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ralentissement

Le jour où la Grande Impératrice interdit le transport privé sur roues, beaucoup dirent qu’elle était folle. […] Elle avait raison, bien sûr. Les fiacres et les diligences et les calèches disparurent. Seuls ceux pour qui il était indispensable de se déplacer à plus de vingt kilomètres pouvaient monter dans un transport public sur roues. Les autres marchaient, ou chevauchaient un âne, ou, s’ils étaient riches, circulaient en chaise à porteurs. La vie se fit plus lente. Les gens devinrent moins pressés, car se presser était inutile. Les grands centres commerciaux, bancaires et industriels disparurent, ceux où tout le monde s’entassait et se poussait et s’irritait et s’insultait, et des petites boutiques et des services ouvrirent dans chaque quartier, où chaque commerçant, chaque banquier, chaque entrepreneur connaissait ses clients et la famille de ses clients. Les grands hôpitaux disparurent, ceux qui servaient à une ville entière et parfois à plusieurs villes, car un blessé ou une parturiente ne pouvait plus couvrir rapidement de grandes distances, et des petits centres médicaux ouvrirent où les gens se rendaient lentement et où chaque médecin savait qui étaient ses patients et avait le temps de causer avec eux du temps, de la crue de la rivière, des progrès des bambins, et même des maladies. Les grandes écoles disparurent, celles où les élèves étaient un numéro sur un formulaire, et chaque maître sut pourquoi ses élèves étaient comme ils étaient, et les enfants se levaient sans précipitation et marchaient en se tenant la main le long de quelques pâtés de maisons sans que personne ait besoin de les accompagner et ils arrivaient à l’heure en classe. Les gens cessèrent de prendre des tranquillisants, les maris de crier sur leurs femmes et les femmes sur leurs maris, et plus personne ne frappait les bambins. Et les rancœurs s’apaisèrent, et, au lieu de prendre une arme pour s’approprier l’argent d’autrui, les gens employèrent leur temps à d’autres choses qui n’étaient pas la haine et se mirent à travailler outre mesure puisqu’il y avait à réformer, maintenant que les véhicules véloces n’existaient plus et que les distances s’étaient allongées. Même les villes changèrent. Les villes monstrueuses dans lesquelles un homme se sentait seul ou inutile se démembrèrent et chaque quartier se sépara de l’autre et il y eut des petits centres, quasiment une ville en soi pour chacun d’entre eux, autosuffisants, avec ses écoles et ses hôpitaux et ses musées et ses marchés et pas plus de deux ou trois policiers blasés et somnolents assis au soleil, buvant une limonade avec un vieux voisin retiré des affaires. Les petites villes ne poussèrent pas et ne ressentirent pas le besoin de s’étendre et de s’agrandir, mais, le long du long chemin qui les séparait les unes des autres se fondèrent de nouvelles communes, petites également, tranquilles également, pleines de jardins et de potagers et de maisons basses et de gens qui se connaissaient et de maîtres et de médecins et de conteurs de contes et de policiers débonnaires.

Auteur: Gorodischer Angelica

Info: Kalpa impérial

[ décentralisation ] [ conte ] [ rêve ] [ utopie ] [ décroissance ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

totalitarismes

Apparemment enhardi par ses propres formulations, Jung s’aventure avec confiance sur la glace fragile des généralisations et des pronostics politiques. Tout d’abord, il exprime sa foi en la démocratie : "En qualité de Suisse, je suis un démocrate invétéré, et cependant je reconnais que la nature est aristocratique, et de plus, ésotérique." S’étant ainsi absous lui-même, il poursuit : "Les grands actes libérateurs de l’histoire universelle ont été accomplis par des personnalités dominantes, jamais par la masse inerte qui est en tout temps secondaire et dépend du démagogue si elle doit éventuellement bouger." Le péan de la nation italienne, ajoute-t-il, est dédié à la personnalité du Duce, et les chants funèbres des autres nations lamentent l’absence de grands chefs. Au cas où nous pourrions encore douter de la nature de ces grands chefs, Jung ajoute une note marginale qui mérite d’être citée en entier : Ce chapitre a été originellement donné sous forme de conférence sous le titre de Die Stimme des Innern au Kulturbund, à Vienne, en novembre 1932. Depuis lors, l’Allemagne aussi a trouvé son chef.

