occidentaux

J'ai eu l'occasion, plus tard, de vérifier à chaque pas cette impression qui fut dès l'abord très forte et qu'accentuait une confrontation si rare, et ramassée sur ce résumé d'univers, fermé comme un bocal qu'est un navire. J'ai pris six grands bateaux au cours de ma randonnée maritime, trois français, un japonais, un américain, un anglais. Il est aisé, partout, de vérifier l'extrême innocence avec laquelle s'y livrent même les plus secrets d'entre les peuples qui s'y bousculent sans s'y mêler. L'Américain très abordable, cordial, même, mais timide et souvent brusque, justement par timidité. Le Français omniscient, indiscret, bavard, péremptoire, ou, bien plus rarement, bouclé dans la solitude et le silence d'une inaccessible vanité. L'Allemand pesant et pensif, tout gonflé de musique et de rêverie compliquée, éperdu du désir de plaire mais gaffeur, et marchant, pour lui montrer sa gratitude, sur les orteils de qui consent à ne pas lui tourner le dos. L'Irlandais partout le même, pétillant, avec son visage écarlate, ses cheveux rouges, son nez pointu, sa bouche mobile et sarcastique, son petit oeil émerillonné, et qui dit à toutes les dames, après deux minutes de conversation : " Appellez-moi Teddy! Je veux que vous m'appelliez Teddy... " Hélas ! on sème des amis le long du Périple, des amis qu'on ne reverra plus. Jamais plus. Même quand une intimité réelle était née entre eux et vous. En Amérique, au Japon, en Chine, aux Indes, peut-être pensent-ils à vous quelquefois. La plupart du temps, on a oublié leur nom, leur visage. Colliers égrenés au hasard dont le temps écrase les perles.

Auteur: Faure Elie

Info: Reflets dans le sillage, 1938

[ comparés ] [ portraiturés ] [ nationalités ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

Commentaires

No comments