couple

Oui, désormais la divertir à fond, l’embrouiller. Dès demain, aller à Cannes, la bourrer de substituts du social. Lui acheter des robes chères, des robes de haute couture. Puis déjeuner au Moscou. Le caviar et le champagne étaient aussi des substituts du social. Pendant le déjeuner au Moscou, commenter les robes achetées. Puis lui acheter des bijoux. Puis théâtre ou cinéma. Puis roulette au Casino. Puis faire du cheval ou du canot automobile.

Ainsi pensait-il pendant que ses lèvres torturaient les lèvres de l’innocente. Et voyages aussi, des croisières, tous les pauvres bonheurs que je pourrai, pensait-il pendant l’interminable baiser. Oui, tout ce qu’il pourrait pour lui cacher leur lèpre, il le ferait, il le lui promettait en son âme. Oui, tout ce qu’il pourrait, tout pour fleurir le désert de leur amour, il le lui promettait en son âme, ses lèvres collées aux lèvres de celle qu’il voulait protéger. Mais jusqu’à quand le pourrait-il ? pourvu que je sois toujours seul à être malheureux, pensa-t-il.

"Déshabille-moi, dit-elle. J’aime que tu me déshabilles. Mais allume. J’aime que tu me voies."

Il alluma. Il déshabilla. Il vit. Oui, la prendre, lui donner le petit bonheur d’être prise, un pitoyable bonheur qu’un lépreux pouvait encore donner à sa lépreuse, pensait-il, son beau visage au-dessus du beau visage exalté de la souriante malheureuse. Ah, dans quoi, dans quoi l’avait-il embarquée ? Ma petite fille, mon enfant, lui disait-il en son âme tandis que tristement il la maniait comme une femme. 

Auteur: Cohen Albert

Info: Belle du Seigneur, éditions Gallimard, 1968, page 833

[ distractions ] [ désœuvrement ] [ isolement ] [ absurdité ] [ ennui ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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