- Y a des années, je ramassais les mots que se
passaient les élèves. Dès que j'en voyais se pencher un
peu trop sur la table, glisser la main, hop là, je chopais
vif au passage le mot, je remerciais, et je rangeais le mot dans ma trousse. L'élève venait prudemment me le réclamer quand ça sonnait et je lui disais qu'il avait pas à s'inquiéter, que je m'en servirais pas contre lui mais je le lui rendrais pas non plus. Quand il avait
refermé la porte, je sortais le mot de ma trousse.
Fallait déchiffrer. Vite écrit, avec du phonétique, des abréviations, de leur langue à eux, des pseudos
des surnoms, des allusions. Des ruptures d'
amitiés. Des Pourquoi tu me fais la gueule depuis
ce matin ? Des trucs de cul. De la haine (
Je vais la démolir cette meuf, etc.) mais jamais formulé
comme ça. Du fait de leur langue, y avait toujours
quelque chose de bizarre, venu du monde souterrain de la classe, inscrit tel quel sur ces tout petits bouts de papier froissés, et qui retranscrits propre n'auraient
pas donné grand-chose, auraient peut-être
nourri ces recueils de "perles" qui font marrer les adultes crétins et les profs dans les salles de profs.
Ces mots, je les ai jetés. Ils ont tout fait pour que
ce soit pas rendu public, alors je vois pas pourquoi
je les publierais sous prétexte que l'occasion se
présente ou que ça pourrait être la matière d'une
enquête ou je ne sais quoi on peut encore inventer
comme justification pour faire exactement ce que
les gens veulent pas qu'on fasse.
Auteur:
Info: "Un hamster à l'école", éd. La fabrique, p. 193-194
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