La serviette-éponge tomba de ses reins. Marc commença de se raser avec la lame enveloppée d’un côté dans du papier journal. Il me vit dans le miroir.
-Ne regarde pas ! dit Marc.
[…] Je regardai. J’espérais que je le ranimerais et que je l’intéresserais à distance ; j’espérais que Marc me dirait : "Je ne pars plus, viens." Je le regardai longtemps, je réchauffai sans le toucher le petit tombé du nid. Je levai les yeux. Nos regards se croisèrent encore dans le miroir. Marc voyait ce que je faisais avec mes yeux. Il s’éclaircit la voix, il faillit se couper. Je baissais toujours les yeux. Je le ranimai, je le réchauffai, je le flattai encore plus bas. Marc jeta se lame de rasoir sur la tablette de verre. Il saisit mes poignets :
-Non, Thérèse, non ! Avec ton régime nous serons cinglés avant six mois.
-Nous serons cinglés, dis-je sans lever les yeux.
Je sentis que Marc aussi baissait les yeux et se regardait. Il serra les poings, il reprit sa lame de rasoir sur la tablette.
-Nus à dix heures du matin dans ce trou, dit Marc.
Je regardai : il se rasait et il regardait dans le miroir si je baissais les yeux pour voir plus bas. Je vins dans son dos, je lui frôlai lentement les hanches. Il ne me repoussa pas.
Nos regards se croisaient toujours dans le miroir, nos yeux brillaient. La main de Marc trembla, la lame de rasoir tomba dans l’évier. Je la pris, je l’essuyai et la rendis à Marc. Il haussa les épaules, il s’approcha du miroir. Je revins derrière lui, je l’enlaçai. Ma main suivit le chemin rêvé depuis le transparent de cheveux argent jusqu’à l’aine.
-Je te le donne, je te le donne ! dit Marc avec désespoir.
Le bouton d’iris que j’enfermais dans ma main avait une douceur d’apôtre.
La main de Marc trembla plus fort. Il cessa de se raser.
-Il n’y a pas que cela au monde, dit Marc.
Je le serrais, je le fortifiais, mon âme remerciait, les murs ruisselaient. Marc lança la lame dans l’évier, il enleva ma main avec des doigts contractés.
Je le suivis dans la chambre.
Il se jeta à plat ventre sur le lit, il serra l’oreiller dans ses bras.
Il souffre : j’ai la paix. Il souffre : je vais et je viens dans la chambre. Il souffre : je ne suis plus la vague qui se brise contre le rocher.
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Info: Dans "Ravages", éd. Gallimard, Paris, 1955, pages 334-335
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