Wajari ne revient pas à la maison avec moi, mais m'annonce d'une voix sereine qu'il va déféquer dans la rivière. La purification doit se poursuivre jusqu'à son terme par une immersion dans les eaux encore très froides du Kapawi et l'évacuation au fil du courant des derniers déchets. Je devrais à notre camaraderie naissante de l'accompagner dans cette activité que les hommes liés par l'affection mènent toujours en tandem, mais j'ai renâclé jusqu'à présent devant cette soumission excessive aux obligations de l'observation participante. Légèrement en aval de la petite anse dédiée aux activités ménagères, Wajari fait un tapage de tous les diables : il bat l'eau de ses mains en poussant un hululement soutenu qui s'élève des vapeurs de la rivière comme une corne de brume. Il s'interrompt par moments pour hurler triomphalement : " Je suis Wajari! Je suis Wajari! je suis fort! je suis un jaguar qui va dans la nuit! je suis un anaconda! " Le contraste est saisissant avec la douceur des tableaux domestiques qui précèdent. Evanoui le tendre père, disparu l'hôte attentionné; c'est bien un guerrier qui maintenant exalte sa gloire dans l'aube attentive.
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Info: Les Lances du crépuscule
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