En dépit de toutes les difficultés qui résultent d’un tel état de choses, il y a cependant au moins un point qui ne semble pas douteux, et qui d’ailleurs n’a été contesté par aucun de ceux qui nous ont fait part de leurs observations, mais sur lequel, tout au contraire, quelques-uns se sont appuyés pour formuler certaines de leurs objections : c’est que, loin de n’être que la religion ou la tradition exotérique que l’on connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, et par conséquent initiatique. On peut en trouver une confirmation dans le fait que la tradition islamique considère le Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqah, c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une shariyah ou une législation d’ordre social et s’adressant à tous ; et cela est tellement vrai que, par la suite, on dut y suppléer par la constitution d’un droit "canonique" qui ne fut en réalité qu’une adaptation de l’ancien droit romain, donc quelque chose qui vint entièrement du dehors, et non point un développement de ce qui était contenu tout d’abord dans le Christianisme lui-même. Il est du reste évident qu’on ne trouve dans l’Évangile aucune prescription qui puisse être regardée comme ayant un caractère véritablement légal au sens propre de ce mot ; la parole bien connue : "Rendez à César ce qui est à César...", nous paraît tout particulièrement significative à cet égard, car elle implique formellement, pour tout ce qui est d’ordre extérieur, l’acceptation d’une législation complètement étrangère à la tradition chrétienne, et qui est simplement celle qui existait en fait dans le milieu où celle-ci prit naissance, par là même qu’il était alors incorporé à l’Empire romain. Ce serait là, assurément, une lacune des plus graves si le Christianisme avait été alors ce qu’il est devenu plus tard ; l’existence même d’une telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment inconcevable pour une tradition orthodoxe et régulière, si cette tradition devait réellement comporter un exotérisme aussi bien qu’un ésotérisme, et si elle devait même, pourrait-on dire, s’appliquer avant tout au domaine exotérique ; par contre, si le Christianisme avait le caractère que nous venons de dire, la chose s’explique sans peine, car il ne s’agit nullement d’une lacune, mais d’une abstention intentionnelle d’intervenir dans un domaine qui, par définition même, ne pouvait pas le concerner dans ces conditions.
Pour que cela ait été possible, il faut que l’Église chrétienne, dans les premiers temps, ait constitué une organisation fermée ou réservée, dans laquelle tous n’étaient pas admis indistinctement, mais seulement ceux qui possédaient les qualifications nécessaires pour recevoir valablement l’initiation sous la forme qu’on peut appeler "christique" […].
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Info: Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Omnia Veritas, 2017, pages 32 à 34
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