philosophie moderne

"L’autonomie" que réclame Ricœur pour l’herméneute contemporain est enfin le signe d’une rupture avec le discours sacré de la tradition : rien ne peut lui être imposé qu’il ne puisse remettre en question. L’évolution sémantique du mot grec theôria est une parfaite illustration de ce processus d’arrachement. Tout d’abord associé à l’idée de contemplation et de vision, il prendra vers le XVIIe siècle le sens que nous lui connaissons de construction intellectuelle. Ce fantastique renversement de perspective, véritable fondement de la modernité, sera comme on le sait entériné par Kant au moyen du concept d’"aperception transcendantale" : l’objet n’est plus source de connaissance, il est construit par le moi transcendantal. Historiquement, il n’est pas douteux que les nouvelles valorisations de l’individu issues de la Réforme protestante ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration de cette herméneutique constructiviste que prône Ricœur et à laquelle il se trouve justement rattaché comme Kant. De façon similaire, dans un texte hautement significatif, H. Corbin présentera la méthode interprétative de Jung en la reliant explicitement à celle de Schleiermacher ; pour lui, celle-ci doit conduire à la création d’une "religion individuelle (...) libérée des normes collectives". Or, le point commun entre ces différentes approches réside dans cette même tentative de constitution d’une "foi post-religieuse" selon l’expression de Ricœur, centrée sur l’individu et rigoureusement indépendante d’un magistère traditionnel.

Auteur: Geay Patrick

Info: Dans "Hermès trahi", page 43

[ réinterprétation libre ] [ imagination ] [ critique ]

 

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