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ordre

J'ai toujours été frappé par l'équilibre qui se dégage du monde. Voyez comme les riches - on l'observe plus facilement en observant le mimétisme de leurs enfants - sont si souvent suffisants et antipathiques. Observez avec le temps comme la beauté chez les individus est éphémère voire destructrice, découvrez comme les couples qui marchent en réalité se complètent. Réalisez qu'un jeune musicien passionné commence invariablement son histoire d'amour avec les notes grâce à un instrument de mauvaise qualité, trouvé ou donné, alors que son contraire, pénible quidam lambda, aura été s'acheter le biniou clinquant, vite relégué au galetas ou revendu dans les semaines ou les mois suivants. Constatez, en tous domaines, que les plus talentueux se désintéressent rapidement de la question parce qu'ils ne se sentent aucun besoin de prouver quoi que ce soit, alors que les pénibles tâcherons répondront avec abnégation au défi ainsi posé par une nouvelle discipline. Equilibre, dans la danse du monde tu nous proposes cette balance impitoyable et juste qui nous indique, sans preuves scientifiques mais c'est indubitable, que la vie la plus vraie est proche de la misère et de la mort, que les pauvres veulent devenir riches que les riches deviennent feignants et donc, retournent en peu de temps à la pauvreté. Cher équilibre, c'est curieux, j'aurais envie de dire chère - mystère de la langue et des sons - me vient encore à la plume ce jour où, lors d'une rencontre, j'ai saisi qu'untel, si célèbre et adulé, émargeait à la catégorie des êtres de peu d'intérêt, ordinaire et décevant, peu heureux, inquiet, pressé donc désagréable, dépassé par une gloire factice qui lui en faisait mesurer la dérision, insatisfait.

Tu es, ma chère, allons-y puisque je te ressens ainsi, tu es, ma chère équilibre, la matérialisation de notre esprit et du monde dans leurs luttes avec les extrêmes, tu es la condition sine qua non de la continuité dans l'harmonie, tu es le chemin étroit - mais suffisamment large parce que la tolérance sera toujours indispensable entre les êtres.

Pourquoi ce flash back de première jeunesse ? : et moi... qui suis-je ?... qu'est-ce que moi ?... petit enfant dans son lit vespéral interrogeant les étoiles, questionnant l'immense vacuité du monde et de son âme... qui suis-je ?... Je n'avais, bien sûr, pas vraiment conscience d'être campé sur ce champ de bataille des contrastes. Yeux grand ouverts dans le noir, candide curiosité en total éveil, comme l'indien qui aurait collé ses oreilles au sol cosmique, écoutant, ressentant, devinant, imaginant, je ne sais pas, le souffle neutre et vide de mon moi résonnant dans le silence, l'atone bourdonnement du fond des âges... qui suis-je ?... comment se fait-il qu'il y ait un moi, ici et maintenant ?...

Plus curieux encore ; comment se fait-il que je me pose la question ?... ce souvenir si vif de mon esprit d'enfant défiant l'incommensurable, la grande question : MOI... moi c'est quoi, quoi est moi ?.. Gamberges si stables parce qu'enfant choyé dans un cadre protégé. N'étaient-ce que d'agréables vertiges de garçonnet curieux, douillet dans sa vie alors qu'aujourd'hui je penserai peut-être plus facilement aux petits humains qui crèvent de guerres, de famines, sont-ils concernés de la même façon, plus proches de ce feeling ?... plus lointains de ce souffle d'absolu ?... Savoir. Mon intime conviction est que nous avons tous vécu ces sentiments, de manière identique parce que nous sommes fils des atomes et des ondes, et, de manières différentes parce que le monde en a besoin et que nous sommes novices à chaque étape de la vie. Questions enfantines, interrogations solitaires et nocturnes d'ado, rêveries de jeune papa, gamberges d'époux aimé, etc... Pauvre énumération de mes petites expériences perso pour essayer d'expliquer cette immensité fine, cette balance présente à toutes les échelles de nos existences.

Cette sensation d'équilibre global m'a fréquemment rasséréné, tout en me plongeant dans ces abîmes insondables et indicibles de la réflexion méditative où tous les contre-exemples sont inutilisables puisque ils ne sont là que pour meubler les cases de l'absurde et de l'insensé, contrées nécessaires dans l'univers de nos questionnements, humus de notre humour, signalisations de nos limites, indicatrices du Mystère. Equilibre, je m'incline devant ta fantastique et interminable litanie. Et merci de me faire prendre conscience jour après jour de ma dimension d'avorton cosmique devant une simple symétrie, merci de me montrer, sans m'expliquer, mais pourquoi expliquer, que la vie est autonome, qu'elle a certainement un sens, que la misère se partage plus facilement que l'abondance... D'ailleurs, quand le doute s'insinue, quand les certitudes s'effondrent, tu resurgis à tous les coups, vieille amie, parce que les difficultés renforcent la survie, redorent le goût des choses, parce que le confort est trop facilement père de la vacuité, parce que mon pote handicapé compense si bien par ce rayonnement supérieur de son esprit. On t'oublie et te revoilà à nouveau ma chère équilibre, fidèle au poste, intégrée à ce nouveau décor ou défilent des gens respectables - donc casse-couilles. Tu diffuses tant de messages. Moi j'aime celui-ci. "Toute manifestation a sa compensation". Dommage que tu sois cataloguée dans les noms féminins.

Auteur: MG

Info: 2000

[ introspection ] [ mystère ] [ ego ] [ paix ] [ enfance ] [ harmonie ]

 

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nazisme

Le Führer désire que le rendement s’accroisse de cinquante pour cent dans les trois mois et soit doublé dans les six mois. Des propositions de l’assemblée pour atteindre ce but seront les bienvenues. Mais celui qui ne collaborerait pas devait être considéré comme saboteur et traité en conséquence.

Tandis que l’orateur lance encore un Siegheil en l’honneur du Führer, Quangel se dit : "Dans quelques semaines, l’Angleterre sera écrasée et la guerre terminée. Mais nous devons doubler en six mois notre production de matériel de guerre ! ... A qui fera-t-on avaler celle-là ?"

Mais l’orateur suivant monte à la tribune. Il est en uniforme brun, la poitrine constellée de médailles, de décorations et d’insignes. Cet orateur du Parti est une tout autre sorte d’homme que le militaire qui l’a précédé. D’emblée, il évoque, d’une voix tranchante, le mauvais esprit qui continue à régner dans les entreprises, malgré le prodigieux succès du Führer et de l’armée. Il parle avec tant de virulence qu’il en rugit littéralement, et il ne mâche pas ses mots, pour flétrir les défaitistes et les rouspéteurs. Il s’agit d’exterminer ces gens-là ; on leur fermera le bec une fois pour toutes. Les mots Suum cuique étaient gravés sur les boucles des ceinturons pendant la Première Guerre mondiale ; les mots à chacun son dû se trouvent maintenant gravés sur les portes des camps de concentration. C’est là qu’on apprendra à vivre à ces gens-là. Et celui qui y fait jeter les mauvais citoyens, celui-là fait quelque chose de positif pour le peuple allemand. Celui-là est un homme du Führer.

L’orateur conclut, en rugissant :

- Mais vous tous qui êtes ici, chefs d’ateliers, chefs de services, directeurs, je vous rends personnellement responsables de la salubrité de votre entreprise. Et qui dit salubrité, dit façon national-socialisme de penser ! J’espère que vous m’avez compris. Quiconque se relâche et fait la moue, quiconque ne dénonce pas tout, même les choses les plus insignifiantes, celui-là sera jeté lui-même dans un camp de concentration ! ... Vous me répondez personnellement de l’usine, que vous soyez directeur ou contremaître. Je mettrai bon ordre dans tout cela, fût-ce à coups de bottes.

L’orateur reste encore un moment ainsi, les mains levées et crispées par la fureur, le visage d’un rouge violacé. Après cette explosion, un silence de mort s’est emparé de l’assemblée. Les assistants prennent tous des airs pincés, eux qui, si soudainement et si officiellement, ont été promus au rang d’espions de leurs camarades. Puis, à pas lourds, l’orateur descend de la tribune, et ses insignes tintinnabulent doucement sur sa poitrine. Le directeur général Schröder, plus pâle que jamais, se lève et demande d’une voix suave si l’on a des observations à formuler.

