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christianisme

Le scepticisme a pour effet d’affaiblir les opérations normales d’un être humain.

Dans un des plus brillant et amusant livre de Mr Sinclair Lewis (1885-1951 premier écrivain américain à recevoir le prix Nobel de littérature), il y a un passage que je citerai de mémoire, plus ou moins correctement. Il a dit que la foi catholique diffère du puritanisme actuel en ce qu’elle ne demande pas à quelqu’un d’abandonner son goût du beau, son humour ou ses petits vices agréables (par lesquels il entendait probablement le fait de fumer et de boire, qui ne sont pas du tout des vices), mais elle demande d’abandonner sa vie, son âme, son esprit et son corps, sa raison et tout le reste. Je demande au lecteur de considérer ce jugement aussi calmement et impartialement que possible, et de le comparer avec tous les autres faits concernant la fossilisation des opérations de l’esprit humain par les principaux doutes d’aujourd’hui.

Il serait bien plus vrai de dire que la foi rend aux hommes leurs corps et leurs âmes, leurs intelligences et leurs volontés, et en fin de compte toute leur vie. Il serait bien plus vrai de dire que l’homme qui l’a reçue reçoit toutes les vieilles capacités humaines, que toutes les autres philosophies sont en train de lui enlever. Il serait plus proche de la réalité de dire que le croyant sera le seul à posséder la liberté, la volonté, parce qu’il sera le seul à professer le libre-arbitre ; qu’il sera le seul à avoir une intelligence puisque le doute systématique renie l’intelligence tout comme il renie l’autorité ; qu’il sera le seul à agir véritablement puisqu’une action est toujours accomplie en vue d’une fin. Il serait donc moins improbable de dire que tout ce durcissement et ce désespoir intellectuel feront du croyant le seul citoyen capable de marcher et de parler dans une cité de paralytiques.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Pourquoi je suis Catholique, Versailles, Via Romana, 2017. Page 42.

[ agir moral ] [ force ]

 
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christianisme

D'abord, et en dépit de ce qui se dit de ses superstitions et de sa scolastique stérile, le Moyen Âge fut un étonnant épanouissement, une illumination et une libération de l'esprit. Deuxièmement, en dépit de tout ce qui s'est dit ensuite sur le progrès, la Renaissance et les précurseurs de la pensée moderne, il fut presque intégralement un mouvement d'enthousiasme théologique orthodoxe - un épanouissement. Il ne fut en rien un compromis avec le monde, ni une soumission aux païens ou aux hérétiques, ni un simple emprunt à des appuis extérieurs, même s'il en utilisait. S'il atteignait la pleine lumière, c'était à la manière d'une plante qui, par ses seules forces, déploie ses feuilles sous le soleil et non à la manière de quelqu'un qui se contente de la lumière de la prison. En bref, il fut ce qui s'appelle techniquement un développement de la doctrine.

[…] Un développement doctrinal est une explication de toutes les implications, de toutes les virtualités d’une doctrine, au fur et à mesure qu’on les distingue et qu’on les comprend mieux. En l’occurrence, l’œuvre de la théologie médiévale fut simplement la pleine compréhension de cette théologie. Au temps du grand dominicain [Thomas d'Aquin] et du premier franciscain [François d'Assise] […], l’objectif, humaniste de bien des façons, était le complet développement de la doctrine essentielle, du dogme entre tous les dogmes. La chanson populaire de saint François et la prose presque rationaliste de saint Thomas apparaissent ici très clairement unies dans un même élan. Toutes deux sont de puissants et magnifiques développements de la doctrine catholique qui ne dépendent du monde extérieur qu’autant que tout ce qui vit et s’accroît en dépend. C’est à dire qu’ils s’en nourrissent et l’assimilent et continuent d’être ce qu’ils sont et non ce qu’ils ingurgitent. Un bouddhiste ou un communiste peut bien imaginer deux éléments qui s’entre-dévorent et atteignent ainsi à l’union parfaite. Mais dans le monde réel, il n’en est pas ainsi. […] Saint Thomas ne conduisit pas le Christ à Aristote, mais Aristote au Christ.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 26-27