Que cette note ait été plus qu’un commentaire impersonnel est corroboré par un certain nombre de faits. Lorsqu’il fut critiqué par le Dr G. Bailly pour avoir accepté de devenir l’éditeur de la Zentrablatt für Psychotherapie, Jung soutint qu’en accomplissant cette démarche, il s’était exposé aux malentendus "auxquels personne ne peut échapper, lorsque mû par une nécessité supérieure, il est parvenu à s’entendre avec les pouvoirs qui existent en Allemagne" [Neue Zürcher Zeitung, 13 mars 1934]. […]

En 1936, alors qu’il développait son "analyse psycho-politique" conformément à la tendance aristocratique de la nature, Jung déclare explicitement : "La démocratie communiste ou socialiste est le soulèvement des inadaptés contre les efforts de l’ordre." Et encore : "Les hommes SS sont en pleine transformation et vont devenir une caste de chevaliers à la tête de 60 millions d’indigènes." "Il existe deux types de dictateurs, le type du chef et le type du medecine-man. Hitler appartient à ce dernier type. Il est le porte-parole des anciens dieux… la Sybille… l’oracle delphique." Dès le début de 1939 il avertit les chefs d’Etats occidentaux "de ne pas toucher à l’Allemagne dans son humeur présente. Elle est beaucoup trop dangereuse… Laissez-la pénétrer en Russie. Il y a là assez de territoires – un sixième de la surface de la terre" [Cosmopolitan Interview, janvier 1939]. […]

Après l’événement, Jung fit preuve d’une sagesse rétrospective comme l’eut fait à sa place tout autre mage politique qui se serait rendu coupable d’une semblable énormité. […] Après la défaite de 1945, son portrait de Hitler subit une transformation remarquable. La figure hermaphrodique du medecine-man "religieux" cum Sybille, le "demi-dieu" qu’il nous avait présenté en 1936 fait place à "cet épouvantail à moineaux psychique (avec pour bras un manche à balai)", un hystérique, souffrant de pseudologia phantastica, un psychopathe entraînant des millions d’êtres à une psychose collective, qui, incidemment cessait d’être – comme en un temps aux yeux de Jung – particulière à l’URSS. 

Auteur: Glover Edward

Info: Dans "Freud ou Jung ?", trad. Lucy Jones, P.U.F., Paris, 1954, pages 118-120

[ nazisme ] [ caution extérieure ] [ volte-face ] [ vingtième-siècle ] [ ambivalence ] [ adaptation ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

symbole républicain français

Nous sommes ici en France. Tous les jours nous léchons pour les coller sur des enveloppes l’envers de timbres reproduisant la tête d’une femme coiffée d’un bonnet phrygien. On la prénomme Marianne, cette créature sévère avec son bonnet frigide sur la tête. Mais d’abord pourquoi ce bonnet ? Référence en passant au culte de Mithra, le grand totémisme phrygien des baptêmes dans le sang des taureaux. Rappel aussi de l’interprétation rosicrucienne du bonnet écarlate dont on coiffait le massacreur du taureau et qui était censé symboliser le prépuce ensanglanté… La République française, donc, gravée dans son carré de timbre, avec sa verge rebroussée rouge sur la tête. On s’en met, des choses curieuses, sous la langue, chaque jour… Cocarde circoncise. Avertissement répété à la castration. Chapeau du sacrifice. Souvenir sous votre salive de l’assassinat fondateur devenu couvre-chef ou béret rituel.

Mais il y a encore plus original et magique. La belle créature impressionnante si athénienne quant au profil a un prénom traditionnel : Marianne. C’est ici que les surprises commencent. Qui est Marianne ? La Liberté de Delacroix ? Non. Son nom, son simple nom si naturel ? D’où vient-il ? Eh bien c’est là que nous allons nous apercevoir que chaque jour, à des milliers d’exemplaires, le timbre français si banal nous envoie un message chiffré du fond de son origine secrète. Caché justement, occulte. Car le nom de Marianne adopté comme prénom qui-va-de-soi de la République allégorisée vient tout simplement d’une société clandestine qui s’appelait La Marianne. Une association de conjurés de l’ouest conspirant dans le but de renverser le régime mis en place par le coup d’Etat du 2 décembre 1851.