Une impression de soulagement s’empare de l’assemblée, comme la fin d’un cauchemar. Personne ne semble encore vouloir parler. Tous n’ont qu’un désir : quitter cette salle le plus vite possible. Et le directeur général s’apprête à clore la séance par un "Heil Hitler" quand, tout à coup, au fond de la salle, un homme en « bleu » de travail se lève. Il déclare que, pour faire augmenter le rendement dans son atelier, ce serait très simple. Il suffirait d’installer encore telle et telle machine : il les dénombre et explique comment elles devraient être installées. Après quoi, il faudrait encore débarrasser son atelier de six ou huit hommes, flâneurs et bons à rien. De cette façon-là, il se fait fort d’atteindre les cent pour cent en un trimestre.

Quangel est très détendu : il a entamé le combat. Il sent que tous les regards sont braqués sur lui, simple travailleur pas du tout à sa place parmi tous ces beaux messieurs. Mais il ne s’est jamais beaucoup occupé des gens ; ça lui est égal qu’ils le regardent. Les autorités et les orateurs se concertent, se demandent qui peut être cet homme en blouson bleu. Le major ou le colonel se lève alors et dit à Quangel que la direction technique s’entretiendra avec lui au sujet des machines. Mais que veut-il dire, en parlant de six ou huit hommes dont son atelier devrait être débarrassé ?

Quangel répond posément :

- Certains ne peuvent déjà pas travailler au rythme actuel, et d’autres ne le veulent pas... Un de ceux-là se trouve ici.

De l’index, il désigne carrément le menuisier Dollfuss, assis à quelques rangs devant lui.

Il y a quelques éclats de rire ; Dollfuss est parmi les rieurs. Il a tourné le visage vers son accusateur.

Mais Quangel s’écrie, sans sourciller :

- Oh ! bavarder, fumer des cigarettes aux toilettes et négliger le travail, tout cela, tu le fais très bien, Dollfuss !

A la table des autorités, tous les regards se sont de nouveau braqués sur cet insensé. Mais voici que l’orateur du Parti bondit et s’écrie :

- Tu n’es pas membre du Parti ! Pourquoi n’es-tu pas membre du Parti ?

Et Quangel répond ce qu’il a toujours répondu :

- Parce que j’ai besoin de tous mes sous, parce que j’ai une famille.

Le brun hurle :

- Parce que tu es un sale avare, chien que tu es ! ... Parce que tu ne veux rien donner pour ton Führer et ton peuple ! ... Et ta famille, à combien de personnes se monte-t-elle ?

Froidement, Quangel lui jette au visage :

- Ne me parlez pas de ma famille aujourd’hui, cher monsieur... J’ai précisément appris ce matin que mon fils est tombé au front.

Un moment, un silence de mort règne dans la salle. Par-dessus les rangées de chaises, le bonze brun et le vieux contremaître se regardent fixement. Et Otto Quangel se rassied tout à coup, comme si tout était terminé. Le brun s’assied aussi. Le directeur général Schröder lève la séance par le Siegheil en l’honneur du Führer – un Siegheil qui n’est guère claironnant.

Auteur: Fallada Hans

Info: Dans "Seul dans Berlin", traduit de l’allemand par A. Virelle et A. Vandevoorde, éditions Denoël, 2002, pages 59 à 62

[ voix discordante ] [ renchérissement ] [ fausse naïveté ] [ entre-soi ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

citation s'appliquant à ce logiciel

Attention ce texte implique plusieurs pensées croisées.

Comme chacun sait, nous sommes formatés par notre éducation, l'environnement et ainsi de suite. Un peu comme les phrases, chapitres... livres...  peuvent être les niveaux d'échelles qui structurent les mots et la pensée de nos langages et de la littérature.

Comment en sortir ? Ensemble peut-être.

En termes de "réflexion personnelle commune" il semble que l'humain est, de manière générale, limité au niveau de la phrase ou de la formule. Tout simplement parce que la survie le demande. Dans l'action animale le cause-effet de la situation se passe vite, trop vite pour que l'individu isolé puisse développer sa réflexion.

Maintenant les hommes, touchons du bois, sont semble-t'il passés au-delà de l'individu et de sa survie immédiate. Ils ont pris le temps de réfléchir, ils développent ; voilà les philosophes et... le langage. Et, grâce à Internet, il est devenu possible de le faire de manière collective. Même si d'aucuns avancent que le langage, forcément anthropocentrique, nous éloigne de fait de la nature matrice source, ce que nous pensons aussi.

Qu'est-ce alors qu'une intelligence ensemble ? Carl Friedrich von Weizsäcker donne un début de réponse.

"La raison pratique sert la perception de ses propres intérêts, La raison théorique profonde celle de l'intérêt général."

Au départ de cette compilation FLP nous nous intéressions aux formules courtes (disons 5 mots en moyenne). Ensuite sont venus des extraits plus longs plus "littéraires", un peu comme l'a écrit Claudio Magris :

"L'Histoire dit les événements, la sociologie décrit les processus, la statistique fournit les chiffres, mais c'est la littérature qui les fait toucher du doigt, là où ils prennent corps et sang dans l'existence des hommes."

C'est ainsi que le langage écrit, témoignage par les mots de la réalité humaine, est maintenant mis en "réflexivité collective" via les "likes" et autres remarques que proposent d'innombrables web spots. Avec ce site nous tentons donc d'aller un peu plus loin puisque nous faisons en sorte qu'il se nourrisse de citations (étiquetées) par les surfeurs, ajouts modérés avant leur publication.

Aussi, développement supplémentaire, les participants inscrits peuvent lier certaines citations, ce qui permet souvent de comparer différentes formulations de la même idée (équation ?) et de ses varations.

Plus avant FLP offre la possibilité de développer des "chaines", ("Oh les beaux enfants") et même des chaines collectives. Voilà comment les choses avancent depuis plusieurs années.

Résultat évident à ce stade de cette expérience collective : "Plus une pensée courte est populaire, plus elle tient de l'axiome. Plus elle est longue, plus elle témoigne de la singularité de son auteur." 

Récapitulons :

Les formules/extraits sont tagués sur deux niveaux :

1) tag-chapitre, "catégorie" supposé être le plus généraliste, ce qui est déjà délicat à définir ! Il y a déjà ici une piste que nous allons développer pour le tag chapitre "catégorie" : établir sa pertinence via une auto-modération des participants. Nous y reviendrons.

2) tag simple, qui précise et oriente.

Ici aussi tout un chacun peut demander à modifier un étiquetage dont la pertinence pourra être discutée via une modération pyramidale.

3) les auteurs sont intégrés à la base de donnée avec 6 paramètres séparés (qui rendent "plus intelligente" la BD" et permettent de préciser une recherche)

A ce stade des "Fils de la pensée" on incitera le participant a déjà s'amuser à faire des recherches en combinant tags, auteurs, longueurs, périodes historiques, etc., ce qui est déjà énorme et complexe, mais surtout lui donnera une idée de comment "répond" le système.

Il faut aussi savoir qu'il y eut rapidement besoin d'améliorer l'indexage, ce qui amena à créer des tags/concepts moins imprécis : fond-forme, causes-effets, homme-machine, femmes-hommes, théorie-pratique, etc. Et aussi ensuite d'utiliser des mots/tags qui n'existent pas en français, nommés et recensés ici comme "intraduisibles".

Malgré tout, même précisé, un mot-tag reste porteur de plusieurs sens (terme-carrefour, métonymie) et peut signifier tout et son contraire en fonction du contexte et de l'agencement des phrases.

Apparraissent alors ce que nous nommons "méta-tags", une troisième catégorie, un peu à l'image du terme "Livre" dans la hiérarchie d'une bibliothèque, apparitions répétées de certaines combinaisons de tags. Combinaisons qui délimitent mieux une réflexion dont le champ est précisé, s'affinant, quand tout va bien, au sens philosophique du terme, avec les collaborations des participants.

Ainsi s'est établie une liste de doublons ou de triplettes de tags-mots-concepts, pistes qui se sont dessinées par répétition des passages (sont-ils des équations ) . En voici quelques exemples.

mort - omniprésence

conclure - illusion

amour - temps

mauvaise nouvelle - efficacité

survie - éthique

musique - langage

réconfort - ordre

enfance - imagination

protéger - affaiblir

être humain - quête

lecture - miroir

non-voyant - témoignage

femmes-par-femmes - amour etc., etc...

Exemples de triplettes :

complexité - vie - bouillonnement

humain - animal - particulier

réveil - naitre - réintégration

mentir - fuite - beaux-arts

motivation - transgression - jeunesse etc., etc...

