paysage

Maintenant c'est le jour à la campagne. Le tennis semble avoir été taillé dans le sommet tronqué de cette colline d'où le comté comme un parc inutile et fastueux, descend jusqu'à la mer en molles ondulations. Un jeune homme vêtu de toile blanche accompagné d'un geste allongé, la balle qu'il lance et qu'attend son adversaire, ramassant autour de soi ses gestes et son ombre. Sur un tertre de gazon bleu des jeunes femmes à chandails cerise, jaune, vert, cerise s'assemblent autour du thé, servi sur une table en rotin. Et le centre de toute clarté, de cette joie lustrée, l'essieu lumineux du cercle des femmes, qu'encadre celui, plus vaste, de la campagne et du ciel, c'est la théière d'argent qui chante comme les guêpes sur la tarte : les reflets de son couvercle renvoient l'image convexe du ciel, l'ombre des arbres ; son corps côtelé, les lignes amenuisées des figures et, en stries étroites, les chandails, cerise, jaune, vert, cerise.

Voici une lande de boue où l'herbe rare jute comme une éponge, sur laquelle tombe le crépuscule d'un vert pourri ; rien ne la limite que le ciel et, sur la gauche, les baraquements de bois blancs dont l'odeur de beurre fort vient jusqu'à moi. Des flaques d'eau renvoient au ciel lavé, vidé de sa pluie, l'image d'une lune d'aluminium. Sur les chemins défoncés, les roues à facettes de l'artillerie lourde font des ornières de vertébrées remplies d'une eau mauve.

Ou encore sur la route encaissée qui relie l'arsenal à la caserne, montent sous l'averse des fantassins en veston. Dans la boue, sous le ciel bas, des caissons se guindent tirés par des chevaux de brasseur, conduit par des soldats aux figures douces et fermées. Derrière eux descend vers le fleuve plombé, la plaine couverte à l'infini de tentes, de charrois, de pièces de marine sans affûts, régulières comme ouvrage de taupes, les tranchées de la nouvelle armée.

Sur le ciel enfin c'est la ville avec ses cheminées dressées, ses gazomètres trapus, ses ponts de fer ajourés, les rails clairs, les signaux, les disques, les mâtes des voiliers, les fumées lourdes des vapeurs sous pression et l'arsenal mouillant ses marches roses dans le fleuve que remonte la marée.

Auteur: Morand Paul

Info: Tendres stocks (1921, 146 p., le livre de poche, p.36, 37)

[ beauté ] [ poésie naturelle ]

 

Commentaires: 1

Commentaires

Justin, justinlapostolle09@gmail.com
2023-02-02 03:55
Premier livre de Morand, un recueil de trois nouvelles, ici, une pureté de l'éclat stylistique, la tranquille maitrise, un livre préfacé par Marcel Proust...
Bientôt nous évoquerons peut-être l'excellent France la doulce (1934) roman sur le milieu du cinéma, via des citations évidemment.