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lire

Mais le problème avec les lecteurs, l'idée qui nous est donnée de la lecture, est celle du spectateur qui regarde un film ou la télévision. Le grand principe est donc : " Je vais m'asseoir ici pour me divertir ".  Et le modèle plus classique, qui n'existe plus, c'est l'analogie avec le musicien. Un musicien, même amateur, qui se met au piano pour déchiffrer la partition d'une  musique qui est l'œuvre de quelqu'un qu'il ne connaît pas, qu'il ne pourra  probablement jamais comprendre entièrement, doit utiliser ses propres compétences pour jouer cette pièce de musique. Plus la compétence est grande, plus le don qu'on fait à l'artiste et que l'artiste nous fait est grand. C'est une idée très peu moderne de la lecture. Et pourtant, lorsqu'on pratique la lecture et qu'on travaille un texte, il ne peut vous donner que ce que vous y mettez. C'est une vieille morale, mais elle est tout à fait vraie. 


Auteur: Smith Zadie

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[ analogie ] [ décodage ] [ miroir ] [ langages ]

 

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écriture

Certains écrivains sont des violonistes solistes qui ont besoin d'un silence total pour accorder leurs instruments. D'autres veulent entendre tous les membres de l'orchestre - ils prendront des notes d'une clarinette, d'un hautbois, même. Je suis de ceux-là. Mon bureau est couvert de romans ouverts. Je lis des lignes pour baigner dans une certaine sensibilité, pour trouver une note particulière, pour encourager la rigueur quand je suis trop sentimentale, pour apporter une aisance verbale quand je suis crispé sur la syntaxe. Je conçois la lecture comme un régime alimentaire équilibré ; si vos phrases sont trop amples, trop baroques, réduisez votre consommation de Foster Wallace, par exemple, et prenez du Kafka, comme nourriture de base. Si votre esthétique est devenue si raffinée qu'elle vous empêche d'apposer une seule marque noire sur du papier blanc, arrêtez de vous inquiéter de ce que dirait Nabokov ; prenez Dostoïevski, le saint patron de la substance plutôt que du style. 


Auteur: Smith Zadie

Info: Changing My Mind : Occasional Essays

[ harmonie ] [ écrivains-par-écrivaine ]

 

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question

Je me rappelle en particulier deux fillettes marchant pieds nus, main dans la main, au bord de la route, elles avaient l'air d'être des meilleures amies. Elles m'adressèrent un signe et je leur répondis. Il n'y avait rien ni personne aux alentours, elles se trouvaient là au bout du monde, ou du monde que je connaissais, et en les observant je compris qu'il m'était difficile, voire impossible, d'imaginer la façon dont elles appréhendaient le temps, là, dans la brousse. Je me souviens de moi à leur âge, bien sûr, Tracey et moi nous tenant par là main ; nous nous voyions comme des gosses des années quatre-vingts, plus malignes que nos parents, beaucoup plus modernes. Nous pensions être le produit d'un moment singulier, parce que en même temps que nos vieilles comédies musicales nous aimions des choses comme Ghostbusters et Dallas et les sucettes flûtes. Nous avions le sentiment d'avoir notre place dans le temps. Qui sur terre ne pense pas ainsi ?

Auteur: Smith Zadie

Info: Swing Time

[ enfant-parents ] [ sentiment de supériorité ] [ décalage ] [ illusion ]

 

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égoïsme enfantin

Qu'attendons-nous de nos mères lorsque nous sommes enfants ? Une soumission totale. Oh, c'est très bien, rationnel et respectable de dire qu'une femme a tous les droits sur sa vie, ses ambitions, ses besoins, etc. - c'est ce que j'ai toujours exigé moi-même - mais comme enfant, non, la vérité est qu'il s'agit d'une guerre d'usure, la rationalité n'entre pas en ligne de compte, pas du tout, tout ce que vous voulez de votre mère est qu'elle admette une fois pour toutes qu'elle est votre mère et seulement votre mère, et que sa bataille contre le reste de l'existence est finie. Elle doit déposer les armes et venir à vous. Et si elle ne le fait pas, c'est vraiment une guerre, et c'était une guerre entre ma mère et moi. Ce n'est qu'à l'âge adulte que j'en suis venue à l'admirer vraiment - surtout dans les dernières et douloureuses années de sa vie - pour tout ce qu'elle avait fait pour s'approprier un peu d'espace dans ce monde.

Auteur: Smith Zadie

Info: Swing Time

[ fille-mère ] [ devoir maternel ]

 

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egos blessés

C'est une chose amusante du monde moderne. Dans les toilettes des clubs, on entend des filles dire : "Oui, il a baisé et m'a quittée. Il ne m'aimait pas. Il ne savait pas gérer l'amour. Trop taré pour savoir comment m'aimer." Alors comment en est-on arrivé là ? Qu'est-ce qui, dans ce siècle peu aimable, nous a convaincus que nous étions, malgré tout, éminemment aimables en tant que personnes, en tant qu'espèce ? Qu'est-ce qui peut nous faire croire que quiconque qui ne nous aime pas est perturbé, déficient, dysfonctionnel d'une manière ou d'une autre ? En particulier après nous avoir comparé à une divinité, à une madone en pleurs ou au visage du Christ dans un sandwich friandise... Alors nous les traitons de dingues. Délirants. Régressifs. Nous sommes tellement convaincues de notre bonté et de la bonté de notre amour que nous ne pouvons supporter qu'il puisse y avoir quelque chose de plus digne d'amour que nous, de plus digne d'adoration. Il est courant que les cartes de vœux annoncent que tout le monde mérite l'amour. Non. Tout le monde a droit à de l'eau potable. Pas a être aimé sans cesse.

Auteur: Smith Zadie

Info: White Teeth

[ pensée-de-femme ]

 

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enfance

Les gens parlent de la douce quiétude qui peut exister entre deux amours, mais ça aussi, c'était génial ; assis entre sa sœur et son frère, sans rien dire, en train de manger. Avant que le monde n'existe, qu'il ne soit surpeuplé, qu'il y ait des guerres, des emplois, des universités, des films, des vêtements, des opinions et des voyages à l'étranger. Avant toutes ces choses, il n'y avait eu qu'une seule personne, Zora, et un unique endroit : une tente dans le salon, faite de chaises et de draps de lit.  Après quelques années, Levi arriva ; on lui créa un espace ; c'était comme s'il avait toujours été là. En les observant tous les deux, Jérôme se retrouve dans les articulations de leurs doigts, leurs oreilles en forme de conque, leurs longues jambes et leurs boucles sauvages. Il se reconnaissait lui-même dans les petits sons provoqués par ces langues gonflées qui vibraient contre leurs dents légèrement apparentes. Il ne se demandait pas s'il les aimait, ni comment, ni pourquoi. Ils n'étaient que de l'amour :  la première preuve d'amour qu'il ait jamais eue, et qui en serait la dernière confirmation de cet amour lorsque tout le reste s'écroulerait.

Auteur: Smith Zadie

Info: On beauty

[ fratrie ]

 
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