[ définition ] [ dépôt de la révélation ] [ approfondissement ] [ complémentarité ]

 

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réalisme

[…] le côté spirituel et mystique du catholicisme des premiers siècles portait trois empreintes : celle du génie d’Augustin qui avait été platonicien et peut-être l’était demeuré ; celle du transcendantalisme des œuvres attribuées à l’Aréopagite ; celle des influences orientales au sein de l’empire tardif et du caractère quasi asiatique de la Byzance des empereurs-pontifes. Tout cela l’avait emporté sur ce que nous pouvons appeler globalement l’élément occidental, qu’on pourrait aussi nommer chrétien puisque, bien compris, il n’est rien d’autre que la sainte familiarité avec le Verbe incarné. En tout cas il suffit ici de dire que les théologiens s’étaient quelque peu sclérosés, avec une sorte d’orgueil platonisant, dans la possession de vérités intangibles et intraduisibles, comme si leur sagesse ailée n’avait aucune racine dans le monde réel. Le premier soin de l’Aquinate – fort loin d’être le dernier – fut de tenir à ces métaphysiciens transcendantaux un discours du genre de celui-ci :

"Il n’est pas question qu’un pauvre frère mendiant nie que votre cervelle abrite des pierres précieuses d’une eau quasi céleste et de formes mathématiques idéales, déjà présentes alors que vous aviez à peine commencé à penser, sans parler de voir, entendre ou sentir. Mais je n’éprouve aucune honte à le dire : je constate que ma raison est informée par mes sens et que je dois une grande partie de ce que je pense à ce que je vois, sens, goûte et touche. Et, pour autant que ma raison y soit engagée, je me vois obligé de considérer tout ce donné comme réel. D’un mot et en toute humilité, je ne crois pas que Dieu ait doué l’homme de raison seulement pour lui permettre d’exercer cette forme rare, subtile et abstraite d’intellect dont vous êtes les fortunés détenteurs. Mais je crois que le terrain des faits existe. Je crois que notre raison informée par les sens fait sa pâture quotidienne des faits qu’elle connaît ainsi, et que, représentante de Dieu en l’homme, elle a le droit de régner sur ce domaine. Certes ce terrain est moins élevé que celui des anges, mais il est moins bas que celui des animaux et de tous les objets réels et matériels que l’homme trouve autour de lui. Convenons-en, l’homme aussi peut être un objet – et même passablement abject. Il est certain que ce qu’un homme a fait, un autre homme peut le faire. Si un archaïque vieux païen du nom d’Aristote peut m’aider dans mon entreprise, je l’en remercierai en toute humilité."

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 28-29

[ christianisme ] [ développement doctrinal ] [ résumé ]

 

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théologien

On parvint enfin à convoyer cet énorme bloc de cogitations jusqu’à sa place à la table royale [à la cour de Louis IX]. Tout ce que nous savons de Thomas nous dit qu’il fut parfaitement courtois avec ceux qui lui adressèrent la parole mais répondit brièvement et fut vite oublié au milieu de cette joute brillante et bruyante qu’est une conversation française. Nous ignorons ce dont les Français débattaient mais, s’ils négligèrent complètement le gros Italien assis au milieu d’eux, il n’est que trop probable qu’il les négligea tout aussi complètement. Même la conversation française s’arrête parfois. Au cours d’un de ces silences, l’imprévisible se produisit. Depuis longtemps, ni un mot ni un geste n’étaient venus du vaste amas de bure blanche et noire, note de demi-deuil, qui désignait le frère mendiant des rues parmi les vifs coloris, emblèmes et blasons de cette première et fraîche aurore de la chevalerie et de l’héraldique. Ecus, fers de lance triangulaires, pennons, épées de croisés, ogives des voûtes et des vitraux, capuchons pointus, tout exprimait l’esprit hardi, l’esprit aigu du Moyen Age français dans sa fraîcheur. Les couleurs vives s’alliaient et s’affrontaient sans guère de retenue car, avec son bon sens accoutumé, saint Louis avait dit aux gentilshommes et dames de sa cour : "Il faut éviter la vanité, mais un homme doit s’habiller selon son rang afin de complaira à sa femme."

