Quiconque aura premier la main embesongnée
A te couper, forest, d’une dure congnée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre baston,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cerés le Chesne venerable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,
Puis pressé de la faim, soy-mesme se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se devore après par les dents de la guerre.
Qu’il puisse pour vanger le sang de nos forests,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux interests
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme.
Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour neant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.
Escoute, Bucheron (arreste un peu le bras)
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force
Des Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce ?
Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de detresses
Merites-tu, meschant, pour tuer des Déesses ?
Forest, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
e paistront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus le Soleil d’Esté ne rompra la lumière.
Plus l’amoureux Pasteur sur un tronq adossé,
Enflant son Flageolet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette :
Tout devienda muet : Echo sera sans voix :
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu perdras ton silence, et haletans d’effroy
Ny Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.
Adieu vielle forest, le jouet de Zephyre,
Où premier j’accorday les langues de ma lyre,
Où premier j’entendi les fleches resonner.
D’Apollon, qui me vint tout le cœur estonner :
Où premier admirant la belle Calliope,
Je devin amoureux de sa neuvaine trope
Quand sa main sur le front cent roses me jetta,
Et de son propre laict Euterpe m’allaita.
Adieu vielle forest, adieu testes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le desdain des passans alterez,
Qui brulez en Esté des rayons etherez,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.
Adieu Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnastes à repaistre,
Peuples vrayment ingrats, qui n’ont sceu recognoitre
Les biens receus de vous, peuples vraiment grossiers,
De massacrer ainsi nos peres nourriciers.
Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô Dieux, que véritable est la Philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin perira,
Et qu’en changeant de forme une autre vestira :
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cyme d’Athos une large campagne,
Neptune quelque fois de blé sera couvert.
La matière demeure, et la forme se perd.
Auteur:
Info: Élégie contre les bûcherons de la forêt de Gâtine
Commentaires: 4
Coli Masson
26.01.2023
Je ne sais, je lis juste ta remarque.
miguel
25.01.2023
tu crois ? ;-)
Coli Masson
25.01.2023
J'espère que tu as remarqué que ce poème n'est pas en français moderne...