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couple

Or il arriva que, le lendemain, le destin me réserva un don différent et unique : la rencontre avec une femme, jeune et faite de chair et d'os, chaude contre ma jambe à travers nos manteaux, allègre au milieu du brouillard humide des vallées, patiente, savante et sûre tandis que nous marchions dans les rues encore bordées de décombres. En quelques heures, nous sûmes que nous nous appartenions, non pour une rencontre mais pour la vie, ainsi qu'il en a été. En quelques heures, je m'étais senti neuf et plein de puissances nouvelles, lavé et guéri de mon long mal, prêt enfin à entrer dans la vie avec joie et vigueur ; le monde, autour de moi, était lui aussi soudainement guéri, et exorcisés le nom et le visage de la femme qui était descendue aux enfers avec moi et n'en était pas revenue. Mon écriture même devint une aventure différente, non plus l'itinéraire douloureux d'un convalescent, d'un homme qui mendie de la pitié et des visages amis, mais une construction lucide, qui avait cessé d'être solitaire – une œuvre de chimiste qui pèse et sépare, mesure et juge sur des preuves sûres, et s'ingénie à répondre aux pourquoi. À côté du soulagement libérateur qui est le propre de celui qui est de retour et raconte, j'éprouvais maintenant dans l'écriture un plaisir complexe, intense et nouveau, semblable à celui que j'avais éprouvé, étudiant, en pénétrant dans l'ordre solennel du calcul différentiel. Il était exaltant de chercher et de trouver, ou de créer, le mot juste, c'est-à-dire mesuré exactement, bref et fort, de tirer les choses du souvenir, et de les décrire avec le maximum de rigueur et le minimum d'encombrement. Paradoxalement, mon bagage de souvenirs atroces devenait une richesse, une semence ; il me semblait, en écrivant, croître comme une plante. Dans le train de marchandises du lundi suivant, pressé au milieu de la foule ensommeillée et emmitouflée dans les cache-nez, je me sentais joyeux et décidé comme jamais avant ni après. J'étais prêt à défier le monde entier et tout le monde.


Auteur: Levi Primo

Info: ​​​​​​​Le Système périodique

[ amour ] [ fertilisant ] [ contact ] [ rapprochement ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

anecdote

Il est temps de ramener, une fois de plus, Guy Roux dans la vie d'Éric.
"La mère de Canto m'a téléphoné le jour de son procès en appel. En trente ans, personne n'avait jamais interrompu une de mes séances d'entraînement. Mais elle était morte d'inquiétude. Éric lui avait dit que, si le juge confirmait le verdict initial, il lui casserait la gueule ! Oh, là, là... Je lui ai répondu : je ne suis pas Dieu le père. Mais... Je connaissais Béatrice Main, ancien sous-préfet de Château-Chinon et chef de cabinet du président Mitterrand à l'époque. Quatorze avant, j'avais accepté de faire une photo de l'équipe aux côtés de Mitterrand pendant qu'il faisait campagne pour la présidentielle. Il avait toujours eu un faible pour Auxerre et m'avait même dit, une fois : "Si un jour vous avez un problème, appelez Béatrice et on verra ce qu'on peut faire." Je lui ai donc expliqué que je n'avais encore jamais dérangé le président - je n'allais quand même pas demander son aide pour un PV ! - mais qu'on était confrontés à une situation grave : Cantona faisait face aux juges. Sa réaction a été prévisible : "On ne va pas donner de leçons aux Anglais, eux qui ont inventé l'indépendance de la justice !" Bien sûr, lui ai-je répondu, mais j'ai pensé à une solution. Si le président envoyait un télégramme à la reine pour dire : "Si Cantona va en prison, cela va ternir sérieusement les relations entre la jeunesse française et la jeunesse anglaise", peut-être que ça pourrait être utile... Elle m'a répondu : "Vous êtes complètement dingue. Je le savais.
- Vous pourriez lui transmettre quand même ?"
C'était un mercredi, jour du Conseil des ministres à l'Élysée. Elle m'a dit qu'elle me rappellerait dans l'après-midi. Et elle m'a rappelé à 15 heures : "Il n'y a que les fous qui réussissent en ce bas monde. Le président a demandé à un haut fonctionnaire d'envoyer un télégramme au Home Office." À 15 heures, Cantona voyait sa peine commuée et retournait chez lui.