La Marianne dépendait du Comité démocratique européen de Londres dont les membres les plus importants étaient Mazzini et Ledru-Rollin. Voilà pour le versant socialiste.

Et voilà maintenant le versant occulte.

Les cérémonies initiatiques de la secte se déroulaient dans la grande tradition. […] Le nouvel adepte entrait les yeux bandés. Il prêtait serment de courir aux armes dès le premier signal pour rétablir la République. On lui apprenait la série de signes communs à tous les conjurés. Trois coups de pouce sur la première phalange de l’index, un salut de la main gauche, le pouce à nouveau contre le front, la poitrine et à hauteur du cœur. Le rituel se terminait par un dialogue fait de répliques apprises par cœur que l’on a conservées et qui valent la peine d’être relues :

"Connaissez-vous Marianne ?

- De la montagne.

- L’heure ?

- Elle va sonner.

- Le droit ?

- Au travail.

- Le suffrage ?

- Universel.

- Dieu me voit ?

- Du haut de la montagne.

- Le lion ?

- Le lion." 

Cent ans plus tard, évidemment, tout le monde a oublié ces laborieuses origines. Marianne est devenue une revenante, elle aussi, un petit fantôme dans son carré de papier crypté.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Le 19e siècle à travers les âges", pages 249-250

[ histoire ]

 

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homme-animal

Je me suis mis au lit et j’ai essayé de dormir. Comment qu’elles jactaient [les perruches] ! Chaque muscle de mon corps me faisait mal. J’avais beau me coucher sur ce côté-ci, sur ce côté-là, sur le dos, j’avais mal. J’ai trouvé que le mieux c’était encore sur l’estomac, mais je m’en suis vite fatigué. Ça prenait deux ou trois bonnes minutes pour me tourner d’une position à l’autre.
Je me tournais et me retournais, pestant, criant un peu, et rigolant un peu également à cause du ridicule de la chose. Elles continuaient à papoter. Ça commençait à bien faire. Qu’est-ce qu’elles savaient de la douleur, dans leur petite cage ? Pipelettes à têtes d’œuf ! Rien que des plumes ; une cervelle grosse comme une tête d’épingle.
J’ai réussi à m’extraire du lit, passer à la cuisine, remplir une tasse d’eau, et puis je me suis approché de la cage et j’ai jeté de la flotte en plein sur elles.
"Enfoirées !" je les ai agonies.
Elles m’ont regardé d’un air sinistre sous leurs plumes mouillées. Elles avaient fermé leur clapet ! Rien de tel que le vieux traitement à la flotte. J’avais emprunté une page aux psychiatres.
Et puis la verte à gorge jaune a rentré la tête et s’est mordu la gorge. Ensuite elle a regardé en l’air et s’est mise à bavacher avec la rouge à gorge verte, et c’est reparti.
[…] C’en était trop. J’ai porté la cage dehors. […] 10 000 mouches se sont élevées dans les airs. J’ai posé la cage par terre, ouvert la porte de la cage et me suis assis sur les marches.
Les deux piafs ont regardé la porte. Elles (ou ils) comprenaient pas, et pourtant… Je sentais leur cervelle de minus essayer de fonctionner. Elles avaient leur nourriture et leur flotte juste ici, mais c’était quoi, cet espace grand ouvert ?
La verte à gorge jaune y a été la première. Elle a sauté de son perchoir jusqu’à l’ouverture. Elle est restée à agripper le fil de fer. Elle regardait les mouches autour d’elle (ou lui). Elle est restée là 15 secondes, à se décider. Et puis quelque chose s’est déclenché dans sa petite tête. Elle (ou il) ne s’est pas envolé à proprement parler. Elle a foncé tout droit dans le ciel. Plus haut, toujours plus haut. Droit en l’air ! Droit comme une flèche ! […] La saloperie de bestiole était partie.
Ensuite ça a été le tour du rouge à gorge verte.
Le rouge hésitait beaucoup plus. Il tournait sur le fond de la cage, nerveux. C’était pas une mince de décision. Les humains, les oiseaux, tout le monde doit prendre ce genre de décision. C’était pas facile.
Alors ce vieux rouge tournait en rond, à réfléchir. Soleil jaune. Mouches qui bourdonnaient. Homme et chien qui observaient. Tout ce ciel, tout ce ciel.
C’était trop. Vieux rouge a sauté sur le fil de fer. 3 secondes.
ZOOP !
Plus de piaf.
Picasso et moi on a ramassé la cage vide et on est rentrés dans la maison.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Le postier", pages 92-94