Soudain, la grande table trembla sous un coup formidable. La vaisselle tinta. Le frère venait d’abattre son poing comme une massue. La violence du choc fit sursauter chacun comme une explosion. Alors le frère s’écria avec la voix forte d’un homme qui parle en rêve : "Voilà qui fera taire les manichéens !"

Le palais d’un roi a son protocole, même s’il est le palais d’un saint. La cour entière fut glacée et tout le monde se sentit un instant comme si le gros moine d’Italie avait lancé son assiette à la tête du roi ou envoyé promener sa couronne. Les regards se fixèrent anxieux sur le siège redouté qui fut mille ans le trône des capétiens et plus d’un dut se préparer à passer le grand mendiant noir et blanc par la fenêtre. Mais saint Louis tout simple qu’il fût, était cependant autre chose qu’une fontaine de prud’homie ou même de bienveillance, à la mode du Moyen Âge. Il était fontaine aussi de ces deux intarissables sources que seront à jamais l’ironie et la courtoisie française. Il se tourna donc vers ses secrétaires et leur enjoignit d’une voix douce de se rendre avec leurs tablettes aux côtés du controversiste distrait et de prendre note sur le champ de l’argument qu’il venait de trouver, car il devait être fameux et il serait dommage qu’il l’oubliât.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 85-86

[ anecdote ] [ caractère ] [ mondanités ] [ vie sociale ]

 

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orient-occident

La chrétienté orientale aplatit toutes choses, comme elle aplatit les visages dans ses icônes. Ses images sont des archétypes plutôt que des portraits. Et elle mène une guerre résolue et destructrice aux statues. C’est ainsi, chose curieuse, que l’Orient fut la terre de la croix et l’Occident, celle du crucifix. Les Grecs furent déshumanisés par un symbole rayonnant, tandis que les Goths étaient humanisés par un instrument de torture. L’Occident seul a produit des représentations réalistes du plus prodigieux des contes de l’Orient. De là vient que le courant grec dans la théologie chrétienne n’a cessé de tendre vers une sorte de platonisme desséché, une affaire de diagrammes et d’abstractions, forts nobles en vérité mais par trop éloignées de ce qui est, par définition, presque opposé à l’abstraction : l’Incarnation. Leur Logos était le Verbe. Il n’était pas le Verbe fait chair. Par d’innombrables biais très subtils, qui échappaient souvent aux définitions doctrinales, cet esprit se répandit par tout l’univers chrétien depuis le siège de l’empereur trônant sous ses mosaïques constellées d’or. Le plan dallage de l’empire romain se transformait en une sorte de calme boulevard attendant la venue de Mahomet. Car l’islam fut l’aboutissement final des iconoclastes. Mais bien avant cette époque, cette tendance existait déjà qui consiste à faire de la croix un élément décoratif comme le croissant, un symbole comme le clé grecque ou la roue de Bouddha. Il y a quelque chose de passif dans un tel univers : la clé n’ouvre aucune porte et la roue, si elle tourne, n’avance pas.