Auteur: Auclair Philippe

Info: Cantona, le rebelle qui voulut être roi

[ football ] [ pouvoir ] [ influence ]

 

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crépuscule

C'était souffrir assurément que d'être réduit à passer la nuit dans la rue, et c'est ce qui m'est arrivé plusieurs fois à Lyon. J'aimais mieux employer quelques sous qui me restaient à payer mon pain que mon gîte, parce qu'après tout je risquais moins de mourir de sommeil que de faim. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, dans ce cruel état, je n'étais ni inquiet ni triste. Je n'avais pas le moindre souci sur l'avenir, et j'attendais les réponses que devait recevoir mademoiselle du Châtelet, couchant à la belle étoile, et dormant étendu par terre ou sur un banc, aussi tranquillement que sur un lit de roses. Je me souviens même d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud ce jour-là ; la soirée était charmante ; la rosée humectait l'herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l'air était frais sans être froid ; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l'un à l'autre. Je me promenais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon coeur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m'apercevoir que j'étais las. Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi : je m'endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux, en s'ouvrant, virent l'eau, la verdure, un paysage admirable.

Auteur: Rousseau Jean-Jacques

Info: Les Confessions, livre IV.

[ vagabondage ]

 

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déclaration d'amour

Non, je ne vous apprendrai pas à moins aimer, moi à qui vous devez de connaître ce qu'on appelle aimer ; votre amour, les marques que j'en reçois, la manière dont vous l'exprimez, tout ce que vous m'écrivez fait mon bonheur et enflamme mon amour. J'en avais bien besoin de bonheur, je suis plongée dans la tristesse, je tremble de rester ici... Cette poste de Plombières, à qui nous avons dit tant d'injures, arrive et m'apporte une lettre de vous, en voilà trois aujourd'hui ; voilà la quatrième que je vous écris, je vous en écrirai une cinquième par la poste. Vos lettres sont délicieuses, vous m'y dites quelquefois des injures et de celles qui m'affligent le plus, vous y doutez de mon amour, mais vous m'assurez du vôtre, la douceur d'être aimée adoucit même vos injustices ; vous finissez la lettre de votre courrier par me prier de vous apprendre à moins aimer. Vous le désirez donc, mais assurément, vous ne pouvez plus mal vous adresser. Désirez-vous que je vous aime avec toute la fureur, toute la folie, tout l'emportement dont je suis capable, montrez-moi toujours autant d'amour qu'il y en a dans quelques endroits de vos lettres. Vous ne pouvez vous imaginer combien elles m'enflamment et quel amour les marques de votre passion excitent dans mon coeur. Tous mes sentiments sont durables, tout fait des traces profondes dans mon âme... Croyez que vous avez toujours lu dans mon coeur, je veux toujours que vous y lisiez, que ne pouvez-vous voir à présent ce qui s'y passe, combien je vous adore, avec quelle impatience et quelle ardeur je désire de me rejoindre à vous ? Quand vous m'aimez, vous remplissez tous les sentiments de mon coeur, vous réalisez toutes mes chimères, je ne crois pas qu'il fût possible de trouver un coeur aussi tendre, aussi appliqué, aussi passionné que le vôtre ; mais il a souvent des disparates ; s'il n'en avait pas, je crois que je partirais ce soir à pied pour aller trouver, peut-être m'aimerez-vous également quelque jour et alors je ne désirerai plus rien...

Auteur: Châtelet Gabrielle Marquise

Info: à Jean-François de Saint-Lambert. Le 1er septembre 1748

[ correspondance ]

 