On pourra bien évidemment complexifier à loisir tout ce qui précède mais il vaut mieux faire ici une pause. Il semble que c'est d'abord en se mettant d'accord via une modération (des participants actuellement, pyramidale bientôt ?) sur la moins mauvaise pertinence des mots-tags-chapitres d'une formule-citation, que nous établirons une base commune, un peu plus solide et moins aléatoire, pour avancer.

Pour l'instant ce sont les chaines et, dans une moindre mesure, les citations liées, qui clarifient un peu plus un mot-idée-concept - ou une phrase.

Ensuite, une fois ce groupe de réflexion collective mis en place, pourra peut-être venir le temps d'établir des "méta-tags" selon des critères à définir. Mais là nous sommes dans de la musique d'avenir. Concluons par trois questions dont les réponses, possibles sujets-chaines au sein même d'un telle tentative de réflexion collective, nous semblent importantes.

- Peut-on mélanger et structurer nos pensées et nos échelles de pensées "ensemble" sans faire ressortir de froides et imbéciles statistiques d'une société de consommation productiviste ?

- Comment éviter que la technologie ne conduise l'homme à se spécialiser dans l'humain, mais au contraire à l'aider à développer sa sagesse-tolérance et son ouverture aux autres espèces vivantes pour qu'il tente de trouver une plus juste place dans la réalité ?

- Avec la disparition du travail, comment conserver une motivation forte chez les individus si la problématique de survie immédiate disparaît ?

Auteur: Mg

Info: 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2021, 2022

[ quête ] [ classification ] [ structuration ] [ taxinomie ] [ ranger ] [ taxonomie ] [ langage consensus vs singularités biologiques ] [ objectivités vs subjectivités ]

 

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science mystique

2 grandes expériences ont fait de moi un théoricien de la conscience.

La première (printemps 1985) était associée à une maladie physique dont le diagnostic était complètement erroné. Cet état modifié de conscience a duré deux semaines.  Son effet fut si profond que je n'ai pas hésité à l'appréhender comme une expérience d'illumination.

Cet épisode a totalement bouleversé ma vision simpliste du monde de physicien des particules. En fait, j'avais de temps en temps l'impression que cette image réductrice du monde ne m'aidait pas du tout dans mes tentatives de comprendre le monde quotidien qui m'entoure. Selon le dogme standard, ces choses macroscopiques (et aussi les êtres vivants) devaient pouvoir être décrites en utilisant uniquement les équations de Newton !  Ma propre expérience insistait sur le fait que ce n'était pas le cas.  Mais j'avais essayé de me dire que je n'avais tout simplement pas la maturité nécessaire en tant que physicien théorique pour tout comprendre.

Cette première grande expérience mérite une description plus détaillée. J'étais allongé dans le couloir d'un centre médical avec un horrible mal de tête et une température élevée.

Puis quelque chose s'est produit.  Je me suis senti totalement calme et paisible. C'était quelque chose d'incroyable. Toute ma vie, j'avais été anxieux à propos de toutes les choses possibles. Et maintenant, je me sentais complètement heureux et détendu. Je ressentais toujours la douleur, mais elle était en quelque sorte extérieure à moi. J'aimais simplement regarder les flux parallèles d'images (comme des dessins animés) qui s'écoulaient devant mes yeux.

Je voyais vraiment mes pensées !  Les images surréalistes et érotiques (comme celles des peintures de Dali, Bosch et Brueghel) dansaient au rythme de la musique que j'entendais dans le haut-parleur.  Il y avait aussi un sentiment de compréhension. Je comprenais tout, même si je ne pouvais pas dire ce que c'était !

Cet état a duré plusieurs jours (peut-être une semaine, je ne m'en souviens pas vraiment) et j'ai vécu de manière très concrète de nombreuses idées archétypales.  Tout d'abord l'idée d'auto-référence que j'ai retrouvée plus tard dans Gödel, Escher, Bach de Hofstadter - un des meilleurs livres que j'ai jamais lu (je l'ai lu 5 fois !). Je me sentais littéralement comme un ordinateur assis à son propre terminal.

J'ai écrit dans mon esprit des questions pour ce super humain-ordinateur et j'ai vu les questions écrites sur l'écran virtuel.  L'ordinateur écrivait immédiatement la réponse.  Soit directement, soit à la manière d'un oracle.  J'ai réalisé que j'étais entré en contact avec ce que j'appelais le "Grand Esprit" et j'ai commencé à poser des questions.  Combien de temps allais-je vivre était bien sûr l'une des premières questions. La réponse était une série infinie de chiffres qui défilaient sans cesse ! Bien sûr, j'ai posé des questions sur l'importance du TGD (Topological Geometro Dynamics - mon grand œuvre).  Il n'y a eu qu'un silence. Peut-être était-ce la diplomatie divine du "Grand Esprit" !

Plus tard, j'ai réalisé qu'il n'était pas nécessaire d'écrire quoi que ce soit sur ce moniteur virtuel. J'ai simplement formulé la question dans mon esprit.  Cette prise de conscience m'a fait me demander si cette personne avec laquelle je discutais était vraiment distincte de moi. Peut-être que, d'une manière mystérieuse, c'est à moi-même que je pose ces questions !  Alors, peut-être que je suis en quelque sorte un "dieu" moi-même ou que je viens de devenir un dieu.  Peut-être sommes-nous tous des dieux !

La solitude avait été l'élément central de ma vie et j'ai en quelque sorte réalisé que les dieux sont probablement des êtres très solitaires. J'ai demandé si nous étions condamnés à être toujours seuls. La réponse était digne d'un oracle. "Tu es un dieu ! (:-).  Le "(:-)" tente d'exprimer le ton amusé de la réponse. Ce n'est que très récemment que j'ai réalisé que ce que j'ai vécu devait être plus ou moins identique à l'expérience Atman=Brahman des religions orientales.

Il y a aussi eu des expériences télépathiques vraiment étonnantes. Et une vision de ma vie personnelle comme une série infinie de vies en tant que mathématicien (qui était ma véritable identité).  Dans ces vies, je rencontrais ma femme encore et encore et nous vivions des vies plus ou moins heureuses. Mais nous nous retrouverions certainement dans une autre galaxie ou peut-être dans une forme d'existence totalement différente. L'une des expériences mathématiques a été que le nombre "3" est en quelque sorte le nombre de base des mathématiques et de toute l'existence. Il s'agit, bien sûr, de la Sainte Trinité des religions et des mystiques.

J'ai eu des visions de vies parallèles que je vis ici sur Terre.  Par exemple, j'ai appris que je vivrais comme un militaire et que je mourrais dans un accident d'avion à une certaine date (dont je ne me souviens plus).

Il y avait aussi l'idée de quelque chose que j'appelais "flogiston" sans me souvenir qu'il s'agissait du fluide calorique introduit dans les premières tentatives de construction de la thermodynamique. C'était quelque chose qui rendait les systèmes vivants vivants et ils se battaient, se tuaient et se mangeaient continuellement pour obtenir ce mystérieux "flogiston". Curieusement, cette vision peut également être considérée comme une anticipation des idées sur les biosystèmes en tant que systèmes quantiques macroscopiques (intrication quantique et condensats de Bose-Einstein à trou de ver).

La deuxième "Grande Expérience" s'est produite pendant les vacances de Noël (probablement 3 ans plus tard, peu avant mon divorce). J'étais très malade, déprimé et amer. Notre mariage était sur le point de se terminer.

Soudain, une paix totale m'a envahie. Je pouvais vraiment pardonner et j'ai senti de manière absolument concrète que mon passé avait changé. D'une certaine manière, toutes les mauvaises actions qui avaient créé de l'amertume en moi ont été annulées. C'était merveilleux de réaliser que ce que nous appelons "notre passé" n'est pas absolu. Au moment de la Miséricorde, cette lourde charge mortelle disparaît.

Il y a eu aussi une sorte d'illumination mathématique. J'ai eu une prémonition sur les nombres p-adiques. J'ai compris que je devais construire une théorie sur les nombres qui étaient infinis mais complètement physiques. Eh bien, j'ai essayé. Mais il m'a fallu deux jours pour me convaincre que je n'avais pas la moindre idée de ce que pouvaient être ces nombres ! J'ai appris bien plus tard l'existence des nombres p-adiques qui sont typiquement infinis comme les nombres rationnels ordinaires.