Les premiers temps du christianisme furent marqués par ces influences néfastes et par un ascétisme nécessaire et digne, selon le terrible modèle des martyrs. Cela conduisit à un mépris excessif du corps, trop proche de la dangereuse frontière du mysticisme manichéen. Mais les macérations du saint sont beaucoup moins dangereuses que les désincarnations du sage. La grandeur de l’apport augustinien au christianisme est hors de doute, mais il y a un danger subtil chez Augustin platonicien. Ce danger, plus grand en un sens que chez Augustin manichéen, vient d’une disposition à commettre inconsciemment l’erreur de diviser la substance de la Trinité. Cette disposition voit trop exclusivement en Dieu soit un Esprit purificateur, soit un Sauveur qui rachète, soit un Créateur qui crée. C’est pourquoi des hommes comme l’Aquinate jugeaient bon de corriger Platon par Aristote qui prend le monde tel qu’il le trouve, exactement comme Thomas le prend tel que Dieu l’a créé. Dans toute l’œuvre de saint Thomas, le monde, la création tangible, est ainsi présent. A vue humaine, Thomas sauvait le sens de l’humain dans la théologie catholique, en utilisant ce qui pouvait lui servir dans la philosophie païenne. Mais, soulignons-le encore, ce sens de l’humain est également chrétien.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 70-71

[ religion ] [ différences ] [ réalisme ] [ orthodoxie ] [ catholicisme ]

 

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orient-occident

Nul n’approchera jamais de l’intelligence de la philosophie thomiste – de la philosophie catholique – qui ne comprenne d’abord qu’elle se fonde entièrement sur la glorification de la vie ; la glorification de l’être ; la glorification du Dieu créateur de l’univers. Le reste s’ensuit et dure non sans complications telles que le péché d’Adam ou les vocations héroïques. Les difficultés proviennent de ce que l’âme catholique se tient sur deux plans : celui de la création et celui de la chute. […]

Les macérations les plus rudes de l’ascétisme catholique ne sont rien d’autre que des mesures, sages ou non, prises contre les conséquences de la chute. Elles n’impliquent jamais un doute quant à l’excellence de la création. C’est en cela que l’ascète chrétien s’oppose non seulement à l’excentrique qui se suspend à un crochet, mais encore à ce croc redoutable qu’est toute la vision du monde à laquelle l’excentrique s’accroche. La plupart des religions orientales ont une conception pessimiste de l’ascétisme. L’ascète se martyrise par une sorte de haine de la vie, car il ne veut pas dominer la nature mais la contrarier autant qu’il le peut. Bien que les millions d’adeptes des religions orientales aient une vision moins effrayante, on ne remarque pas assez souvent que le dogme du refus de la vie est, à leur immense échelle, un principe premier.

Une de ses formes historiques – le manichéisme – fut l’ennemi majeur et constant du christianisme. Ce que l’on nomme la philosophie manichéenne s’est attaquée à ce qui est éternel et immuable, selon un très curieux processus multiforme indéfiniment renouvelé qui fait penser à la légende de l’ogre capable de se transformer tour à tour en lion ou en nuage. Elle possède un caractère d’irresponsabilité qui appartient en propre à la métaphysique et à l’éthique impersonnelles de l’Orient où le mystérieux manichéisme est né. Cette philosophie comporte toujours, d’une manière ou d’une autre, sinon l’affirmation que la nature est mauvaise, du moins que le mal est profondément enraciné en elle. La thèse essentielle est que le mal a des racines dans la nature et qu’il a donc des droits sur elle. Ce qui est faux a droit à l’existence en tant que vrai. Cette notion a été diversement formulée. Il y eut le dualisme qui fit du bien et du mal des égaux, de telle sorte qu’aucun ne pouvait être traité d’usurpateur. Il y eut plus fréquemment l’idée confuse que les démons avaient créé le monde matériel et que, s’il y avait de bons esprits, ils ne régissaient que le monde spirituel. Plus tard encore, il y eut le calvinisme qui tint que le monde est une création de Dieu, mais que, d’une certaine façon, Dieu a créé le mal comme le bien ; aussi bien la volonté mauvaise que le monde mauvais.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 89 à 91

[ différences ] [ nature blessée ] [ amour ] [ optimisme ]

 

