Le mot de gnose, décalque du grec gnôsis, signifie connaissance. S’il est utile de l’employer, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une connaissance ordinaire, mais d’une connaissance sacrée, et non seulement elle est sacrée dans son objet qui est la divine Essence, mais elle l’est aussi dans son "mode" qui est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Le terme cependant sert aussi à caractériser une hérésie des premiers siècles du christianisme qui est, en vérité, un angélisme, et à laquelle il conviendrait de réserver proprement la dénomination de gnosticisme. Ce gnosticisme se définit par deux traits essentiels : le refus de la création et de l’Incarnation d’une part, et d’autre part, la prétention de réduire la Vérité et sa Révélation à des schémas mentaux en perdant de vue sa dimension irréductiblement surintelligible. […] L’hérésie du gnosticisme a au moins réussi à convaincre ses adversaires qu’il n’y avait qu’une seule gnose, la sienne. Dès lors, la gnose, dans le christianisme, est frappée de suspicion : elle devient le péché majeur de l’intelligence. La conséquence d’un tel rejet sera terrible. Comme on refuse toute connaissance mystique de Dieu, on ramène la théologie à une connaissance purement rationnelle. Cette connaissance étant humaine et naturelle dans son mode, même si elle est divine dans son objet, on en arrive à ne voir en elle qu’un exercice profane qui ne se distingue pas de la spéculation philosophique, et qui est finalement inutile au salut. C’est la réaction luthérienne. Enfin, cette connaissance inutile sera même réputée comme dangereuse et aliénante : seul compte l’existentiel chrétien ; c’est l’hérésie bultmannienne qui fait de l’existentiel le critère à la fois de l’herméneutique et de la théologie, c’est-à-dire de l’interprétation des Ecritures et de l’élaboration doctrinale. La praxis devient le critère de la theôria, si bien que la theôria n’est plus qu’une doctrine de la bonne praxis, une orthopraxis, selon l’expression de certains modernistes. […] On a oublié qu’il existait une autre connaissance qui n’est pas ratiocination, mais un connaître qui peut être aussi un être par la grâce du Logos, savoir, la gnose que le Saint-Esprit actualise en nous et qui est le fondement interne de la sainte théologie.
[…] la théologie spéculative (ou scolastique), loin de s’opposer à la théologie mystique (ou gnose) permet d’y accéder, parce que, satisfaisant le besoin de causalité de la raison humaine, elle fixe et apaise le mental humain, et […], par son imperfection même, elle appelle à son propre dépassement, invitant la raison à se soumettre à l’intelligence spirituelle.
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Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 335-336
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