Cette synthèse [d’Aristote et de la théologie chrétienne, effectuée par Thomas d’Aquin] impliquait, du moins selon les apparences, une conception "naturelle" de l’intelligence, qui ne risquait plus ainsi de menacer la transcendance de la révélation. La philosophie servait la théologie, à la mesure de sa propre autonomie. On méconnaissait du même coup la possibilité d’une intelligence spirituelle, véritablement gnostique, d’un jnâna-yoga. Or, en situant l’intelligence hors de l’ordre surnaturel, en ignorant la possibilité d’une intellectualité sacrée, on "libérait" l’intelligence par en bas, on l’abandonnait aux normes de la raison, en lui refusant d’être, entitativement, illuminée par le Saint-Esprit. […] Le rationalisme devait en sortir, inévitablement.
Et pourtant, il est également incontestable que la théologie thomiste n’a jamais présenté le caractère "naturaliste" et franchement exotérique dont témoignent certains maîtres de la théologie islamique. […]
Par son caractère de "gnose incarnée", - "Qui m’a vu a vu le Père" - le christianisme semble "bloquer" a priori tout développement philosophiquement métaphysique : à quoi bon la philosophie la plus subtile et la plus universelle, puisque le Christ Jésus est le Verbe, c’est-à-dire la connaissance que Dieu a de lui-même. Mais, d’autre part, la nature même de certains éléments de cette révélation, s’oppose radicalement et définitivement à toute tentative d’herméneutique simplement exotérique et exige, par elle-même, un exhaussement du niveau herméneutique.
Nous sommes alors conduits […] à distinguer, dans la révélation, deux séries d’éléments dogmatiques : ceux qui sont susceptibles d’une double interprétation, tantôt charnelle et tantôt spirituelle, selon le niveau herméneutique adopté [dogmes naturels], et ceux, d’autre part, qui excluent une telle possibilité, et qui, s’opposant par leur nature à une compréhension simplement exotérique contraignent à l’exhaussement herméneutique […] qui, évidemment, n’est jamais réalisé ipso facto [dogmes sacrés].
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Info: L'intelligence et la foi, L'Harmattant, Paris, 2018, pages 89-90
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