chute du fantasme

- Vous ne regrettez rien, vraiment ? Ce sera sérieux et définitif, vous savez.

- Je l’espère… On ne donne qu’une fois son cœur de jeune fille. Et je sens que vous m’aimerez toujours.

A ce mots, Jean Dézert s’émeut. Il prend Elvire dans ses bras – dans ses bras maigres. Le voilà qui devient lyrique, maintenant.

- Elvire, Elvire ! Saurez-vous jamais tout ce qui s’étonne en moi de m’entendre prononcer ce nom d’Elvire, célébré jadis par des bouches beaucoup plus autorisées que la mienne Des siècles d’ennui, Elvire, des siècles de bureau, s’exaltent devant la fantaisie que tu représentes à mon âme d’employé de ministère. Demeure telle, sois puérile et vaine, divine et sans objet, toi-même, dis-je, et console-moi de ce que le ciel, dans ma misère, m’ait nanti de la conscience de mon moi – si l’on peut s’exprimer ainsi, en l’espèce.

Elvire le regarde en face, qui penche vers elle son visage dans la lueur projetée par l’abat-jour de porcelaine. Elle le regarde en face pour la première fois de sa vie. Alors, comme sans raison, elle se détache de lui. Elle éclate en sanglots et s’assied les coudes sur la table, la figure dans ses mains.

- Je vous ai fait de la peine, Elvire. Pardonnez-moi ; mais il fallait que ces choses-là fussent dites.

Il la presse de répondre. Enfin, ça lui pèse trop lourd sur le cœur, sans doute.

- Oh ! je n’avais pas remarqué que vous aviez la figure si longue. Pourquoi, mon Dieu, ne vous ai-je pas mieux examiné plus tôt ! C’en est fait ! Je ne pourrai jamais, jamais plus vous aimer dans de pareilles conditions.

Jean Dézert conçoit d’un seul coup toute l’étendue et le caractère irrévocable du désastre. Il s’assied près de sa fiancée, cherchant une parole de circonstance. Mais comment insister ?

- Je me doutais qu’il arriverait un accident de ce genre ; j’aurais dû le prévenir. Il est trop tard, je me rends compte. Pauvre petite Elvire ! Perdre ainsi ses illusions ! Ne plus pouvoir aimer son fiancé parce que l’on s’aperçoit un soir – révélation ! – qu’il a la figure trop longue ! Je laisse à d’autres le soin d’expliquer cela, car j’en souffre autant que vous, allez. Mais vous êtes jeune. Vous en reviendrez et vous oublierez cette histoire. – Adieu, Elvire ! …

Auteur: De La Ville de Mirmont Jean

Info: Les dimanches de Jean Dézert, éditions de la Table Ronde, 2013, pages 84-86

[ mariage annulé ] [ couple ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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