[ choix ] [ liberté ] [ dérision ] [ comique ] [ séparation ] [ destin ]

 

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anthropocentrisme

Les évolutionnistes, qui n’ont aucune idée de l’éternité, non plus que de tout ce qui est de l’ordre métaphysique, appellent volontiers de ce nom une durée indéfinie, c’est-à-dire la perpétuité, alors que l’éternité est essentiellement la "non-durée" ; cette erreur est du même genre que celle qui consiste à croire que l’espace est infini, et d’ailleurs l’une ne va guère sans l’autre ; la cause en est toujours dans la confusion du concevable et de l’imaginable. En réalité, l’espace est indéfini, mais, comme toute autre possibilité particulière, il est absolument nul par rapport à l’Infini ; de même, la durée, même perpétuelle, n’est rien au regard de l’éternité. Mais le plus singulier, c’est ceci : pour ceux qui, étant évolutionnistes d’une façon ou d’une autre, placent toute réalité dans le devenir, la soi-disant éternité temporelle, qui se compose de durées successives, et qui est donc divisible, semble se partager en deux moitiés, l’une passée et l’autre future. […]. Le mot d’"évolution" n’est pas dans le passage que nous venons de citer, mais c’est évidemment cette conception, exclusivement basée sur l’"idée de succession", qui doit remplacer "l’ancienne théorie d’une création faite une fois pour toutes", déclarée impossible en vertu d’une simple "croyance" (le mot y est). Du reste, pour l’auteur, Dieu lui-même est soumis à la succession ou au temps ; la création est un acte temporel : "aussitôt que Dieu existe, il crée" ; c’est donc qu’il a un commencement, et probablement doit-il aussi être situé dans l’espace, prétendu infini. Dire que "l’idée de Dieu est synonyme de l’idée de Créateur", c’est émettre une affirmation plus que contestable : osera-t-on soutenir que tous les peuples qui n’ont pas l’idée de création, c’est-à-dire en somme tous ceux dont les conceptions ne sont point de source judaïque, n’ont par là même aucune idée qui corresponde à celle de la Divinité ? C’est manifestement absurde ; et que l’on remarque bien que, quand il s’agit ici de création, ce qui est ainsi désigné n’est jamais que le monde corporel, c’est-à-dire le contenu de l’espace que l’astronome a la possibilité d’explorer avec son télescope ; l’Univers est vraiment bien petit pour ces gens qui mettent l’infini et l’éternité partout où il ne saurait en être question ! S’il a fallu toute l’"éternité passée" pour arriver à produire le monde corporel tel que nous le voyons aujourd’hui, avec des êtres comme les individus humains pour représenter la plus haute expression de la "vie universelle et éternelle", il faut convenir que c’est là un piteux résultat ; et, assurément, ce ne sera pas trop de toute l’"éternité future" pour parvenir à la "perfection", si relative pourtant, dont rêvent nos évolutionnistes. Cela nous rappelle la bizarre théorie de nous ne savons plus trop quel philosophe contemporain (si nos souvenirs sont exacts, ce doit être Guyau), qui se représentait la seconde "moitié de l’éternité" comme devant se passer à réparer les erreurs accumulées pendant la première moitié ; et voilà les "penseurs" qui se croient "éclairés", et qui se permettent de tourner en dérision les conceptions religieuses !

Auteur: Guénon René

Info: L'Erreur spirite, deuxième partie, ch. IX, pp. 294 à 298, éd. Éditions Traditionnelles, 1977

[ contradictions ] [ évolution spirituelle ]

 

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philosophie antique

Les premiers philosophes attribuaient l’être uniquement aux éléments matériels : l’eau (Thalès), l’air (Diogène, Anaximène), le feu (Hyppase et Héraclite), ou à leur combinaison (l’eau, l’air, le feu et la terre chez Empédocle). Une position aussi simpliste est insoutenable par une saine philosophie de la nature. Et elle est tout aussi inacceptable en métaphysique puisqu’elle réduit arbitrairement l’être à la matière.

