gauche-droite

Le bruit qu’a suscité l’apparition de ce courant de pensée [la nouvelle droite] s’explique aisément. Il est dû à la triple conjonction d’un mouvement d’idées – celui dont Alain de Benoist est le plus vigoureux porte-parole –, du talent d’un journaliste exceptionnel, Louis Pauwels, et de la réaction violente de la gauche française. […] ce qui est nouveau, c’est qu’un hebdomadaire de fort tirage ait accueilli ces idées et les ait répandues avec l’habileté et le succès dont son directeur avait déjà témoigné par le passé, dans d’autres entreprises de presse. Voilà en effet plus de trente ans qu’en France des publications de grande qualité comme Rivarol, Ecrits de Paris, Aspects de la France, Défense de l’Occident, la Revue universelle, et quelques autres, s’efforcent de maintenir une certaine tradition intellectuelle "de droite", sans s’attirer, de la part de la presse de gauche, autre chose que le mépris le plus dédaigneux, celui qu’on accorde à l’adversaire irréductible, mais impuissant. […] Tout change lorsque le journalisme de gauche découvre, avec effarement d’abord, avec rage ensuite, qu’une revue "de droite" au sens propre du terme, dispose de capitaux suffisants pour s’assurer une large diffusion et que, somme toute, ses thèses se répandent et trouvent un écho. Voilà le crime inexpiable, le crime de lèse-majesté, celui qui suscite les mobilisations les plus générales et l’appel le plus véhément aux grandes formules conjuratrices : sus au fascisme, au nazisme, au racisme ! Le ventre immonde est toujours fécond, à nous les immortels principes de 1945 ! C’est Stalingrad ! No pasaran !

Cette irritation de la gauche est bien compréhensible si l’on observe que son règne, depuis trente ans, est sans partage. Une dictature si constante, si répandue, devient une habitude, et une habitude, comme on le sait, est une seconde nature. Dans une sorte de consensus presque tacite, chacun finit par reprendre pour son compte, comme allant de soi, les thèmes les plus communs que notre société met en circulation, si bien que les adversaires politiques en arrivent à tenir un langage identique. […] tous les partis français sont de gauche.

C’est précisément ce consensus que la nouvelle droite a prétendu rompre, d’abord en se situant expressément "à droite", ensuite en soutenant des thèses qui, sur bien des points, prennent l’exact contre-pied des thèses de la gauche intellectuelle, particulièrement en ce qui concerne la valeur de l’individu et l’importance respective des données naturelles et des constructions sociales dans sa formation, enfin en revendiquant un néopaganisme antichrétien, sans doute parce que l’idéologie de gauche apparaît à ces penseurs comme une sorte de "fille aînée de l’Evangile".

[…] Remarquons cependant, avant d’aller plus loin, que les idées de gauche avaient depuis longtemps atteint un degré de fausseté si criant, qu’elles ne pouvaient pas ne pas susciter, quelque jour, une réplique. Car telle est notre thèse : la nouvelle droite n’est rien d’autre que la vieille gauche à l’envers, l’une s’explique par l’autre et naît de l’autre comme sa réciproque, sans qu’aucune des deux puisse prétendre à être autre chose qu’une illustration de la décomposition intellectuelle et morale de notre "civilisation". 

Auteur: Borella Jean

Info: Tradition et modernité, L'Harmattan, Paris, 2023, pages 173 à 175

[ fausse opposition ] [ pensée dominante ] [ historique ] [ caractéristiques ] [ domination ]

 

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