auto-analyse

Voilà pourquoi l'histoire de Marcelle Pichon m'était restée en mémoire. Pourquoi ce fait divers avait "cogné à ma vitre", et pas un autre. D'autant qu'il m'était parvenu par la mirifique voie des ondes, comme une voix de plus dans mon crâne, un ordre m'étant intérieurement intimé et me soufflant directement dans l'étrier de l'oreille, par conduction osseuse, une voix d'Irène Oumélianko, si proche de celle de F*.

Ce fait divers, il était aussi le mien. La disparition de cette femme,  je l'éprouvais à l'époque dans ma chair. Sa solitude au milieu de la foule, je la vivais moi-même au quotidien. Sa mort par inanition, elle me parlait de mes propres privations. Son escargot dégorgeant, il dégorgeait dans ma bouche. Son journal d'agonie. J'avais le même

Le souvenir de cette émission de radio. Il était un souvenir écran.

Voilà.

Il était un souvenir que je m'étais fabriqué pour dissimuler un autre. Parce que, confrontée à un événement traumatique, il arrive que la mémoire transfère la charge émotionnelle sur la scène à la fois éloignée et anodine, quoique liée de façon indicible. On se souvient alors de ce qu'on a pas vécu et on s'en souvient très bien. Dans ce genre de situation, c'est le seul moyen de garder en mémoire ce qui a été refoulé, sans avoir à s'y confronter.

La caractéristique des souvenirs écrans, c'est leur "netteté", paraît-il. On se rappelle avec une extrême précision en détail en particulier car il est comme la clé qui code le chiffre de la mémoire. Un simple mot peut suffire. Un mot comme le mot escargot.

Auteur: Bouillier Grégoire

Info: Le coeur ne cède pas. pp 1264 - 1265. Livre de poche *Personne avec qui il avait rompu, trauma arrivé peu avant d'apprendre ce fait divers.

[ mémoire sélective ] [ mot-clé ] [ saillance ] [ focalisation mnésique ] [ autofiction ]

 

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