Chez d’autres, ce qui existe était la cause efficiente : l’intelligence, l’amour, l’amour et la haine. Or ces théories qui posent l’étant à l’extérieur du réel ne donnent aucune explication sur ce qui se tient là sous nos yeux. Etre fait par amour ou par intelligence ne nous dit sur ce qu’est l’être. […]

Pour échapper au matérialisme et à ces fausses explications, certains ont voulu voir dans les choses elles-mêmes des principes invisibles qui seraient à proprement parler les étants. Ce sont les fameux atomes de Démocrite et de Leucippe, ou les nombres de Pythagore. Pour ce qui est de Pythagore, il faut lui reconnaître le mérite de chercher un principe d’explication des êtres au-dessus de la matière, le nombre, mais il en reste au domaine de la quantité […].

C’est le philosophe grec Parménide qui, le premier, considéra l’être en tant qu’être. Il le découvrit dans une sorte d’intuition mystique, et il en fut tellement ébloui que rien ne pouvait plus exister, selon lui, hors de cet être absolu. […]

La pensée de Parménide a certes le mérite d’élever la pensée humaine d’un coup d’aile vers les sphères très hautes de la contemplation métaphysique, mais elle exagère la portée de l’être. Elle commet l’imprudence de se laisser aveugler par son objet sans prendre le temps de distinguer et de nuancer. Parménide conçoit en effet l’être comme un genre univoque. Ce qui n’est pas l’être absolu n’appartient donc pas à ce genre, et n’existe pas. Hors de l’être nécessaire envisagé par Parménide, il n’existe rien.

[…] Surtout [Parménide] ne rend nullement compte de la multiplicité des êtres. Il n’existe pour lui qu’un être unique dont ce qui nous apparaît comme des êtres ne seraient que des manifestations accidentelles. Le fondateur de l’Académie [Platon] cherche à répondre à ce problème de la multitude posé par Parménide. Il va malheureusement se tromper de voie. Il croit en effet pouvoir expliquer la multitude des êtres de la façon suivante : les choses matérielles sont individuelles tandis que leurs formes sont universelles. Nous pouvons en conclure, selon Platon, que ces deux réalités (la réalité matérielle et sa forme) sont séparées. […] L’étant, ce qui existe en réalité, pour Platon, ce n’est plus telle chose concrète que j’ai sous les yeux, mais l’idée de cette chose. Le corps matériel est sans cesse soumis au changement et n’est jamais véritablement, l’idée seule est immuable et réelle. […] Les choses matérielles ne sont pas dignes de notre attention. Le monde d’ici-bas se trouve alors vidé de toute consistance et de toute beauté. Le véritable objet de la science, c’est le monde des Idées qui échappe au commun des mortels et ne se livre qu’à une élite choisie.

Auteur: Fabre Jean-Dominique Père

Info: Dans "Lettres à un curieux", éditions du Saint Nom, 2010, pages 149-151

[ historique ] [ résumé ] [ critique ]

 

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métaphysique

Pour saisir la véritable distinction d’intellectus et de ratio, et la juste subordination que l’on doit établir entre eux, il suffit d’interroger la plus que millénaire tradition philosophique de l’Occident latin.

S. Augustin nous présente cette distinction avec toute la clarté désirable. Sa doctrine est simple : si la connaissance humaine commence par la raison qui cherche, elle se termine par l’intellect qui trouve. “La raison est un mouvement capable de distinguer et de relier nos connaissances entre elles ”. Mais : “autre est l’intellect, autre la raison”. L’intellectus ou intelligentia (“l’intellect ou l’intelligence”), en effet, est la faculté supérieure de l’âme humaine, directement illuminée par la lumière divine : “Il y a dans notre âme quelque chose que l’on appelle intellect. Et cette partie de l’âme, que l’on appelle intellect ou esprit, est elle-même illuminée d’une lumière supérieure. Or, cette lumière par laquelle l’esprit est illuminé, c’est Dieu.” […] En somme, la raison se distingue de l’intellect comme la science (en vue de l’action) se distingue de la sagesse (en vue de la contemplation) : “Si donc il existe une exacte distinction de la sagesse et de la science, savoir, qu’à la sagesse appartient la connaissance intellective des choses éternelles, tandis qu’à la raison appartient la connaissance rationnelle des choses temporelles, il n’est pas difficile de juger laquelle est la première et laquelle est la seconde.”