Peut-être que la prise de conscience la plus importante dans ces deux grandes expériences fut que le problème vraiment intéressant était le mystère de la Conscience.  Dans le même ordre d'idées, j'ai réalisé que le libre arbitre était réel et que, dans un certain sens, notre passé subjectif était une fiction (ou du moins quelque chose de "modifiable").

Toutes ces idées, je les ai redécouvertes par la suite en tentant de trouver une interprétation cohérente pour le TGD, sans même me rendre compte immédiatement qu'une redécouverte était en question.

Auteur: Pitkänen Matti

Info: http://www.stealthskater.com/Documents/Pitkanen_01.do

[ inspiration ] [ songe ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

citation s'appliquant à ce logiciel

Toute émergence "qui réfléchit" ne peut être que consensuelle. 

Le moi, je, ego incarné, de même que la race (espèce) auquel il appartient, doivent nécessairement développer un univers "accepté" dans ses grandes lignes. Pour l'espèce ça semble aller de soi ; sans cela pas de signes entre les sexes pour la reproduction. Et, pour les races-communautés plus complexes (évoluées?) comme la nôtre : pas de langages communs, musique, mathématiques, beaux-arts, codes informatique, sciences... 

Pour l'individu, l'idée semble moins aisée à comprendre. Parce qu'intuitivement la "singularité" qu'il représente apparait via certains détails (variantes) qui semblent - et ne sont - pas décisifs pour la survie de l'espèce. Ainsi des graines des arbres. Mais il y a bien un consensus individuel, intime, destiné à la survie personnelle et à la reproduction, qui est recherche d'un équilibre, autant interne qu'avec les autres. 

Ces moyens termes, collectifs et singuliers (qui tendent vers la complexité) semblent indiquer quelques pistes, si on veut bien user du recul de notre mémoire collective. 

Primo, rien de temporellement fixe (terme à la mode : durable) à quoi s'accrocher. Sauf si un "équilibre solide" est installé entre biotope et individus-espèce (pensons aux requins, entre autres exemples). 

Secundo, existent une adaptabilité et une curiosité incessantes chez l'homme, qui avec le temps semblent occuper toujours plus les activités cérébrales de l'individu, lui-même infime et singulière émergence - initiatico-spirituelle souvent -, qui "ouvre" le monde tout en le perpétuant. 

Tertio. De ce continu phénomène d'évolutions/adaptations, on pourra constater, et probablement modéliser, toutes sortes de décalages évidents, nécessaires, à plein d'échelles et de niveaux. Dissonnances fines qui peuvent aller jusqu'à des ruptures de compréhension-communication entre : générations, époques, genres/sexes, habitudes, manières de voir, etc. De là beaucoup de malentendus et conflits, et donc une grande nécessité de tolérance et d'amour. 

Alors, pour faire marcher ensemble les consensualités intriquées du grand univers objectif avec les singularités subjectives, autrement dit concilier nos indéniables solipsismes avec le plus de niveaux possible que présente le cosmos matrice insondable, on entrevoit un principe orgonomique de l'ordre de l'adaptation pragmatique. Stephen Wolfram va jusqu'à affirmer que quelques règles simples (un code source) pourraient sous-tendre tout ceci. Pourquoi pas.

En termes linguistiques on pourra tenter d'affiner la définition de ce principe orgonomique par l'ajouts de vocables comme effort, collaboration solidaire, amour, chance/hasard, curiosité, survie, etc. 

Et puis, en tout dernier, se pointe le mot "esprit". On ne peut entrevoir ce concept qu'en fin de chaine. En effet l'esprit - ou réflexion un peu continue -, s'articule lui-même sur le maniement de mots/concepts (quasi-esprits de Peirce), eux-mêmes péniblement émergés d'une évolution lexicologique somme toute très récente et souvent retraçable. Analyses, pensées, élaborations abstraites... souvent aussi appuyées sur d'autres idiomes comme les mathématiques.  

Au-delà des listes et autres inventaires, l'écriture et les signes permettent donc - finalement - de raisonner et réfléchir... et  "commencer à" s'extraire, à s'élever un tout petit peu pour tenter de mieux voir. 

On se demande dès lors comment et pourquoi certains penseurs, gourous et autres religieux, qui "moulinent à la parole", décrétent que l'Esprit est à la source de tout, alors qu'il ressemble plus à une conquête pour ce qui nous concerne. Infinitésimale.

En rappelant par honnêteté qu'il y a belle lurette que les grecs anciens ont établi que le langage (logos) était l'instrument de la raison. Et puis : issue de l'invraisemblable fatras du kabbalisme et des traditions sumériennes, vient la théologie chrétienne où, d'un coup d'un seul le "Logos" est employé pour désigner la deuxième personne de la Trinité chrétienne. En bref Jésus, le Christ, prend le même sens que "verbe, parole". L'origine de cette désignation étant formalisée bien a postériori ainsi dans la Bible : "Au commencement était la Parole, et la Parole (logos) était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, etc". (Évangile selon Jean, chapitre 1). Cet Évangile de Jean affirme donc que Dieu parle, sa parole est son hypostase, sa Parole créatrice est aussi puissante que Lui-même : Il est Sa Parole, etc... Ce concept de la parole de Dieu comme hypostase de Dieu même est commun à plusieurs religions, mais pour l'auteur de l'évangile, ce qui est original et unique à la chrétienté est que cette parole, hypostase, qui est Dieu même, est devenue homme et a habité parmi les hommes : "Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père." (Évangile selon Jean, chapitre 1, 14)

Arrêtons là et contentons-nous de prendre ce paragraphe comme une extraordinaire démonstration de langage performatif. Très très très performatif, au vu de la puissance et de la place prise par le judéo-christianisme en début de 3e millénaire. 

Mais assez : revenons à notre idée de départ, celle de l'invraisemblable mélange de consensus/échelles/êtres/univers/etc. que nous pouvons constater et de sa préhension par notre entendement. Entendement développé via nos signes/écrits, mémorisés et intégrés dans notre mémoire collective. Ce qui amène beaucoup de gens à vouloir croire que l'humain est "au-dessus", élu... Supérieur... Il bénéficierait d'un esprit d'ordre surnaturel, divin, astralement dessiné. Essence orgonomique que d'autres imaginent comme quelque chose de l'ordre du fluide vital, énergie subtile issue d'un autre espace (dimension), dotée pour le coup de capacités/pouvoirs au-delà de nos possibilités de modélisation, etc.

Avançons-nous un peu pour affirmer que ce fameux Esprit, à la lumière de nos faibles connaissances, ressemble beaucoup plus à la version "manipulation de signes" par des cerveaux tardivement accouché de l'évolution, qu'à une émergence extraordinaire, divine et miraculeuse. Surtout si on s'amuse à comparer ces manipulations aux merveilleuses complexités et aux presqu'insondables développements de la vie biologique.

Ici FLP pointe le bout de son nez et, avec l'aide de C.S. Peirce - unique penseur ayant développé une approche solide et cohérente en ce domaine -, propose un outil, souple, puissant et collectif qui permet (en français, humblement et à sa manière) d'explorer-rechercher-bidouiller langage et sémantique, ces dispositifs de signes aptes à traiter tout et son contraire, aptes à passer du mirage absolu au plus cru des réalisme - en mélangeant les deux. Mais aussi inaptes, de par leur nature immobile (un fois une pensée écrite, et donc arrêtée - et si on veut bien nous excuser cette énorme lapalissade) à véritablement traiter notre support réel, la vie, ce mouvant embrouillamini qui se permet de mélanger sans discontinuer les échelles, vitesses, sentiments, etc. 

Pour revenir sur terre on dirait bien que les résultats de ce magnifique entendement humain nous amènent plutôt, en ces années de pandémie Co-vid,  vers un abrutissement drastique de forces de vie humaines de moins en moins sollicitées à cause des "progrès" techniques et médicaux. Sans parler du genre de biocratie sanitaire qui en découle. Pensez : tout récemment encore l'occident se battait contre l'acharnement thérapeuthique, affolé par la poussée démographique et le vieillissement des populations. Aujourd'hui on dirait qu'il s'auto-asphyxie pour sauver les personnes âgées. 

Mais soyons positifs et rassurons-nous. Ce ralentissement aura permis à la planète de respirer, et aussi de s'unifier - contre le covid. Unification qui pourrait mettre en parallèle biologie et communications humaines à l'échelle de la planète et ainsi procéder à un développement-consolidation de signes communautaires, càd de mêmes terrestres.

Contemplons la suite et restont bien zens goguenards. 

Vigilants.

