On ne comprit point, non plus, pourquoi le prestige des hommes politiques et des gouvernants s’en allait diminuant chaque jour ; c’est qu’en réalité, eux aussi, n’étaient plus des chefs, mais de simples cellules différenciées d’un même organisme homogène.
La production dramatique qui reflète toujours exactement les mœurs du temps suivit ce mouvement général. On ne se soucia plus, comme autrefois, de construire une pièce exposant une idée générale ou décrivant un caractère humain éternel ; on écrivit de petites scènes successives, divertissantes, chacune dans le moment où on la jouait, mais sans lien nécessaire, sans idée d’ensemble. On les écrivit pour tel théâtre, pour tel public, pour tel interprète, pour telle saison, pour les nuances de la mode d’un jour. On souhaita le succès dans une minute déterminée et personne, dans ce temps de relativité, ne songea plus, comme autrefois, à l’immortalité.
À côté du théâtre proprement dit, une indication non moins précieuse fut donnée, à cette époque, par l’évolution caractéristique de la musique.
Au lieu d’une musique individuelle où l’art personnel du chanteur était seul en jeu, on préconisa, petit à petit, une orchestration symphonique où le chanteur ne jouait plus que le rôle d’un instrument secondaire. De même que, dans le spectre solaire, au-dessus des rayons colorés, visibles pour l’œil, se trouvent des rayons chimiques dont on constate indirectement la présence, il y eut, dans la musique comme dans la composition dramatique, une sorte de symphonie supérieure à la parole, inaccessible directement à l’être humain, dont l’existence était bien constatée scientifiquement mais dont on ne pouvait plus donner de définition directe, exacte et purement sensuelle.
Ce fut une sorte d’harmonie sociale ne correspondant plus au rythme individuel, dominant l’homme en l’enveloppant, une nouvelle "Marseillaise" scientifique sans charme, sans inspiration, sans harmonie mais harmoniquement juste suivant les lois de l’acoustique et qui appartenait en propre — on ne le comprit que bien plus tard — au colossal Léviathan, qui, peu à peu, développait sa formidable et complexe personnalité.
Auteur:
Info: Voyage au pays de la quatrième dimension, Flatland éditeur, 2023, pages 99-100
Commentaires: 0