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christianisme

Lorsque les modernes décidèrent de tirer, en travers de notre histoire, le rideau le plus sombre, et proclamèrent que rien d’important ne s’était produit avant la Réforme et la Renaissance, ils proclamèrent du même coup une bourde des plus solennelles et tombèrent dans un puits sans fin. La bourde abyssale au sujet du platonisme, ils la trouvèrent au hasard de leurs recherches historiques. Ils avaient déniché, au seizième siècle (le plus haut qu’ils puissent remonter), quelques principautés dont les cours abritaient une poignée d’esthètes et d’intellectuels anticléricaux qui se disaient brouillés avec Aristote et laissaient dire qu’ils lisaient secrètement Platon. Les modernes, dans leur ignorance barbare de la vie intellectuelle du Moyen Age, gobèrent toute crue cette sottise qu’Aristote était un vieux laissé pour compte des temps mérovingiens et que Platon, plaisir inédit inconnu des chrétiens, était l’opposé de cet obscur revenant des âges les plus obscurs. […] Si l’on tient à l’opposition, il faut dire tout juste le contraire : le platonisme avait constitué le vieux fond d’orthodoxie auquel succédait la très moderne révolution aristotélicienne. Et l’animateur de cette révolution est l’homme dont ce livre raconte l’histoire.

La vérité est que l'Eglise catholique commença par être platonicienne – peut-être même trop. L'air doré de la Grèce que respirèrent les grands théologiens grecs étaient saturé de Platon. Les Pères de l'Eglise furent plus authentiquement néo-platoniciens que les néo-néo-platoniciens de la Renaissance. Chrysostome ou Basile pensent tout naturellement Logos ou Sofia, qui est le mot des philosophes, comme n'importe quel tenant d'une religion actuelle pense question sociale, progrès et crise économique mondiale. L'évolution intellectuelle de saint Augustin, qui fut platonicien avant d'être manichéen et manichéen avant d'être catholique, suit une courbe naturelle. C'est ici exactement que l'on peut apercevoir la première faille, le signe avant-coureur du danger d'être trop platonicien. 

De la Renaissance au dix-neuvième siècle, les modernes ont eu un amour presque monstrueux des Anciens. Considérant la vie médiévale, ils ne furent pas plus perspicaces. Ils donnaient les chrétiens comme simples élèves des païens : de Platon pour les idées, d’Aristote pour la méthode et la science. Ils se trompaient. Sur certains points, même du point de vue le plus uniformément moderne, le catholicisme avait plusieurs siècles d’avance sur le platonisme et l’aristotélisme. Preuve en est l’incoercible persistance de l’astrologie. Les philosophes étaient tous favorables à cette superstition. Les saints et tous autres quidams superstitieux étaient contre. Mais même certains grands saints ne s’en affranchirent qu’avec difficulté. Considérées ensembles, les deux objections majeures, constamment soulevées par ceux qu’inquiétait l’aristotélisme de l’Aquinate, ont aujourd’hui quelque chose de comique et d’attendrissant. La première était que les astres doués de personnalité gouvernent nos existences ; la seconde était la grande théorie qui distribue entre les hommes une seule âme commune, vue évidemment contraire à l’immortalité comme à l’individualité. Si forte demeure la tyrannie païenne que ces deux croyances persistent chez les modernes.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 66-67

[ influences ] [ paganisme ] [ erreur ] [ historique ] [ néoplatonisme ]

 

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suicide intellectuel

Ce dont nous souffrons aujourd’hui, c’est d’un déplacement vicieux de l’humilité. La modestie a cessé tout rapport avec l’ambition pour entrer en contact intime avec la conviction, ce qui n’aurait jamais du se produire. Un homme peut douter de lui-même, mais non de la vérité, et c’est exactement le contraire qui s’est produit. Aujourd’hui, ce qu’un homme affirme, c’est exactement ce qu’il ne doit pas affirmer, c’est-à-dire lui-même ! Ce dont il doute est précisément ce dont il ne doit pas douter : la Raison Divine. (…)

