Elle pourrait être placée sous le signe du réalisme symbolique, terme par lequel je désignerai ce qui fait le fond de ma conviction philosophique : il y a, dans l’intelligence, un sens inné de l’être ou du réel en tant que tel – et donc aussi de ce qui n’est pas ; mais l’homme ne fait jamais que l’expérience de telle ou telle réalité. Sans cette expérience, le sens du réel ne s’éveillerait pas en moi à la conscience de soi et l’intelligence ignorerait sa propre nature ontologique. Et cependant, aucune expérience n’assouvit pleinement le désir de l’être, constitutif de la visée intellective. […] Par là est reconnu et justifié ce qu’il y a d’incontestable dans l’analyse heideggérienne : l’Etre véritablement être ne saurait être identifié à l’être singulier, à l’étant. Mais loin d’être le lieu de son oubli, l’étant est l’occasion de sa révélation. Et cette révélation est double. D’une part elle éveille l’intelligence à son essence ontotropique, ce qui signifie que l’intelligence, dans l’expérience ontique (ou expérience des étants) découvre la nature transcendante de sa propre visée ontologique, autrement dit se découvre comme sens et désir de l’Etre en tant que tel, et non seulement comme saisie de tel ou tel étant : elle aperçoit en elle, dans sa vie propre, une intention qui dépasse l’ordre naturel des étants, auquel elle n’est donc pas exclusivement ordonnée. D’autre part, l’expérience ontique est moins la saisie de l’étant lui-même, que la découverte de son insaisissabilité. Tout être objectivement réel est une objection. Ce qui est, c’est ce qui me résiste. Je fais donc l’expérience de l’être de l’étant sur le mode de ce qui, en lui, m’échappe : ce qui est en soi, c’est ce qui, de l’étant, n’est-pas-pour-moi. C’est l’expérience-limite d’un au-delà de ma visée intellective, la paradoxale rencontre avec ce qui arrête mon regard et l’exténue.
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Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 271-272
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