Avec leur acuité d’esprit proverbiale, les grands scolastiques Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin ont senti que le Philosophe [Aristote] fait référence, dans son De memoria et reminiscentia, à un art de la mémoire identique à celui que Tullius enseigne dans sa Rhetorica seconda (l’Ad Herennium). L’œuvre d’Aristote devint donc pour eux une sorte de traité sur la mémoire, qu’il fallait rapprocher des règles de Tullius et qui fournissait les justifications philosophiques et psychologiques de ces règles.
La théorie d’Aristote sur la mémoire et sur le souvenir est fondée sur la théorie de la connaissance exposée dans le De anima. Les perceptions données par les cinq sens sont, d’abord, traitées ou travaillées par la faculté de l’imagination, et ce sont les images ainsi formées qui deviennent le matériau de la faculté intellectuelle. L’imagination est l’intermédiaire entre la perception et la pensée. Ainsi, alors que toute connaissance dérive, en dernière analyse, d’impressions sensorielles, ce n'est pas sur cette matière brute que la pensée travaille, mais seulement une fois que ces impressions ont été traitées, ou absorbées, par la faculté imaginative. […]
Pour la scolastique, et pour la tradition sur la mémoire qui en est dérivée, la théorie mnémonique et la théorie aristotélicienne de la connaissance se rejoignaient par l’importance qu’elles donnaient toutes deux à l’imagination. […]
Le De memoria et reminiscentia est un appendice du De anima et il commence par une citation de cet ouvrage : "Comme il a été dit auparavant dans mon traité De anima à propos de l’imagination, il est même impossible de penser sans une image mentale". Il continue en disant que la mémoire appartient à la même partie de l’âme que l’imagination ; c’est un ensemble d’images mentales recueillies à partir des impressions sensorielles mais avec, en plus, un élément temporel, car les images mentales de la mémoire ne dérivent plus de la perception de choses présentes, mais passées. […] Néanmoins, la faculté intellectuelle joue un rôle dans la mémoire, puisque la pensée y travaille sur les images qu’y a déposées la perception sensorielle.
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Info: L'art de la mémoire, de l’anglais par Daniel Arasse, éditions Gallimard, 2022, pages 59 à 61
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