harmonie cosmique

Il était allé un jour dans la montagne, c’était une journée claire, ensoleillée. Il avait rôdé pendant longtemps, tourmenté par une pensée qui n’arrivait pas à prendre forme. Il voyait devant lui un ciel éclatant, un lac tout en bas, et tout autour un horizon clair, sans limite. Il avait contemplé tout cela avec souffrance. Il se rappela maintenant comment il avait tendu ses mains en pleurant vers ces espaces azurés. Il se tourmentait de se sentir étranger à tout cela. Qu’était-ce donc que ce festin, immense et éternel, qui ne se termine jamais, et vers lequel il se sentait attiré depuis son enfance, sans réussir à y prendre part : chaque matin, on voit se lever un soleil tout aussi éblouissant ; chaque matin, on aperçoit un arc-en-ciel au-dessus de la chute d’eau ; chaque soir, une montagne, la plus haute de toutes, couverte de neige, située très loin, là-bas, aux confins du ciel et de la terre, prend des reflets pourpres ; chaque "mouche qui bourdonne autour de lui dans un chaud rayon de soleil prend part à ce chœur, connaît sa place, l’aime et se sent heureuse". Chaque brin d’herbe pousse et trouve son bonheur. Et tous, tous connaissent leur chemin, tous viennent et repartent en chantant. Lui seul ne sait rien, ne comprend rien, ni aux hommes, ni aux sons, étranger pour tous, pauvre avorton qu’il est !

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: "L'idiot", traduit par Nicolas Poltavtzev Presses de la renaissance, Paris, 1974, page 346

[ ordre naturel ] [ exclusion ] [ souffrance ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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