La doctrine de S. Thomas d’Aquin ne diffère guère de celle de S. Augustin. Du moins les distinctions terminologiques sont-elles identiques de part et d’autre. “La raison diffère de l’intellect comme la multiplicité de l’unité ; d’où vient que Boèce, au livre IV du De Consolatione, dit que la raison se trouve dans le même rapport à l’intellect que le temps à l’éternité, et le cercle au centre. C’est en effet le propre de la raison de se répandre en tous sens sur une foule de choses, et d’en tirer, en les rassemblant, une connaissance une et simple. […] Mais à l’inverse l’intellect commence d’abord par la considération de la vérité une et simple, puis saisit en elle la connaissance de tout le multiple, de même que Dieu, par l’intellection de son essence, connaît toute chose. 

Cet intellect, non seulement reçoit en lui les connaissances qui viennent de l’extérieur, en tant qu’intellect passif, mais encore, en tant qu’intellect actif, il illumine la connaissance reçue pour en révéler à lui-même la dimension intelligible, comme un œil qui éclairerait ce qu’il voit. […] De grands thomistes affirment qu’il n’y a pas d’intuition intellectuelle chez S. Thomas (cf. par exemple, Sertillanges, Saint Thomas d’Aquin, Alcan, 1912, t. 1, p. 134). C’est même là la thèse généralement admise. Nous avons expliqué pourquoi elle nous paraissait très incomplète (cf. notre article : "La notion d’intellect chez saint Thomas d’Aquin", publié dans la revue Philosophia perennis, n°3, janvier-février 1970). Rappelons seulement ici que, pour S. Thomas : “la raison et l’intellect diffèrent quant au mode de connaissance, parce que, si l’intellect connaît par simple intuition (simplici intuitu), la raison, elle, connaît les choses discursivement.” (Somme théologique, I, q. 59, a. 1, ad 1). D’autre part, comme nous l’avons rappelé, c’est l’intellect qui [d'après S. Thomas] est béatifié et s’unit à l’Essence divine.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité. La voie chrétienne de la charité, chap. VII : "La constitution de l’Homme selon la méthode philosophique", III, "La tripartition anthropologique", 8, "Intellectus et ratio chez S. Augustin et S. Thomas d’Aquin", L’Harmattan, coll. Théôria, Paris, 2011, pp. 113-116.

[ différences ] [ curiosité instinctive ]

 

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protestantisme

Dans les rapports de l’homme avec Dieu, rien de juridique. Tout est amour, un amour agissant et régénérateur, témoigne à la créature déchue par la Majesté redoutable. Un amour qui l’incline, non point à pardonner à l’homme ses péchés, mais à ne point les lui imputer. Tout pécheur qui, se reconnaissant comme tel, acceptant sur sa misère morale et sa souillure le témoignage d’une conscience sans complaisance, sent et atteste que Dieu, le seul juste, est pleinement en droit de le rejeter ; en langage luthérien, tout homme qui reçoit le don de la foi (car la foi pour Luther n’est pas la croyance ; c’est la reconnaissance par le pécheur de la justice de Dieu  ) — tout pécheur qui, se réfugiant ainsi au sein de la miséricorde divine, sent sa misère, la déteste, et proclame par contre sa confiance en Dieu : Dieu le regarde comme juste. Bien qu’il soit injuste ; plus exactement, bien qu’il soit à la fois juste et injuste : Revera peccatores, sed reputatione miserentis Dei justi ; ignoranter justi et scienter injusti ; peccatores in re, justi autem in spe  ... Justes en espérance ? par anticipation plus exactement. Car ici-bas, Dieu commence seulement l’œuvre de régénération, de vivification, de sanctification qui, à son terme, nous rendra justes, c’est-à-dire parfaits. Nous ne sommes pas encore les justifiés, mais ceux qui doivent être justifiés : non justificati, sed justificandi.

