Toute à sa tâche, servante appliquée, s’arrêtant pour reprendre du talc, elle le massait et le massait cependant que, les yeux de nouveau fermés, il revoyait la vive, la tournoyante, l’ensoleillée, son Ariane. De remords, il mordit sa lèvre. Lui dire de venir s’étendre auprès de lui et tâcher de la baiser sur la bouche, enfin ne pas la traiter en masseuse ? Tout à l’heure, peut-être. Pas le courage tout de suite. Pauvre bonne chérie. Oui, il la chérissait comme une mère, et elle lui répugnait comme une mère. Il l’avait désirée pourtant, autrefois. Quarante-cinq ans maintenant, la pauvre, ou davantage. La peau du cou granuleuse, un peu distendue. Les seins fléchissants. "Je vous masse bien ? – Oui chérie, très bien. (Ajouter que c’était exquis ? Non, le très bien suffisait. Garder exquis pour plus tard.) – Voulez-vous que je vous les mobilise ? – Oui, chérie, ce sera exquis."
Alors commença la mobilisation. Sa main gauche tenant la cheville, elle imprima avec l’autre main d’inutiles torsions savantes au pied nu qu’elle mobilisa et remobilisa avec, sur les lèvres, un petit sourire mécanique d’effort ou peut-être de fierté parce qu’il avait dit que ce serait exquis. Lui, il avait honte, et il haïssait son pied, et il avait pitié du noble visage studieusement penché sur cette antipathique extrémité, si idiote avec ses cinq orteils et qui ne méritait pas d’être ainsi révérée. Et elle ne s’arrêtait pas de mobiliser, pauvre déshonorée dans sa merveilleuse robe de chambre maculée de talc. Lui demander de démobiliser ? Mais que feraient-ils alors tous les deux ?
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Info: Belle du Seigneur, éditions Gallimard, 1968, pages 513-514
Commentaires: 2
Coli Masson
08.12.2025
Il parle d'une de ses maîtresses mais bon... couple peut convenir quand même, je ne sais pas. Eloignement ok.
miguel
06.12.2025
couple, éloignement ?