pop art

...L'efficacité des psychédéliques en matière d'art tient à leur capacité à rendre le langage sans poids, aussi fluide et éphémère que ces fameuses "lettres bulles" des années soixante. Je crois que ces psychotropes déconnectent à la fois le signifiant et le signifié de leurs prétendus référents du monde phénoménal - nous conférant simultanément un aperçu viscéral de la mécanique culturelle du langage, parallèlement à l'écrasante déduction d'une nature tumultueuse qui tourbillonne au-delà ou en deça de celui-ci.

De ma propre expérience, j'ai toujours senti que la langue était une nappe posée sur la table, jusqu'à ce qu'un serveur céleste la secoue d'un coup, la fasse flotter et la laisse retomber sur le monde dans une position différente de celle qu'elle avait avant, donnant ainsi un aperçu vertigineux de l'abîme qui sépare le monde véritable de la connaissance que nous en avons de lui.

Et c'est dans cet abîme que l'horror vacui de l'art psychédélique se déploie tel un pont incandescent. Car si c'est une chose de croire, sur base de preuves théoriques, que nous vivons dans une prison du langage, c'en est une autre de le réaliser après avoir jeté un coup d'oeil dans le vide insondable et glissant de cette Bastille en train de se démantibuler autour de nous. Pourtant, l'art psychédélique use de cette apparente occasion de perdre espoir en célébrant cette fuite du contrôle verbal par un débordement fluide qui emplit tout d'une profusion pleine de sens de rires et de lumières.

Auteur: Hickey Dave

Info: Air Guitar :  Essays on Art and Democracy. Trad Mg

[ dépassement cognitif ] [ art pictural ] [ lsd ]

 

Commentaires: 2

Ajouté à la BD par miguel

Commentaires

Plouin, pf.plouin@gmail.com
2020-11-15 02:38
Peu tenté par la chimie, d'autres obtiennent la transe par la fatigue, l'insomnie ou la danse. Mais la métaphore et le fond de la nappe secouée est splendide, variante de la grotte de Platon
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2020-11-17 07:00
Pour m'être essayé à quelques produits en mes jeunes années (et je lisais simultanément ce que Michaux avait écrit sur ses propres expériences en ce domaine) je pense pouvoir affirmer que le "décalage" est beaucoup plus marqué que ce que j'ai pu vivre sans ces béquilles. L'extrême fatigue étant ce qui s'en rapproche le plus, après 2 nuits blanches consécutives par exemple.
Pour moi l'imprégnation est la plus forte, irréversible, l'émergence vivante n'en vivra qu'une "nuts and bolts", ainsi le miroir de Platon devrait être divisé en autant d'entités solipsistes/miroirs. Peut-être est-ce son idée, je ne sais pas.
J'ai l'impression que Lovecraft a passé son temps à essayer de formuler ce que de tels décalages peuvent faire entrevoir - horrifiques si possible en ce qui le concernait.