corps-esprit

D’une manière générale, il faut bien le remarquer : sur les conditions effectives de la pensée, le Descartes de la maturité n’a guère pris position. […]

En tout cas, nous n’avons, en perspective cartésienne, aucune idée de ce que serait un processus de pensée – ne disons pas un raisonnement, mais un processus de pensée – qui ne serait lié à aucune condition cérébrale. En droit, la substance de la pensée et la substance pensante elle-même sont indépendantes du corps. En fait, le corps assiste toujours la pensée, avec la double dimension du support et du facteur de retardement, de l’auxilium et de l’impedimentum.

En somme, que peut penser l’âme sans le corps ? Si "sans le corps" veut dire : sans une implication expresse du corps dans le processus de pensée, et sans une représentation corporelle plus ou moins ressemblante de l’objet de la pensée, la réponse sera qu’elle peut penser quantité de choses. Si en revanche « sans le corps » veut dire : sans aucune affection d’origine corporelle, la réponse est que nous n’en savons rien, ce qui veut dire : peut-être rien. Et si, assurément, Descartes refuse de considérer la pensée comme une propriété émergente, il ne caractérise en même temps l’esprit comme "chose complète" que de manière très précautionneuse. Disons que l’esprit est chose complète (indépendante) par sa notion et non par son activité.

Si donc il faut reprendre la question du sens du "dualisme cartésien", on dira que ce dualisme est essentiellement fonctionnel. Là où ne règne et où ne peut être obtenue aucune espèce d’évidence empirique (de l’indépendance des opérations de l’esprit à l’égard du corps), on peut néanmoins parler d’une évidence conceptuelle qui se recommande par son utilité intellectuelle et pratique. […] la "distinction réelle" de l’esprit et du corps est destinée à faire respecter la différence entre les objets de la pensée : il n’y a pas à traiter les pensées comme des processus physiques ou de purs produits de processus physiques, ni à considérer les mouvements de la nature comme des réalisations d’intentions. […] Au contraire, la distinction cartésienne règle les manières de parler des choses, et elle permet à la pensée de prendre possession d’elle-même, ou des idées qui lui donnent forme, comme elle peut prendre possession des choses étendues : seule en effet la certitude que ces idées appartiennent originairement à l’esprit […] lui donne l’assurance de pouvoir aller au bout de ses propres opérations et d’atteindre à une perfection spécifique qui autrement relèvera du hasard.

Auteur: Kambouchner Denis

Info: La question Descartes, éditions Gallimard, 2023, pages 158 à 160

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Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

Coli Masson, colimasson@live.fr
2024-03-09 21:57
C'est Kambouchner ... (j'ai fait une cartésite ce soir)