Donc les œuvres disparaissent. Toutes. Arbitramur justificari hominem per fidem, sine operibus legis [Car nous estimons que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi] : Luther rencontrait dans l’Épître aux Romains (III, 28) la formule fameuse. Dès 1516, il repoussait avec force l’interprétation traditionnelle : opera legis, les pratiques extérieures. Erreur, s’écriait-il dans une lettre à Spalatin du 19 octobre 1516 ; et déjà, annonçant de futurs combats : "Sur ce point, sans hésitation, je me sépare radicalement d’Érasme". Opera legis, toutes les œuvres humaines, quelles qu’elles soient ; toutes méritent la réprobation de l’apôtre. Le salut ? Il nous vient de sentir en nous, toujours, le mal agissant et notre imperfection. Mais aussi, si nous avons la foi, de porter Dieu en nous. De sa seule présence naît l’espoir d’être justifié, de prendre rang parmi ces élus que, de toute éternité, il prédestine au salut, parce qu’il les aime assez pour les appeler à la vie éternelle. […]

Conception d’accent tout personnel. On voit de suite en quoi, et comment, elle pouvait procurer à Luther ce calme, cette paix que la doctrine traditionnelle de l’Église ne lui ménageait point. Ce mécontentement de lui-même qui ne l’abandonnait jamais ; ce sentiment aigu de la ténacité, de la virulence perpétuelle du péché qui persistait en lui à l’heure même où il aurait dû se sentir libéré et purifié ; cette conscience de ne jamais réaliser, même au prix des plus grands, des plus saints efforts, que des œuvres souillées de péché, d’égoïsme ou de convoitise ; tout ce qui faisait le désespoir, l’anxiété, le doute atroce de Luther — tout cela, il le concevait maintenant avec une force, une clarté indicibles : conditions voulues, par Dieu conditions normales et nécessaires du salut. Quel soulagement, et quelle résurrection !

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 34-35

[ théologie ] [ bénéfices secondaires ]

 

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cognition

Les couleurs et les sons

Leonard Bernstein a affirmé : " Un compositeur de symphonie a devant lui toutes les notes de l'arc en ciel". Plus qu’une transdisciplinarité, l’association de la musique et de la couleur est un énomène qui a toujours existé. Les expériences multisensorielles dans l’art sont nombreuses. Voyons ici comment mettre à profit ce lien son/couleur dans l’apprentissage des enfants, notamment en ce qui concerne la lecture et l’écriture.

Chromesthésie

Derrière ce nom compliqué, se cache la capacité à percevoir différemment le son et à le ressentir "visuellement". Cette particularité ne concerne que peu de personnes et fait référence de manière plus large à l’expérience singulière de la synesthésie, terme signifiant en grec ensemble et sens. Autrement dit, certains individus goûtent une couleur, voient un son ou bien sentent un mot. 

Entre autres synesthètes célèbres, l’on trouve Vincent Van Gogh, Duke Ellington, Jean Sibelius ou encore Wagner avec son œuvre d’art totale le Gesamtkunstwerk. Goethe quant à lui a déclaré que "la couleur et le son ont la même source […] mais coulent dans des conditions différentes". Ainsi, textures, formes et couleurs apparaissent dans le champ de perception du synesthète lors de la stimulation par la musique ou les notes. En 1842 Franz Liszt aurait à ce sujet interloqué les musiciens de l’orchestre de Weimar lors d’une répétition en leur demandant de jouer "un peu plus bleu […] et "moins rose".

Faciliter l'apprentissage par les sons et les couleurs

Ce phénomène neurologique étrange et individuel nous emmène au potentiel pédagogique contenu dans l’association des sons et des couleurs. Comment faciliter les apprentissages des enfants si ce n’est par l’aspect multisensoriel et ludique des vibrations et de la couleur ? Lorsque par exemple à travers la lecture les enfants ne reconnaissent pas toutes les voyelles dans un texte, les couleurs auxquelles ils sont très réceptifs les aident. En effet, plus ils rencontrent les graphies d’un son coloré, plus ils s’en imprègnent facilement.  D’autre part, ils parviennent à déchiffrer les sons non appris grâce aux couleurs. Les enfants allophones apprennent de plus les couleurs comme premiers mots. 

Le principe pédagogique pour s’approprier la correspondance entre les graphèmes et la couleur est le suivant : le son est inclus dans le nom de la couleur : jAUne, rOUge nOIr, marrON etc. Créer un arc-en-ciel de sons complexes représente un outil efficace pour les plus petits ou les enfants en difficulté car il repose sur un moyen mnémotechnique simple. Ce dernier contribue à faciliter le décodage et l’encodage des associations graphèmes phonèmes. Le son audible par l’oreille associé à une couleur perceptible par l’œil ancre mentalement la phonétique.