Le nouveau sceptique est si humble qu’il doute de pouvoir apprendre. Ainsi nous aurions tort de nous presser de dire qu’il n’y a pas d’humilité propre à notre époque. Le vérité est qu’il en existe une, très réelle, mais pratiquement plus morbide que les farouches humiliations de l’ascète. L’ancienne humilité était un aiguillon qui empêchait l’homme de s’arrêter et non pas un clou dans la chaussure qui l’empêche d’avancer, car l’ancienne humilité faisait qu’un homme doutait de son effort et cela le poussait à travailler avec encore plus d’ardeur. Mais la nouvelle humilité fait que l’homme doute de son but, ce qui l’arrête tout à fait. (…)

Le péril, c’est que l’intelligence humaine est libre de se détruire elle-même. De même qu’une génération pourrait empêcher l’existence même de la génération suivante, si tous ceux qui la composent entraient au couvent ou se jetaient dans la mer, ainsi, un petit nombre de penseurs peut, jusqu’à un certain point, faire obstacle à la pensée dans l’avenir en enseignant à la génération suivante qu’il n’y a rien de valide dans aucune pensée humaine.

Il est vain de parler de l’antagonisme de la raison et de la foi. La raison est elle même un sujet de foi. C’est un acte de foi de prétendre que nos pensées ont une relation quelconque avec une réalité quelle qu’elle soit. Si vous êtes vraiment un sceptique, vous devrez tôt ou tard vous poser la question : "Pourquoi y aurait-il quelque chose d’exact, même l’observation et la déduction ? Pourquoi la bonne logique ne serait-elle pas aussi trompeuse que la mauvaise ? L’une et l’autre ne sont que des mouvements dans le cerveau d’un singe halluciné ?"

Le jeune sceptique dit : "J’ai le droit de penser par moi-même". Mais le vieux sceptique, le sceptique complet dit : "Je n’ai pas le droit de penser par moi-même. Je n’ai pas le droit de penser du tout."

Il y a une pensée qui arrête la pensée, et c’est à celle là qu’il faut faire obstacle. C’est le mal suprême contre lequel toute autorité religieuse a lutté. Ce mal n’apparaît qu’à la fin d’époques décadentes comme la notre…

Car nous pouvons entendre le scepticisme brisant le vieil anneau des autorités et voir au même moment la raison chanceler sur son trône. Si la religion s’en va, la raison s’en va en même temps. Car elles sont toutes les deux de la même espèce primitive et pleine d’autorité. Elles sont toutes les deux des méthodes de preuves qui ne peuvent elles-mêmes être prouvées.

Et en détruisant l’idée de l’autorité divine, nous avons presque entièrement détruit l’idée de cette autorité humaine par laquelle nous pouvons résoudre un problème de mathématiques. Avec une corde longue et résistante, nous avons essayé d’enlever sa mitre (la religion) à l’homme pontife et la tête (la raison) a suivi la mitre.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Orthodoxie

[ individualisme ] [ sans repères ] [ scientisme borgne ]

 
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biographie

La raison qui m’incite à m’étendre sur le personnage de Frédéric II, si représentatif de son temps par sa culture et sa violence, sur son goût pour la philosophie et ses querelles avec l’Eglise, ne tient pas seulement à ces traits. Elle tient surtout à ce qu’il fut le premier protagoniste de la scène par où débute la vie personnelle de Thomas d’Aquin. Scène qui fut marquée par la première action, ou mieux, par la première inaction obstinée du saint. Scène qui illustre l’extraordinaire réseau d’intérêts où vivait la famille du comte d’Aquin, à la fois si proche de l’Eglise et violemment opposée à elle. Frédéric, au cours de ces remarquables manœuvres militaires et politiques, qui s’étendaient de la combustion des hérétiques à l’alliance avec les Sarrazins, fit, tel un aigle (et l’aigle impérial était sans pitié), un véritable piqué sur un monastère très florissant et très vénérable : l’abbaye bénédictine du Mont Cassin. Elle fut proprement mise à sac.

