scolastique moderne

L’être […] est attribué à l’accident et à la substance de manière analogique (et non pas de manière univoque) dans la mesure où l’être de l’accident renvoie à l’être de la substance (et non réciproquement). C’est précisément pourquoi on peut parler d’une analogie de l’être, ce qui signifie que l’être n’est dit de la substance et de l’accident que de manière analogique. Mais qu’en est-il, maintenant, si nous introduisons la considération de l’être divin comparé à celui des créatures ? Être ne peut se dire équivoquement de Dieu et des créatures : ce serait ne rien dire. Il ne peut se dire univoquement : ce serait du panthéisme. Il se dit donc analogiquement. Mais de quelle analogie ? Est-ce de l’analogie d’attribution ? Il ne semble pas car […] l’être de l’accident en appelle à l’être de la substance : l’accident n’existe que de l’existence de la substance. Est-ce ainsi qu’existe la créature ? Existe-t-elle de l’existence dont Dieu existe ? Assurément, non. L’accident peut bien être, du point de vue de l’être, identifié à la substance, la créature, du même point de vue, ne peut l’être à Dieu, sinon elle n’existerait pas elle-même et ne serait qu’un accident de la Substance divine. Il faut donc que ce soit selon une analogie de proportionnalité.

[…] Dans l’analogie d’attribution, les entités analoguées sont unies par une relation ontologique qui fonde la légitimité de l’attribution. Dans la proportionnalité, chaque entité est mise en rapport avec une autre, et ce sont ces divers rapports qui sont identifiés, non les analogués eux-mêmes. En conséquence, l’analogie de l’être, dans le cas de l’être divin, si l’on tient à préserver sa transcendance, doit être considérée selon une simple égalité de rapports : l’existence incréée est à Dieu ce que l’existence créée est à la créature. "Cela ne veut pas dire, explique Etienne Gilson, que le rapport de Dieu à son être soit le même que celui de l’homme à son être : ils sont au contraire infiniment différents ; mais dans les deux cas, le rapport existe, et le fait qu’il existe à l’intérieur de chaque être établit entre tous les êtres une analogie. C’est cela même qui est l’analogie de l’être, et l’on voit pourquoi elle n’est qu’une analogie de proportionnalité, car elle peut s’établir entre des êtres qui n’ont entre eux aucune proportion, pourvu que chacun d’eux soit à l’égard de soi ce que les autres sont à l’égard d’eux." [L’esprit de la philosophie médiévale, 1948, page 98]

A vrai dire, cette conclusion n’est pas reçue par tous les thomistes. Le Père Henri-Dominique Gardeil estime, en accord avec Jean de Saint-Thomas, que l’on se trouve ici "devant un cas d’analogie mixte où paraissent se conjuguer la proportionnalité et l’attribution" [Initiation à la philosophie de saint Thomas, t. IV, 1966, page 41]. On ne saurait nier, en effet, que l’être ne se dise par priorité de Dieu, ce qui implique une hiérarchie de l’ordre ontologique (ce qu’on appelle une ontologie scalaire) et un premier analogué, donc une analogie d’attribution. Gardeil fait d’ailleurs remarquer que cette mixité se rencontre chaque fois qu’il est question des "transcendantaux" […] ; ces notions sont, outre l’être, l’un, le vrai, le bien, le beau […]. […]

Ces remarques montrent déjà qu’au sein de la famille thomiste, les divergences ne manquent pas […] ; et d’ailleurs, comment concilier le thomisme de Gilson avec celui de Garrigou-Lagrange, ou même de Maritain ? Mais ils s’accordent cependant à désigner l’analogie de proportionnalité propre comme celle dont relève l’analogie de l’être qui est, par excellence, l’analogie métaphysique.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 37 à 39

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