Il est aussi possible de trouver une correspondance entre timbres des instruments de musique et couleurs ; ainsi les enfants peuvent manipuler et moduler les sons et jouer à reconnaître les couleurs de leur choix.  Lorsque les sens sont associés et que les gestes se joignent à la parole et à l’écoute des sons, cela concourt à l’apprentissage tant de la lecture que de l’écriture. Composer et lire des syllabes en couleurs constitue un véritable tremplin sensoriel pour développer les capacités de l’enfant.

Auteur: Alcais Claire

Info: https://icm-association.fr/le-blog/collectivites-locales/les-couleurs-et-les-sons. 19 avril 2022

[ éducation ] [ pédagogie ] [ ondes ] [ double perception ] [ septénaires ]

 

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apprentissage du langage

[…] la maîtresse d’Helen Keller, Ann Sullivan, s’efforçait d’apprendre à son élève à communiquer à l’aide de signes, alors confondus à des signaux, en tapant d’une manière déterminée selon les cas, dans la paume de l’enfant. Elle voulait ainsi associer à la perception d’un signal la sensation d’un objet. Par exemple, elle plaçait la main droite d’Helen sous un jet d’eau fraîche, pendant que sur l’autre, elle frappait le signal convenu. Dans cette pratique, spontanément behaviouriste, le signe est conçu comme l’index de son référent, qu’il a pour fonction essentielle d’évoquer. On prouvera qu’on a compris ce qu’est un signe si l’on peut user de cet index pour désigner le référent, quand on en a besoin. Tout être capable d’un tel comportement sera réputé savoir "parler". Or, la difficulté étonnante à laquelle se heurta Ann Sullivan, est que la petite Helen, tout en étant à même de communiquer quelques-uns de ses besoins au moyen des signaux que sa maîtresse lui avait appris à utiliser, semblait néanmoins piétiner à la porte d’un monde interdit. Il y avait là pourtant tous les éléments d’une relation de communication : émetteur, récepteur, médium de transmission et code. Plus encore : cet ensemble fonctionnait, mais la petite Helen – elle avait alors six ans – ne savait toujours pas parler.

Le miracle se produisit le 5 avril 1887. Ann Sullivan s’efforçait inlassablement d’épeler le mot tasse dans la main d’Helen, puis lui en donnait une à tenir. "Elle versait ensuite de l’eau dans la tasse, y trempait le doigt de l’enfant, et attendait, espérant qu’Helen réagirait en épelant e-a-u". En vain. Etant descendue au jardin afin de distraire l’enfant, elle s’approcha avec elle d’un puits d’où le jardinier tirait un seau d’eau. Une dernière fois, elle lui mit la tasse dans la main, y fit couler un peu d’eau, et épela water, sur l’autre main, de plus en plus rapidement, cette eau qu’Helen aimait à faire couler sur sa main. Soudain l’enfant lâcha la tasse, et, pétrifiée, laissa une pensée envahir et illuminer son esprit : w-a-t-e-r ! w-a-t-e-r ! cette chose merveilleusement fraîche, cette chose amie, c’était w-a-t-e-r ! Elle venait de comprendre que toute chose a un nom, que toute chose peut être dite ou signifiée, que le signe énonce la chose, ou encore qu’il l’exprime, c’est-à-dire que le rapport qui unit la chose à son index n’est pas celui d’une association entre deux perceptions sensibles […] mais un rapport de représentation, en sorte que le signe w-a-t-e-r s’identifie à la chose merveilleuse tout en en demeurant distinct : il "tient lieu" de la chose. Dans un tel rapport de signification, les deux éléments mis en relation ne sont plus du même ordre. Ils sont bien perçus tous les deux comme deux réalités également sensibles, et de ce point de vue, rien ne permet de les distinguer. Pourtant, dans le rapport de signification, la présence sensible de l’un cesse de valoir pour elle-même, cesse d’être le signal de son existence, qui est ainsi occultée, et se trouve valoir pour l’existence d’un autre, dont elle tient la place. C’est là l’expérience fondamentale de la signification. Les deux éléments sensibles ne sont plus unis par une relation horizontale de juxtaposition, mais par une relation verticale, et purement intellectuelle, de lieutenance.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Histoire et théorie du symbole", éd. L'Harmattan, Paris, 2015, pages 125-126

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