fils-père

La poésie est quelque chose qui vient tout naturellement aux Panofsky. Tenez, mon père, par exemple. Le détective inspecteur Izzy Panofsky a quitté en état de grâce cette vallée de larmes. Ça fait aujourd'hui trente-six ans qu'il est mort d'un arrêt du cœur sur une table de massage, dans le nord de Montréal, tout de suite après avoir éjaculé. On m'a appelé pour venir chercher son corps, et, quand je suis arrivé, j'ai été pris à part par une jeune Haïtienne, visiblement secouée. Ce n'était pas pour me dire qu'elles avaient été ses dernières paroles, mais pour m'annoncer qu'il n'avait pas eu le temps de signer sa facture de carte bleue avant d'expirer. En fils attentionné, j'ai réglé ce dernier élan de passion de mon père, sans oublier d'ajouter un généreux pourboire et de formuler toutes mes excuses à l'établissement pour le dérangement. Et, cet après-midi, anniversaire de la mort de mon père, je me suis rendu comme tous les ans en pèlerinage au cimetière de Chevra Kadisha, et, comme tous les ans, j'ai versé sur sa tombe une bouteille entière de whisky de seigle Crown Royal ; et, au lieu de déposer un caillou comme c'est l'usage, j'ai laissé en partant sur la dalle funéraire un sandwich seigle-pastrami et un gros cornichon.

Auteur: Richler Mordecai

Info: Survivre, etc..., pp. 292-293

[ épectase ] [ deuil ]

 

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