Avant de partir, ils se servirent un nouveau cognac sous le châtaignier. La nuit était venue, calme et très claire ; au-dessus de leur tête, le châtaignier découpait dans le ciel un lourd nuage d’encre aux bords frisés qui jetait sur la terrasse une ombre plus noire, mais à travers sa frange de feuilles et jusque dans ses déchirures, on voyait briller un fouillis d’étoiles ; ils parlaient assez bas, paisiblement, avec des intervalles de silence ; la solitude, le parfum de forêt, l’ombre veloutée du feuillage énorme, la royauté fantomatique de ce village mort donnaient à Grange une impression de luxe singulier. La terre s’ensauvageait, toute rajeunie d’un parfum d’herbe haute et de campement nocturne, retrouvait l’humeur barbare de se loger au large ; il se faisait un silence frais à l’oreille, où quelque chose dans l’homme était vengé et ragaillardi : on eût dit que le ciel était plein d’étoiles neuves. Cachés dans l’ombre des arbres, où bougeait seul le point rouge de leurs cigarettes, ils regardaient dans la perspective de la ruelle pleine de nuit bleue les toits qui commençaient à se mouiller de lune. Les chauves-souris avaient cessé de voleter autour du châtaignier ; de la lisière de la forêt toute proche on entendait monter le qui-vive étrange de la hulotte.
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Info: Un balcon en forêt
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