A quelques lieues du Mont Cassin se trouve une sorte de promontoire ou de pic rocheux, contrefort des Apennins. Il se couronnait alors d’un château appelé la Roche-Sèche. C’était l’aire où les aiglons de la gens impériale, branche d’Aquin, essayaient leurs ailes. Elle appartenait au compte Landolphe d’Aquin, père de Thomas et de sept autres garçons. En matière militaire, ce digne chef de famille commandait certainement à la manière féodale. Apparemment, il ne fut pas étranger à la destruction du Mont Cassin. Mais, et c’est bien dans l’esprit du temps, le comte Landolphe pensa sans doute faire preuve de délicatesse et de doigté en faisant nommer abbé du monastère ravagé, son fils Thomas. Cela devait être une façon gracieuse de présenter ses excuses et résolvait aussi, semble-t-il, une difficulté familiale. Car il devenait chaque jour plus difficile au comte de se dissimuler que son septième fils ne serait jamais bon à rien d’autre qu’à faire un abbé ou quelque chose de ce genre. Depuis sa naissance, en 1226, ce garçon manifestait pour la fonction d’oiseau de proie la plus inexplicable aversion, qu’il étendait à la chasse aux tournois, bref à tous les passe-temps normaux d’un gentilhomme. Ce jouvenceau pesant et paisible avait une prodigieuse faculté de silence. Ouvrait-il la bouche, c’était pour demander tout à trac à ses maîtres interloqués : "Qu’est-ce que Dieu ?" […] Tout ce qu’on pouvait faire d’un garçon pareil, c’était un homme d’Eglise, et même un moine. Jusque-là, il n’y avait pas de difficultés majeures. Un homme occupant le rang du comte d’Aquin pouvait assez facilement s’arranger avec un monastère où l’on donnerait à Thomas un poste digne de sa famille. Tout donc s’organisait au mieux pour que ce septième garçon fût moine, ce qu’il semblait désirer, et tôt ou tard, abbé du Mont Cassin. C’est alors que les choses se gâtèrent.

Autant qu’on puisse suivre les événements, à travers des récits confus et discordants, il semble que le jeune Thomas se rendit un beau matin au château paternel pour informer les siens de sa récente entrée chez les frères mendiants, ordre nouvellement fondé par l’Espagnol Dominique, à peu près comme le fils aîné d’un bourgeois rassis viendrait informer son père, d’un air dégagé, qu’il vient d’épouser une bohémienne ou comme l’héritier d’un duc conservateur bon teint affirmerait sa résolution de marcher en tête d’un défilé de grévistes organisé par les communistes. Rien ne montre mieux la profondeur de l’abîme qui séparait l’ancien monachisme du nouveau et la gravité de la révolution opérée par François et Dominique. Thomas veut être moine ? Les portes s’ouvrent toutes grandes, sans un bruit, et le long des allées couvertes du monastère, un superbe tapis se déroule qui le conduira au siège d’abbé mitré. Thomas veut être frère prêcheur ? Toute sa famille fond sur lui comme sur une bête féroce ; ses frères le traquent le long des routes, lui arrachent sa robe, et le cadenassent dans une tour comme un fou dangereux.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 50-51

[ religion-politique ] [ marginalité ] [ réputation ]

 