Auteur: Mg

Info: 10 janv. 2021

[ sémiotique ] [ pré-mémétique ] [ systèmes intelligents ]

 
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polémique évolutionniste

L'épigénétique, qui existe depuis 50 ans, n'est pas un nouvel acteur majeur de l'évolution. Dans la mesure où son importance avérée est d'ordre génétique. L'évolution culturelle et comportementale est un phénomène réel, mais ce n'est pas une évolution biologique.

Synthèse moderne

La variation génétique est aléatoire. Les mutations qui se produisent n'améliorent pas nécessairement la condition physique. Si les mutations donnent lieu à des caractéristiques qui améliorent la capacité des organismes à survivre et à prospérer, il s'agit d'un simple hasard.

Synthèse évolutionniste élargie (Laland)

La variation phénotypique n'est pas aléatoire. Les individus se développent en réponse aux conditions locales, de sorte que les nouvelles caractéristiques qu'ils possèdent sont souvent bien adaptées à leur environnement.

Presque toute l'évolution est finalement due à une mutation d'une sorte ou d'une autre. Nombreux sont ceux qui pensent que le hasard des mutations est le thème dominant de l'évolution. L'affirmation concernant la synthèse moderne est parfaitement correcte, en première approximation. (On peut ergoter sur les détails.)

L'idée que les phénotypes changent en fonction des conditions locales - par exemple, l'opéron lac s'exprime en présence de lactose - n'est guère révolutionnaire et n'exige pas de changement dans notre compréhension de la théorie moderne de l'évolution.

Synthèse moderne

L'évolution se produit généralement par le biais de multiples petites étapes, conduisant à un changement graduel. C'est parce qu'elle repose sur des changements progressifs provoqués par des mutations aléatoires.

Synthèse évolutive élargie (Laland)

L'évolution peut être rapide. Les processus de développement permettent aux individus de répondre aux défis environnementaux ou aux mutations par des changements coordonnés dans des ensembles de traits.

Est-il possible que Kevin Laland ignore totalement le débat sur le gradualisme, l'hybridation, la symbiose, le transfert horizontal de gènes, les mutations homéotiques, la saltation et les macromutations ? Est-il possible qu'il n'ait jamais pensé aux équilibres ponctués et à la théorie hiérarchique ?

Il est vrai que les vues démodées d'Ernst Mayr et compagnie ("Synthèse moderne") rejetaient toutes ces idées, mais l'évolution a évolué depuis les années 1950. Elle ne se limite plus à de petites étapes graduelles.

Les "révolutionnaires" pensent que les mutations peuvent être dirigées dans un but ultime. L'idée de base d'une augmentation des taux de mutation dans certaines conditions est débattue activement depuis très longtemps (avant 1996). On ne pense pas qu'il s'agisse d'une caractéristique majeure de l'évolution, sauf dans le sens d'une augmentation du taux de mutations "aléatoires".

Synthèse moderne

La perspective est centrée sur les gènes : l'évolution nécessite des changements dans la fréquence des gènes par le biais de la sélection naturelle, de la mutation, de la migration et de la perte aléatoire de variantes génétiques.

Synthèse évolutionniste élargie

La perspective est centrée sur l'organisme, avec des conceptions plus larges des processus évolutifs. Les individus s'adaptent à leur environnement au fur et à mesure qu'ils se développent et modifient les pressions de sélection.

Cette description de la synthèse moderne est la seule fois où j'ai vu Kevin Laland mentionner quelque chose qui ressemble à la dérive génétique aléatoire. Cela ne fait manifestement pas partie de sa vision normale du monde.

Je reconnais que la théorie moderne de l'évolution est "centrée sur les gènes" à cet égard. C'est parce que nous DÉFINISSONS l'évolution comme un changement dans la fréquence des allèles au sein d'une population. Je ne sais pas ce que cela signifie de passer à un point de vue "centré sur l'organisme" comme le décrit Laland. Il est certainement vrai que les cyanobactéries individuelles s'adaptent à leur environnement au fur et à mesure qu'elles grandissent et se développent, et il est certainement vrai qu'elles peuvent modifier l'environnement. Dans le cas présent, elles ont provoqué une augmentation des niveaux d'oxygène qui a affecté toutes les espèces vivantes.

Les cyanobactéries ont évolué pour s'adapter à leur environnement par le biais de mutations aléatoires et de changements dans la fréquence des allèles au sein de la population, en partie sous l'effet de la sélection. Beaucoup d'entre elles se sont éteintes. En quoi est-ce un changement dans notre vision de l'évolution ?

Synthèse moderne

Les processus micro-évolutifs expliquent les schémas macro-évolutifs. Les forces qui façonnent les individus et les populations expliquent également les changements évolutifs majeurs au niveau des espèces et au-delà.

Synthèse évolutionniste élargie

D'autres phénomènes expliquent les changements macro-évolutifs en augmentant l'évolutivité, c'est-à-dire la capacité à générer une diversité adaptative. Il s'agit notamment de la plasticité du développement et de la construction de niches.

L'un des principes de base de la synthèse moderne était que la macroévolution peut être expliquée efficacement comme étant simplement une multitude de microévolutions cumulatives. Les manuels modernes de biologie évolutive abordent d'autres caractéristiques de la macroévolution qui nécessitent un apport supplémentaire, notamment en ce qui concerne la spéciation. La vieille idée selon laquelle la microévolution suffit à expliquer la macroévolution n'est plus un axiome en biologie évolutive, et ce depuis plusieurs décennies [voir Macroévolution].

Les manuels modernes traitent de toutes sortes de choses qui influencent l'histoire à long terme de la vie (= macroévolution). Des éléments tels que les extinctions massives, la stase, la spéciation allopatrique, les contraintes, etc. L'évolutivité a été activement débattue pendant un demi-siècle et elle est bien couverte dans la plupart des manuels. (Voir Futuyma, 2e édition, p. 599). L'évolutivité n'est pas une idée nouvelle qui va révolutionner la théorie de l'évolution. En fait, le consensus, après de nombreux débats et discussions, est que l'évolutivité échoue sur les bancs de la téléologie. La théorie ne résiste tout simplement pas à un examen approfondi.

La sélection organisationnelle pour des caractéristiques qui confèrent un succès reproductif différentiel dans le moment écologique ne peut tout simplement pas générer, de manière active ou directe, un ensemble de caractéristiques qui n'acquièrent une importance évolutive qu'en conférant une flexibilité pour des changements dans un avenir lointain. Nous ne pouvons pas nier que ces caractéristiques d'évolutivité "comptent" profondément dans l'histoire des lignées ; mais comment des avantages pour l'avenir peuvent-ils découler d'un processus causal ici et maintenant ? (Gould, 2002 p. 1274)

Il est malhonnête de laisser entendre, dans un article destiné au lecteur moyen, qu'un sujet comme l'évolutivité est récent et n'a pas été examiné en profondeur, et rejeté, dans la littérature théorique sur l'évolution. Il en va de même pour les concepts de plasticité et de construction de niche. Ce ne sont pas des concepts nouveaux. Les experts compétents en matière d'évolution - ceux qui ont lu et écrit les manuels - ont examiné ces idées et les ont rejetées en tant que facteurs majeurs de la théorie de l'évolution.

Kevin Laland peut ne pas être d'accord avec ces analyses, mais en tant que scientifique, il a l'obligation de les mentionner au moins lorsqu'il écrit des articles promouvant un changement radical de la théorie de l'évolution. Il a la responsabilité de déclarer sa partialité.

Mais je fais une supposition qui n'est peut-être pas justifiée. Peut-être ne sait-il pas que ses opinions ont déjà été débattues, discutées et, pour la plupart, rejetées. Dans ce cas, son omission n'est pas due au fait qu'il induit délibérément ses lecteurs en erreur au sujet de la controverse. Il y a une autre raison.

1. L'accent mis sur les changements héréditaires (allèles) fait partie de la définition minimale actuelle de l'évolution. Elle est très différente de la perspective du "gène égoïste" défendue par Richard Dawkins. Ceux qui ne voient pas la différence ne sont tout simplement pas attentifs.

2. Je me demande comment "l'évolution culturelle" fonctionne chez les cyanobactéries et les érables ? Les principaux participants à la réunion de la Royal Society ont un penchant extrême pour l'évolution des organismes multicellulaires complexes - essentiellement des animaux et surtout des mammifères. Cela influence grandement leur point de vue sur l'évolution. Ils ont tendance à utiliser des exemples qui ne s'appliquent qu'à l'espèce qui les intéresse comme des leviers pour faire basculer l'ensemble de la théorie de l'évolution.

