre avec sa traîne. La mer avance sans les musiciennes, sans l’écume, sans le bouillonnement. C’est par nuit noire que j’ai découvert la hauteur du ciel et que je suis retombée sur le trésor des fraisiers. C’est par nuit tendre pendant les gelées que, dans les prés traversés, j’ai entendu se propager des craquements d’incendie sous mes pieds. Je te hais, cadavre incomplet.
Auteur:
Info: Dans "Ravages", éd. Gallimard, Paris, 1955, page 318
Commentaires: 0