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maman

... Dans la chambre, il m'a laissé le déshabiller et quand je lui ai demandé quel pyjama il voulait mettre, au lieu de lever les yeux au ciel en grognant : "M'en fiche," il a réfléchi un instant avant de murmurer, d'une petite voix : "Celui de l'astronaute. J'aime bien le singe dans la fusée." C'était la première fois que je l'entendais dire qu'il aimait une pièce de sa garde-robe, et quand je me suis rendue compte qu'il s'agissait de l'unique pyjama se trouvant au linge sale, j'ai été plus que désemparée en l'extirpant du panier avant de vite revenir lui promettre de le laver le lendemain pour qu'il soit comme neuf. J'attendais un "Pas la peine," au lieu de quoi - autre première - j'ai entendu "Merci." Quand je l'ai bordé, il s'est niché volontiers, en remontant la couverture sous son menton, et quand j'ai glissé le thermomètre entre ses lèvres écarlates - son visage était criblé de rougeurs de fièvre - il a léché l'extrémité en verre à coup de minuscules succions, comme si finalement, à dix ans, il avait appris à téter. Sa température était élevée pour un enfant - plus de 38°4 - et lorsque je lui ai tamponné le front avec un linge humide, il a ronronné.
Je ne saurais dire si nous sommes moins nous-mêmes quand nous sommes malades, ou plus. Mais ces deux semaines hors du commun ont été pour moi une révélation. (...) Je sais bien que nous changeons tous, dans un sens ou dans un autre, quand nous sommes malades, mais Kevin n'était pas seulement sur les nerfs ou fatigué, il était une personne radicalement différente. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis d'évaluer la quantité d'énergie et de volonté qu'il devait dépenser le reste du temps pour être un autre enfant (ou d'autres enfants). (...) J'avais cru immuable le registre émotionnel qui le gouvernait depuis sa naissance. Rage ou colère, la seule variante était le degré d'intensité. Or, sous les couches de fureur, je découvrais, avec stupéfaction, une strate de désespoir. Il n'était pas furieux. Il était triste. ...

Auteur: Shriver Lionel

Info: Il faut qu'on parle de Kevin

[ affection ] [ thérapie ] [ littérature ]

 

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tueur

[...] ... Un jour, dans un magasin, j'assiste à un tour de magie, celui de la fausse guillotine. Vous mettez une pomme de terre sous la lame, tandis que quelqu'un passe son cou dans une ouverture prévue à cet effet. La lame tombe et seule la pomme de terre est coupée en deux. Le magicien demande un volontaire et une belle jeune fille blonde se présente, poussée par son petit ami. Tout le monde rigole. Moi, à ce moment, je flippe complètement et je perds contact avec la réalité. Cela n'aurait pas dû m'arriver. Comment imaginer que l'on puisse couper la tête de quelqu'un dans un magasin ? J'étais fasciné, ce concept de décapitation était tellement excitant à mes yeux qu'il m'a hanté pendant des semaines. Bien avant mon premier crime, je savais déjà que j'allais tuer, que cela se terminerait ainsi. Les fantasmes sont trop forts, trop violents. Je sais que je ne serai pas capable de les contrecarrer. Ils reviennent sans cesse à la charge et ils sont trop élaborés ... On parle quelquefois de la face obscure de telle ou telle personne. Tout le monde pense à des choses qu'il garde enfouies au plus profond, parce qu'elles sont par trop cruelles et horribles pour être exprimées : "J'aimerais lui faire sauter la tête, ou tuer ce type." Nous le faisons tous, un jour ou l'autre. Moi, j'y pensais tout le temps. J'avais constamment des pensées négatives. A un moment donné de votre croissance, vous parvenez à surmonter cette phase morbide. Moi, non. Un adulte peut guider un enfant en lui montrant une autre voie. Ma mère était là, au contraire, pour m'humilier et me battre. Elle me montrait à quel point les mâles étaient insignifiants. En quelque sorte, elle a précédé de quelques années les mouvements féministes ! Je sais que ce n'est pas juste de parler ainsi d'une morte qui n'est pas là pour se défendre. Son propre père avait été quelqu'un d'insignifiant et elle avait dû prendre les choses en main dès son plus jeune âge. Maman s'occupait de tout. Elle ne savait pas comment agir autrement. ... [...]

Auteur: Bourgoin Stéphane

Info: Serial Killers: Enquête mondiale sur les tueurs en série

[ psychose ] [ pervers ]

 