King, J. L., et Jukes, T. H. (1969) Non-darwinian evolution. Science, 164:788-798. PDF (en anglais)

Auteur: Moran Laurence A.

Info: A propos de la nouvelle vision de l'évolution de Kevin Laland, 4 décembre 2016

[ tâtonnements ] [ biogénétique ] [ auto-domestication ]

 

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anthropomorphisme

Les plantes sont-elles frigides?

La plante évoque l'inertie. On dit "végéter" pour "stagner". Mais il y a quelques siècles encore, "végéter" signifiait le contraire. En latin, ce mot désigne la surabondance d'énergie qui pousse une plante à jaillir. Plus on la coupe, plus elle reverdit : la plante, c'est l'énergie sexuelle incarnée. Sur le plan étymologique en tout cas. Les termes latins dont le mot "végétal" dérive désignent à l'origine "force et croissance". Le mot silva (forêt) est attesté dès Cicéron dans le sens de "grande quantité" et d'"abondance de matière". Le mode d'être de la plante est celui d'une prolifération virtuellement infinie, en constante expansion. Quel plus beau modèle prendre pour l'humain que celui du lierre ou du lichen? A la différence des végétaux dont la vie se confond avec la croissance, la plupart des bêtes, une fois adultes atteignent leurs dimensions définitives, explique Dominique Brancher, ce qui explique peut-être pourquoi les plantes font si peur. Elles ne connaissent pas de limites. Elles ne respectent pas l'ordre. Est-ce la cause du stigmate qui les frappe en Occident ? Les plantes sont-elles victimes de spécisme, de sexisme ou de racisme?

Chercheuse à l'Université de Bâle, Dominique Brancher est l'auteure d'un livre qui entend rendre justice au règne végétal : on en a fait un règne dormant, voué à l'immobilité, à l'absence de pensée, de sentiments, de sensations... Quel dommage d'avoir ainsi perverti ce qui - à l'origine de notre culture - était considéré comme une forme de débordement vital. Trop vital. "Eclipsé par l'attention exclusive donnée au vaste débat sur la distinction entre l'animal et l'homme, [...] le végétal s'est vu relégué au rang de tiers-exclu", dit-elle, regrettant que le mot végéter soit devenu synonyme d'inertie. Mais pourquoi un tel revirement? Pour quelle raison notre culture a-t-elle ainsi châtré la plante? Dans un livre au titre explicite Quand l'esprit vient aux plantes (allusion ironique au poème de La Fontaine "Comment l'esprit vient aux filles"), Dominique Brancher retrace l'histoire de ce qu'elle désigne comme l'invention d'un sexisme anti-flore. Nous avons discriminé les végétaux comme l'ont été les femmes : en leur déniant tout désir. Comme l'ont été les "sauvages" : en leur déniant toute intelligence. Comme le sont encore les animaux : en les parquant dans des réserves. C'est pourquoi il faut lire son enquête sur la sexualité des plantes comme un révélateur de nos choix de vie.

Quand les plantes étaient humaines...

Aux origines présocratiques de notre culture, les cosmogonies imaginées par Thalès (né en 640 av. J.-C.), Héraclite (504 av. J.-C.) ou Empédocle (492 av. J.-C.) reposent sur un principe d'équation : nous sommes faits de la même matière que tout ce qui existe, fleur ou astres. Cette règle d'analogie poétique "dit la trame vitale qui tisse les êtres et confond leurs attributs et leurs formes. Les arbres "pondent" leurs fruits et les êtres humains se développent comme des plantes." Pour Empédocle, qui rédige sa théorie en vers fabuleux face au paysage volcanique de sa Sicile natale, il n'y a ni naissance ni mort. Tout chose se renouvelle sous l'effet d'une ardeur brûlante qui traverse la matière. "Toute chose pense", dit-il. Toute chose aime et hait. "Dans ses transmigrations, l'âme humaine épouse les métamorphoses de la matière car elle a "déjà été autrefois garçon et fille, buisson, oiseau ou poisson cheminant à la surface de l'eau" (Empédocle, VIII).". Dans cet univers foisonnant, les plantes ont du plaisir et souffrent comme les humains qui, eux-mêmes, viennent au monde mouillés par la rosée de leur larmes. Empédocle résume ainsi leur première apparition : "Or donc voici comment des hommes et des femmes trempés de pleurs, Feu, se séparant, fit jaillir les pousses dans la nuit" (Empédocle III, Les Origines).

Avec la "raison" vient l'inégalité

Mais cette vision-là du monde est trop poétique sans doute. Dès le 1er siècle avant J.-C., Nicolas de Damas écrit dans son ouvrage De Plantis : "Il faut rejeter ces idées grossières et nous mettre à dire la vérité". Platon (427 av. J.-C.), deux siècles avant lui, n'accorde aux plantes qu'une âme inférieure et en fait des animaux immobiles. Mais c'est Aristote (384 av. J.-C.) qui "réduit encore plus considérablement la dignité du végétal en lui laissant seulement une sorte d'âme (De Anima, A5, 411)". La classification qu'Aristote met en place devient le modèle dominant d'une pensée occidentale qui place l'homme au sommet de la hiérarchie. Dans ce nouvel ordre moral, "les plantes jouissent seulement d'une âme végétative", désormais privées d'entendement. Avec le christianisme, leur statut ne s'améliore pas, au contraire. "Selon l'agenda cloisonné de la Genèse, Dieu créa les plantes le troisième jour, les animaux le cinquième et l'homme le sixième". Dans l'échelle des êtres, le végétal est en bas. Deux attitudes prévalent à son égard. La première repousse les plantes du côté du péché. Le seconde, guère plus enviable, du côté du paradis. Dans les deux cas, la plante est vue comme une créature frigide.

La plante comme symbole du péché de gourmandise Bien qu'ils lui dénient toute capacité de percevoir et donc de jouir, les théologiens estiment en effet que la plante est gourmande. Ne passe-t-elle pas son temps à sucer la terre? Voilà pourquoi elle est au bas de cette Scala Naturae ("échelle de la nature") que de nombreux ouvrages du XVIe siècle décrivent en termes de menace : attention de ne pas tomber ! Chaque échelon figure un degré de déchéance. Quand l'homme commet le péché de luxure (sensualis), il est ravalé au rang d'animal. Quand il a trop d'appétit (vitalis), le voilà végétal. Quand il sombre dans la tristesse (acédie), il rétrograde en minéral. Le christianisme "est une religion qui déconsidère la vie organique au profit de la pensée rationnelle", rappelle Dominique Brancher. Aux yeux des chrétiens, l'homme ne peut prétendre à son statut supérieur qu'à la condition de ne rien avoir en commun avec la (vile) matière. Les bêtes qui forniquent, les rivières qui ondoient et les plantes qui têtent la glaise sans penser, avec une gloutonnerie "stupide et insensible" (Jean Pic de la Mirandole) sont des choses détestables, qui renvoient à la chute.

La plante comme symbole de l'asexualité

Mais il existe une autre attitude vis à vis des plantes : pour certains chrétiens, elles présentent cet avantage sur les animaux d'être "pures". Cela commence au XIIIe siècle, avec Innocent III : dans un texte intitulé De Contemptu mundi, le pape attribue aux plantes la "candeur de l'âme végétative". La plante n'est pas sexuée, dit-il (ignorant qu'il existe des espèces végétales où les mâles et les femelles sont distincts). "Dégagés des ardeurs charnelles qui abêtissent et abrutissent, les végétaux offrent ainsi la rédemption d'un nouvel Eden. Combien d'auteurs de la Contre-Réforme ne célèbrent-ils pas la pureté de la reproduction végétale?". Dominique Brancher cite par exemple Thomas Browne qui, dans les années 1630, déclare : "Je serais heureux, si nous pouvions procréer comme les arbres sans union et s'il existait un moyen de perpétuer le monde sans passer par le coït vulgaire et trivial. C'est l'acte le plus sot qu'un homme sage puisse commettre dans sa vie". Edifiant. La chercheuse enfonce le clou : "Aux yeux de la mystique flamande, la perfection végétale figure une complétude originelle que la Faute, en modifiant le corps physique des premiers hommes, a définitivement dérobé à l'humanité : "Au lieu d'hommes qu'ils devaient être, ils sont devenus des monstres divisés en deux sexes imparfaits, impuissants à produire leurs semblables seuls, comme se produisent les arbres et les plantes".