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christianisme

Sigier [de Brabant] enseignait que l’Eglise infaillible théologiquement pouvait se tromper dans l’ordre scientifique. Il y a deux vérités. La vérité du monde surnaturel et celle du monde naturel qui contredit le monde surnaturel. Tant que nous sommes dans l’ordre naturel, nous pouvons tenir la foi chrétienne pour insensée mais quand nous nous souvenons que nous sommes chrétiens, nous devons tenir notre foi pour certaine, fût-elle absurde. En d’autres termes, Sigier, comme le héros d’une chanson de geste, tranche la cervelle humaine en deux et professe que chaque moitié fait un tout. Une cervelle peut croire absolument tandis que l’autre s’y refuse absolument. On pourrait considérer qu’il s’agit là d’une parodie du thomisme. C’en est l’assassinat. Il n’y a pas trente-six façons de trouver la vérité et c’en est une véritablement bizarre que de prétendre qu’elle est double. Il se passa alors quelque chose de passionnant : le Bœuf muet se rua dans l’arène comme un taureau furieux. Quand il se mit debout pour répondre à Sigier, il n’était plus le même homme. Il changea même de style comme, soudainement, une voix humaine s’altère. Saint Thomas ne s’était encore jamais mis en colère contre ses adversaires. Mais ces adversaires-là trichaient affreusement. Ils le prétendaient en accord en accord avec eux.

[…] En réalité, une distinction subtile peut marquer une opposition totale. C’était exemplairement le cas. Thomas voulait que l’on reconnaisse deux voies pour parvenir à l’unique vérité, précisément parce qu’il était certain qu’il n’y a qu’une vérité. Parce que la foi est l’unique vérité, et donc aucune découverte dans l’ordre naturel ne peut la contredire fondamentalement. Parce que la foi est l’unique vérité, aucune explicitation de la foi ne peut contredire fondamentalement les faits. […] la confiance de saint Thomas était surtout et par-dessus tout la confiance qu’il n’y a qu’une vérité, que le principe de non-contradiction ne souffre pas d’exception. De nouveaux ennemis surgissent soudain, protestant qu’ils étaient heureux d’admettre avec lui qu’il y a deux vérités contradictoires. Selon ces sophistes, la vérité offrirait le double visage de Janis auquel il ne serait pas loin de prétendre passer la robe dominicaine.

Dans ce dernier combat, Thomas se bat à la hache. Il ne reste rien dans son langage de la patience presque impersonnelle qu’il a toujours apportée dans ses discussions si nombreuses. "Voilà notre réfutation de l’erreur. Elle n’est pas fondée sur des articles de foi mais sur les arguments et les affirmations des philosophes eux-mêmes. S’il existe quelqu’un qui, s’enorgueillissant de sa prétendue sagesse, désire réfuter ce que nous avons écrit, qu’il ne le fasse pas en cachette, ni devant des enfants incapables de trancher en pareille matière. Qu’il réponde ouvertement, s’il l’ose. Il me trouvera en face de lui, et non seulement ma négligeable personne, mais un grand nombre de ceux qui s’attachent à l’étude du vrai. Nous combattrons ses erreurs ou remédierons à son ignorance."

[…] S’il y a une sentence à graver dans le marbre, symbole de ce que cet esprit unique contenait d’intelligence calme, patiente, c’est la formule que j’ai citée. Elle a jailli, entourée d’un torrent brûlant. Elle mériterait de figurer à jamais comme la marque à quoi l’on reconnaît l’œuvre de saint Thomas : "… notre réfutation n’est pas basée sur des articles de foi, mais sur les arguments et les affirmations des philosophes eux-mêmes." Puissent tous les docteurs orthodoxes réunis en conseil demeurer toujours aussi raisonnables que Thomas en colère ! Puissent tous les apologistes garder cette maxime en mémoire, l’écrire en grosses lettres sur les murs, avant d’y afficher leurs thèses ! Au plus fort de sa colère, Thomas d’Aquin sait ce que tant de défenseurs de l’orthodoxie ne comprennent pas. Rien ne sert de taxer un athée d’athéisme, de faire grief à l’incroyant de ce qu’il ne croit pas à la résurrection des corps. On ne peut convaincre quelqu’un en invoquant des principes auxquels il ne croit pas. L’exemple de saint Thomas prouve, ou devrait prouver, que l’on doit renoncer à convaincre si l’on refuse de discuter sur le terrain de son adversaire et non pas sur le sien.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 78 à 80

[ hérétiques ]

 

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