Je suis un lecteur impatient et plein de fougue. Toutes les redondances, toutes les mollesses, tout ce qui est vague, indistinct et peu clair, tout ce qui est superflu et retarde le mouvement dans un roman, dans une biographie ou une discussion d'idées m'irrite. Seul un livre qui, constamment, page après page, se maintient au niveau le plus élevé et vous entraîne tout d'un trait jusqu'à la dernière sans vous laisser le temps de respirer me donne un plaisir sans mélange. Je trouve que les neuf dixièmes des livres qui me sont tombés sous la main tirent trop en longueur par des descriptions inutiles, des dialogues prolixes et des personnages secondaires dont on pourrait se passer, et sont par là trop peu passionnants, trop peu dynamiques. Même dans les chefs-d'oeuvre classiques les plus célèbres, les nombreux passages sablonneux et traînants me gênent, et souvent j'ai exposé à des éditeurs le projet audacieux de publier, en une série où l'on s'oriente aisément, toute la littérature mondiale depuis Homère jusqu'à La Montagne magique en passant par Balzac et Dostoïevski, en éliminant radicalement de chacun de ces livres tout le superflu : tous ces ouvrages qui ont sans doute un contenu destiné à triompher du temps pourraient alors exercer sur notre époque une influence renouvelée et vivifiée.
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Info: Le Monde d'hier : Souvenirs d'un Européen
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