Savez-vous planter des choux?

Dans la tradition ouverte par Innocent III, tout un imaginaire puritain se cristallise aux XVIe et XVIe siècles autour des plantes. La botanique devient "une technique de maîtrise des instincts, explique Dominique Brancher. On en trouve les répercussions jusque chez Rousseau, "persuadé qu'à tout âge l'étude de la nature émousse le goût des amusements frivoles, prévient le tumulte des passions". "La campagne a toujours été considérée comme le séjour de l'innocence", renchérit Trembley. L'herborisation devient l'activité favorite des puritains. On associe le curé de campagne à un brave jardinier, expert en sirops pour la gorge. "La méconnaissance concertée de la sexualité des plantes, depuis Aristote jusqu'aux naturalistes de la Renaissance, entretient cette vision angélique." Heureusement, il existe à toute époque des empêcheurs de tourner en rond. Au XVIe siècle, en particulier, des voix dissidentes s'élèvent : non, la plante n'est pas sage. Nous ferions bien d'en prendre de la graine.

Auteur: Giard Agnes

Info: 4 janvier 2016

[ historique ] [ Grèce antique ]

 

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sagesse antique

De la renaissance et de la règle du silence

Hermès à son fils Tat 
Tat : Dans les discours généraux, mon père, tu as parlé par énigme sur la divinité, et tu n'as pas révélé le sens de tes paroles quand tu as dit que nul ne pouvait être sauvé sans renaître. Je m'adressai à toi en suppliant après les paroles que tu m'avais dites dans le passage de la montagne, désirant apprendre la parole de la renaissance, qui m'est plus inconnue que tout le reste, et tu m'as dit que tu me la transmettrais quand je serais devenu étranger au monde; je me préparai donc à rendre ma pensée étrangère à l'illusion du monde. Conduis-moi maintenant selon ta promesse à l'initiation dernière de la renaissance, soit par la voix, soit par un chemin caché. J'ignore, Ô Trismégiste, de quelle matière, de quelle matrice, de quelle semence l'homme est né.

Hermès : Ô mon fils, la sagesse idéale est dans le silence, et la semence est le véritable bien.

Tat : Qui la sème, père, car j'ai besoin de tout apprendre ?

Hermès : La volonté de Dieu, mon fils.

Tat : Et d'où vient l'engendré, mon père ? Etant privé de l'essence intelligible qui est en moi, autre sera le Dieu engendré, le Fils de Dieu.

Hermès : Le tout dans le tout, composé de toutes les forces.

Tat : C'est une énigme, mon père, et tu ne me parles pas comme un père parle à son fils.

Hermès : Ce genre de vérité ne s'apprend pas, mon fils, on s'en souvient quand Dieu le veut.

Tat : Tes paroles sont impossibles et arrachées par la force, mon père; je veux te répondre à mon tour. Suis-je un étranger, le fils d'une autre race ? Ne me repousse pas, mon père, je suis ton véritable fils; explique-moi le mode de la renaissance.

Hermès : Que te dirais-je, mon fils ? Je n'ai rien à te dire que ceci : une vision ineffable s'est produite en moi. Par la miséricorde de Dieu, je suis sorti de moi-même, j'ai revêtu un corps immortel, je ne suis plus le même, je suis né en intelligence. Cela ne s'apprend pas par cet élément modelé à l'aide duquel on voit, et c'est pourquoi je ne m'inquiète plus de ma première forme composée, ni si je suis coloré, tangible et mesurable. Je suis étranger à tout cela. Tu me vois avec tes yeux et tu penses à un corps et à une forme visibles, ce n'est pas avec ces yeux-là que l'on me voit maintenant, mon fils.

Tat : Tu me rends fou, tu me fais perdre la raison, mon père; je ne me vois plus moi-même maintenant.

Hermès : Puisses-tu, mon fils, sortir de toi-même sans dormir, comme on est en dormant transporté dans le rêve !

Tat : Dis-moi encore ceci : quel est le générateur de la renaissance ?

Hermès : Le Fils de Dieu, l'homme un, par la volonté de Dieu.

Tat : Maintenant, mon père, tu m'as rendu muet, je ne sais que penser, car je te vois toujours de la même grandeur et avec la même figure.

Hermès : Tu te trompes même en cela, car les choses mortelles changent d'aspect tous les jours, le temps les augmente ou les diminue, elles ne sont que mensonge.

Tat : Qu'est-ce donc qui est vrai, Ô Trismégiste ?

Hermès : Ce qui n'est pas troublé, mon fils, ce qui n'a ni limites, ni couleur, ni forme : l'immuable, le nu, le lumineux; ce qui se comprend soi-même; l'inaltérable, le bien, l'incorporel.

Tat : En vérité je perds l'esprit, mon père. Il me semblait que tu m'avais rendu sage, et cette pensée annule mes sensations.

Hermès : Il en est ainsi, mon fils; les sens perçoivent ce qui s'élève comme le feu, ce qui descend comme la terre, coule comme l'eau, souffle comme l'air; mais comment pourrais-tu saisir par les sens ce qui se conçoit seulement en puissance et en énergie. Pour comprendre la naissance en Dieu, il te faut l'intelligence seule.

Tat : J'en suis donc incapable, mon père ?

Hermès : Ne désespère pas, mon fils, ton désir s'accomplira, ta volonté aura son effet; endors les sensations corporelles, et tu naîtras en Dieu; purifie-toi des bourreaux aveugles de la matière.

Tat : J'ai donc des bourreaux en moi, mon père ?

Hermès : Ils ne sont pas en petit nombre, mon fils, ils sont redoutables et nombreux.

Tat : Je ne les connais pas, mon père ?

Hermès : Le premier est l'ignorance, le second est la tristesse, le troisième l'intempérance, Le quatrième la concupiscence, le cinquième l'injustice, le sixième l'avarice, le septième l'erreur, le huitième l'envie, le neuvième la ruse, le dixième la colère, le onzième la témérité, le douzième la méchanceté. Ils sont douze et en ont sous leurs ordres un plus grand nombre encore. Par la prison des sens, ils soumettent l'homme intérieur aux passions des sens. Ils s'éloignent peu à peu de celui que Dieu a pris en pitié, et voilà en quoi consistent le mode et la raison de la renaissance. Et maintenant, mon fils, silence et louange à Dieu, sa miséricorde ne nous abandonnera pas. Réjouis-toi maintenant, mon fils, purifié par les puissances de Dieu dans l'articulation de la parole. La connaissance de Dieu (Gnose) est entrée en nous, et aussitôt l'ignorance a disparu. La connaissance de la joie nous arrive, et devant elle, mon fils, la tristesse fuira vers ceux qui peuvent encore l'éprouver. La puissance que j'éprouve après la joie, c'est la tempérance; ö charmante vertu ! Hâtons-nous de l'accueillir, mon fils, son arrivée chasse l'intempérance. En quatrième lieu j'évoque la continence, la force opposée à la concupiscence. Ce degré, mon fils, est le siège de la justice; vois comme elle a chassé l'injustice sans combat. Nous sommes justifiés, mon fils, l'injustice est partie. J'évoque la sixième puissance, la communauté, qui vient en nous lutter contre l'avarice. Quand celle-ci est partie, j'évoque la vérité, l'erreur fuit et la réalité parait. Vois, mon fils, la plénitude de bien qui suit l'apparition de la vérité; car l'envie s'éloigne de nous, et par la vérité le bien nous arrive avec la vie et la lumière, et il ne reste plus en nous de bourreaux de ténébres, tous se retirent vaincus. Tu connais, mon fils, la voie de la régénération. Quand la décade est complètée, mon fils, la naissance idéale est accomplie, le douzième bourreau est chassé et nous naissons à la contemplation. Celui qui obtient de la miséricorde divine la naissance en Dieu, est affranchi des sensations corporelles, reconnaît les éléments divins qui le composent et jouit d'un bonheur parfait.

Tat : Fortifié par Dieu, mon père, je comtemple, non par les yeux, mais par l'énergie intellectuelle des puissances. Je suis dans le ciel, sur la terre, dans l'eau, dans l'air; je suis dans les animaux, dans les plantes, dans l'utérus, avant l'utérus, après l'utérus, partout. Mais, dites-moi encore ceci : comment les bourreaux des ténèbres, qui sont au nombre de douze, sont-ils chassés par les dix puissances ? Quel est le mode, ö Trismégiste ?