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dernières paroles

Chère petite Mathilde chérie,
Je t'écris une première et dernière lettre qui n'est pas très gaie : je t'annonce ma condamnation à mort et mon exécution pour cet après-midi, à quinze heures, avec plusieurs de mes camarades. Je te demande d'avoir beaucoup de courage ; je vais mourir en pensant à toi jusqu'à la dernière minute comme j'ai toujours pensé.
Je meurs courageusement et en patriote pour mon pays, j'ai fait mon devoir de soldat, je te demande d'oublier ce cauchemar et te souhaite d'être heureuse, car tu le mérites ; choisis un homme bon, honnête et qui saura te rendre heureuse. Conserve ma mémoire le temps que tu voudras, mais il faut te dire une chose, personne ne vit avec les morts.
J'avais fait pour toi et moi de beaux projets, mais le sort en a décidé autrement. Je te jure que je n'ai jamais eu un moment de défaillance. Je meurs en soldat de la Libération et en Français patriote.
Tu demanderas si tu le désires à mes parents chéris, que je vais quitter avec un grand regret, un souvenir de moi qui ne devra jamais te quitter.
Tu diras aussi à tous mes camarades que tu connais que je les quitte en pensant à eux, qu'ils pensent un peu à leur camarade qui est mort pour sa patrie.
Chère Mathilde, j'aurais bien voulu ainsi que mes parents vous serrer une dernière fois dans mes bras, mais le temps me manque. Je pense tendrement à tes parents, à toute ta famille que je regardais déjà presque comme la mienne ; mon dernier souvenir va aussi vers tous les voisins et amis que je quitte en embrassant de tout coeur.
J'espère que le souvenir de mes camarades et le mien ne sera pas oublié car il doit être mémorable, petite Mathilde. Je te demande d'être heureuse, c'est ma dernière volonté.
Ma lettre n'est pas très bien écrite, mais ce n'est pas de ma faute, conserve-la parmi les objets qui te sont les plus précieux.
Je termine en t'embrassant de tout mon coeur et ton souvenir m'accompagne jusqu'au bout.
Ton petit ami qui te quitte pour toujours.

Auteur: Rouxel Roger

Info: Prison de Fresnes 21 février 1944, à sa fiancée

[ exécution ]

 

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soirée familiale

J'ai le souvenir de longs moments, au temps de mon enfance où, heureusement, on n'avait qu'une lampe : il n'y avait pas l'électricité à la maison, si bien qu'autour de la lampe il y avait les personnes qui s'occupaient d'une façon active : une raccommodait, une autre dessinait, une troisième faisait une broderie, une autre son devoir ; et celui ou celle qui n'était pas obligé d'être sous la lampe pour travailler se trouvait en dehors du cercle lumineux.



C'était formidable pour moi de vivre en regardant celle qui tricotait ou raccommodait, en regardant gratter le papier et tracer des lignes quand mon frère faisait ses devoirs.



J'ai vécu là des moments de véritable vie tout à fait passive à regarder les autres et ce n'était pas du tout oisif. Je crois que cela enseigne à vivre ; c'est plein de poésie.



Quand je repense au charme de ce rond de la lampe avec les gens autour, chacun occupé, et puis moi la petite fille qui n'avait à faire et qui était contente, là, à passer une heure, ou deux ... j'ai beaucoup appris.



Après, je savais tricoter, coudre, raccommoder, rien qu'en ayant vu. J'avais vu faire les mains, j'observais, je ne faisais rien. Je me rappelle que de temps en temps on me disait : "Mais pourquoi tu ne viens pas près de la lampe ?" Je répondais : "Non, je suis bien comme cela." Alors on me laissait tranquille.



C'était le soir. C'est à ces moments-là que je me suis mise à broder, j'aimais beaucoup broder, j'étais active.



Mais, dans la journée, quand on était sur la plage, on nous houspillait : "Allez les enfants, on n'est pas là pour s'amuser, creusez des trous !" Il fallait creuser des trous, alors que moi j'aimais être assise et regarder la mer. On m'appelait : "Françoise, tu baguenaudes, tu baguenaudes", et je me disais : "On ne peut donc pas vivre ?"



Je vous le dis : laissez-les vivre, et vivre c'est baguenauder, ne rien faire, car on n'est tout de même pas toujours obligé de faire quelque chose.



Cela, c'est la solitude positive. 

Auteur: Dolto Françoise

Info:

[ observatrice ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

coup d'oeil

Installé au premier rang, je me retournai pour observer en douce les gens. Je notai toutes les nuances de couleur. Toutes les teintes que j'avais pu voir auparavant étaient quelque part dans cette pièce. Les visages derrière moi offraient une palette de dégradés, des coloris fragmentés se reflétant telles les incrustations d'une mosaïque éclaboussée de lumière. Chacune insistant sur sa propre spécificité. Des éclats de chair en tous sens, acajou par ici, noix ou pin par là. Des bouquets de bronze et de cuivre, des étendues de pêche, ivoire et nacre. De temps en temps, des extrêmes : la pâte décolorée des pâtisseries danoises, ou bien la cendre nuit noire de la salle des machines d'un paquebot de l'histoire. Mais dans le milieu du spectre, majoritaire, toutes les traces et les nuances imaginables de marron s'entassaient sur les chaises pliantes. Ils se révélaient mutuellement, par contraste. Le brun-gris taupe révélant l'ambre, l'ocre révélant le fauve, les roses, les roux et les teks faisant mentir tous les noms dont on les avait toujours affublés. Toutes les proportions de miel, de thé, de café, de crème – fauve, renard, ivoire, chamois, beige, baie : j'étais incapable de distinguer un marron d'un autre. Marron comme les épines de pin. Marron comme le tabac séché. Des tons qu'il aurait sans douté été impossible de distinguer à la lumière du jour – châtaigne, roux, rouan – devenaient perceptibles grâce à ceux à côté desquels ils se trouvaient sous les lampes basses.

L'Afrique, l'Asie, l'Europe et l'Amérique se percutaient et ces nuances éclatées constituaient les incrustations de cet impact. Jadis, il y avait eu autant de couleurs de peau qu'il y avait de coins isolés sur terre. À présent, les combinaisons s'étaient multipliées. Combien de gradations un être humain pouvait-il percevoir ? Ce morceau polytonal et polyharmonique joué pour un public sourd comme un pot, qui n'entendait que les toniques et les dominantes, et tremblait même à l'idée de distinguer entre les deux. Il n'empêche, pour ma mère, toutes les notes de la gamme chromatique étaient présentes, et bon nombre de microtons intermédiaires.

Voilà pour le regard furtif que je lançai à la dérobade.

Auteur: Powers Richard

Info: Le temps où nous chantions

[ temps dilaté ] [ littérature ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

souffrance

Considérez la capacité du corps humain pour le plaisir. Parfois, il est agréable de manger, de boire, de voir, de toucher, de sentir, d'entendre, de faire l'amour. La bouche. Les yeux. Le bout des doigts, le nez. Les oreilles. Les parties génitales. Nos facultés de volupté (si vous voulez bien me pardonner l'expression) n'y sont pas exclusivement concentrées. Tout le corps est sensible au plaisir, mais par endroits il y a des puits d'où il peut être extrait en plus grande quantité. Mais pas inépuisablement. Combien de temps peut-on connaître le plaisir? Les Romains riches mangeaient à la satiété, puis purgeaient leurs ventres surchargés et mangeaient à nouveau. Mais ils ne pouvaient manger éternellement. Une rose est douce, mais le nez s'habitue à son parfum. Et qu'en est-il des plaisirs les plus intenses, des extases du sexe qui anéantissent la personnalité? Je ne suis plus un jeune homme; même si j'avais choisi de me débarrasser de mon célibat, j'aurais certainement perdu mon endurance, parvenant à bander en une demi-heures, là où c'était trois minutes autrefois. Et pourtant, si la jeunesse m'était pleinement restituée, et que je m'engageais à nouveau dans ce qui fut jadis mon plus grand plaisir - me faire faire une fellation par une nymphette à la bouche encore sanglante des précautions nécessaires - que se passerait-il alors? Et même si mon stock de prémenstruels anodontiques était sans fin? Sûrement qu'avec le temps je me lasserai.
Même si j'étais une femme, avec pouvoir d'enfiler orgasme sur orgasme comme des perles sur un collier, avec le temps, j'en aurais marre. Pensez-vous que Messaline, dans sa compétition avec une courtisane, connut autant de plaisir la première fois que la dernière? Impossible.
Pourtant, réfléchissez.
Pensez à la douleur.
Donnez-moi un centimètre cube de votre chair et je pourrais vous faire subir une douleur qui vous engloutira comme l'océan avale un grain de sel. Et vous serez toujours mûre pour elle, d'avant votre naissance jusqu'à votre mort, nous sommes toujours disponibles pour l'étreinte de la douleur. Faire l'expérience de la douleur n'exige aucune intelligence, aucune maturité, aucune sagesse, aucun lent travail des hormones dans le midi humide de nos entrailles. Nous sommes toujours prêts. Toute vie est mûre pour elle. Toujours.

Auteur: Aldapuerta Jesus Ignacio

Info: The Eyes: Emetic Fables from the Andalusian de Sade

[ loka-dhamma ] [ masochisme ] [ sexe ]

 

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