possessivité maternelle

Un soir enfin le baron parla du collège ; et Jeanne aussitôt se mit à sangloter. Tante Lison effarée se tenait dans un coin sombre.

La mère répondait : "Qu’a-t-il besoin de tant savoir ? Nous en ferons un homme des champs, un gentilhomme campagnard. Il cultivera des terres comme font beaucoup de nobles. Il vivra et vieillira heureux dans cette maison où nous aurons vécu avant lui, où nous mourrons. Que peut-on demander de plus ?"

Mais le baron hochait la tête. "Que répondras-tu s’il vient te dire, lorsqu’il aura vingt-cinq ans : Je ne suis rien, je ne sais rien par ta faute, par la faute de ton égoïsme maternel. Je me sens incapable de travailler, de devenir quelqu’un, et pourtant je n’étais pas fait pour la vie obscure, humble, et triste à mourir, à laquelle ta tendresse imprévoyante m’a condamné."

Elle pleurait toujours, implorant son fils. "Dis, Poulet, tu ne me reprocheras jamais de t’avoir trop aimé, n’est-ce pas ?"

Et le grand enfant, surpris, promettait : "Non, maman."

— Tu me le jures ?

— Oui, maman.

— Tu veux rester ici, n’est-ce pas ?

— Oui, maman.

Alors le baron parla ferme et haut : "Jeanne, tu n’as pas le droit de disposer de cette vie. Ce que tu fais là est lâche et presque criminel ; tu sacrifies ton enfant à ton bonheur particulier."

Elle cacha sa figure dans ses mains, poussant des sanglots précipités, et elle balbutiait dans ses larmes : "J’ai été si malheureuse… si malheureuse ! Maintenant que je suis tranquille avec lui, on me l’enlève… Qu’est-ce que je deviendrai… toute seule… à présent ?… "

Auteur: Maupassant Guy de

Info: Dans "Une vie", éditions Gallimard, 1974, pages 253-254

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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