Quelque défiance qu’elle lui inspire, la démocratie est sortie du sein du libéralisme, c’est le fruit de ses entrailles, et il n’en pouvait naître autre chose. Il aurait beau la renier, c’est l’enfant de sa chair et de son sang, mais un enfant qui, tout en gardant l’empreinte de ses traits, ne lui ressemble guère. Fille indisciplinée, passionnée, remuante, impatiente de toute règle, présomptueuse et arrogante, elle est loin d’écouter docilement les froides leçons de son père ; elle ne se fait pas scrupule d’être rebelle à ses maximes ; elle est portée, en grandissant, à ne voir en lui qu’un mentor gênant. Le libéralisme a découvert peu à peu que, tout en se réclamant à l’occasion du nom de liberté, la démocratie était d’instinct autoritaire, et que, ne pouvant toujours mettre son tempérament d’accord avec le principe de liberté, elle préférait plier ce dernier à son tempérament. Une fois émancipée et investie de la souveraineté, la démocratie s’est presque partout montrée prompte à faire bon marché des solutions libérales, chaque fois qu’elle en croyait apercevoir de plus conformes à ses appétits ou à ses ambitions. Rien de plus simple. Les intérêts ou les penchants, qui avaient d’abord espéré tout gagner à la ruine du principe d’autorité, se sont plus ou moins insurgés contre le principe de liberté, dès qu’ils ne se sont plus flattés d’y trouver leur profit.
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Info: Les mécomptes du libéralisme, Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 69, 1885
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