Hermès : Cette tente que nous avons traversée, mon fils, est formée par le cercle zodiacal, qui se compose de signes au nombre de douze, d'une seule nature et de toutes sortes de formes. Il existe là des couples destinés à égarer l'homme et qui se confondent dans leur action. La témérité est inséparable de la colère, elles ne peuvent être distinguées. Il est donc naturel et conforme à la droite raison qu'elles disparaissent ensemble, chassées par les dix puissances, c'est à dire par la décade; car la décade, mon fils, est génératrice de l'âme. La vie et la lumière sont unies là où nait l'unité de l'esprit. L'unité contient donc rationnellement la décade, et la décade contient l'unité.

Tat : Mon père, je vois l'univers et moi-même dans l'intelligence.

Hermès : Voilà la renaissance, mon fils, détourner sa pensée du corps aux trois dimensions, selon ce discours sur la renaissance, que j'ai commenté, afin que nous ne soyons pas des diables (ennemis) de l'univers pour la foule à qui Dieu ne veut pas le révéler.

Tat : Dis-moi, mon père, ce corps composé de puissances se décompose-t-il jamais ?

Hermès : Ne dis pas cela, mon fils, ne dis pas de choses impossibles, ce serait une erreur et une impiété de l'oeil de ton intelligence. Le corps sensible de la nature est loin de la génération essentielle. L'un est décomposable, l'autre ne l'est pas; l'un est mortel, l'autre immortel. Ignores-tu que tu es devenu Dieu et fils de l'Un ainsi que moi ? (...)

Auteur: Hermès Trismégiste

Info: Sermon secret sur la montagne (extrait)

[ religion ] [ spiritualité ] [ père-fils ] [ corps-esprit ]

 
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mondialisation

Les erreurs de l'État impérial mondial et les erreurs des autres
On m'a fait remarquer que les bizarreries de la réconciliation sans vérité que j'ai rencontrées aux Philippines eu égard à l'importance persistante de la famille Marcos, malgré le discrédit généralisé de la période où elle était aux commandes (1965-1986), n'est pas aussi étrange qu'il y paraît.
Après tout, Jeb Bush a récemment annoncé son intention de briguer la présidence des États-Unis en 2016, et George W. Bush, malgré sa présidence déplorable, est considéré comme un atout politique. Il s'active à faire campagne et à récolter des fonds en faveur de son jeune frère. Aux Philippines, contrairement aux États-Unis, il y a eu une rupture politique provoquée par le mouvement Pouvoir du peuple, qui a écarté le clan Marcos du pouvoir et a porté directement à la présidence Corey Aquino, la veuve de Benigno Aquino Jr., l'opposant à Marcos assassiné. Même aujourd'hui, ce triomphe populiste est célébré comme un jour de fierté nationale pour le pays, et Benigno Noynoy Aquino III siège au palais de Malacañang comme le président élu du pays. Pourtant, les réalités politiques aux Philippines, comme aux États-Unis, sont plus connues pour leur continuité avec un passé discrédité que pour les changements qui rejettent et surmontent ce passé.
Barack Obama agissait dans un contexte politique certes différent aux États-Unis lorsqu'il a mis de côté les allégations bien fondées de criminalité adressées à l'équipe au pouvoir pendant la présidence de Bush, affirmant prudemment que le pays devait regarder vers l'avant et non derrière lorsqu'il s'agit de la responsabilité pénale de ses anciens dirigeants politiques. Bien sûr, c'est l'opposé de ce qui a été fait avec les dirigeants allemands et japonais survivants après la Deuxième Guerre mondiale avec les procès largement acclamés de Nuremberg et de Tokyo [ainsi qu'avec Saddam Hussein et Muammar Khadafi, NdT] ; et cela ne peut pas devenir la norme aux États-Unis par rapport aux crimes des gens ordinaires, ni même à l'égard des crimes louables des lanceurs d'alerte du genre de ceux attribués à Chelsea Manning, Julian Assange et Edward Snowden. Une telle impunité sélective semble être le prix que les démocraties impériales paient pour éviter la guerre civile dans le pays, et préférable à une unité obtenue par des formes autoritaires de gouvernement.
Pour cette seule raison, l'approche moralement régressive d'Obama de la responsabilité est politiquement compréhensible et prudente. L'Amérique est polarisée, et la partie la plus frustrée et la plus en colère des citoyens embrasse la culture de l'arme à feu et reste probablement ardemment en faveur de la sorte de militarisme et de ferveur patriotique qui avait été si fortement mise en avant pendant la présidence Bush.
Des pensées dans ce sens m'ont conduit à une série de réflexions plus larges. Les erreurs que font les Philippines, certes épouvantables en termes de droits humains, sont au moins principalement confinées dans les limites territoriales du pays et font des victimes parmi leurs propres citoyens. A titre de comparaison, les erreurs de politique étrangère commises par les États-Unis font des victimes principalement chez les autres, bien qu'ils en fassent souvent payer le prix, en même temps, aux Américains les plus marginaux et les plus vulnérables. Comme société, beaucoup regrettent les effets de la guerre au Vietnam ou de la guerre d'Irak sur la sérénité et l'estime de soi de la société américaine, mais en tant qu'Américains, nous ne faisons que rarement, sinon jamais, une pause pour déplorer les immenses pertes infligées à l'expérience sociétale qu'ont vécue ceux qui vivent sur ces lointains champs de bataille de l'ambition géopolitique. Ces sociétés victimes sont les récepteurs passifs de cette expérience destructrice, et possèdent rarement la capacité ou même la volonté politique de riposter. Telle est l'asymétrie des relations impériales.
On estime qu'entre 1,6 et 3,8 millions de Vietnamiens sont morts pendant la guerre du Vietnam en comparaison des 58 000 Américains. Des proportions similaires sont présentes dans les guerres d'Afghanistan et d'Irak, même sans considérer les perturbations et les destructions endurées. En Irak, depuis 2003, on estime qu'entre 600 000 et 1 millions d'Irakiens ont été tués et que plus de 2 millions ont été déplacés dans le pays, et que 500 000 Irakiens sont encore réfugiés en raison de la guerre, tandis que les États-Unis ont perdu quelque chose comme 4 500 membres de leur personnel combattant. Les statistiques du champ de bataille ne doivent pas nous aveugler sur le caractère absolu de chaque décès du point de vue de leurs proches, mais elles révèlent une dimension centrale de la distribution des coûts humains relatifs de la guerre entre un gouvernement qui intervient et la société cible. Ce calcul de la mort au combat commence à raconter l'histoire de la dévastation d'une société étrangère : les dangers résiduels qui peuvent se matérialiser dans la mort et des blessures mutilantes longtemps après que les armes se sont tues, à cause des munitions létales non explosées qui tapissent le pays pour des générations, la contamination du sol par l'agent Orange et les ogives contenant de l'uranium appauvri, sans oublier les traumatismes et les nombreux rappels quotidiens de souvenirs de guerre sous la forme des paysages dévastés et des sites culturels détruits laissés en héritage.
Selon presque tous les points de vue éthiques, il semblerait qu'une certaine conception de la responsabilité internationale devrait restreindre l'usage de la force dans des situations autres que celles autorisées par le droit international. Mais ce n'est pas la manière dont le monde fonctionne. Les erreurs et les actes répréhensibles qui se produisent dans une guerre étrangère lointaine sont rarement reconnus, ils ne sont jamais punis et jamais aucune compensation n'est offerte. Paradoxalement, seuls les dirigeants de ces territoires sont tenus de rendre des comptes (par exemple Saddam Hussein, Slobodan Milosevic et Mouammar Kadhafi). Le gouvernement des États-Unis, et plus précisément le Pentagone, a pour principe de dire au monde qu'il ne recueille aucune donnée sur les victimes civiles associées à ses opérations militaires internationales. En partie, il y a une attitude de déni, qui minimise les épreuves infligées aux pays étrangers et, pour une autre partie, il y a le baume d'une insistance officielle sous-jacente que les États-Unis font tous les efforts possibles pour éviter les victimes civiles. Dans le contexte des attaques de drones, Washington soutient avec insistance qu'il y a peu de victimes civiles, mesurées par le nombre de décès, mais n'admet jamais qu'il y a un nombre bien plus important de civils qui vivent ensuite dans la terreur intense et permanente d'être visés ou involontairement frappés à mort par un missile errant [pas errant pour tout le monde, malheureusement, NdT].
Compte tenu des structures étatiques et impériales de l'ordre mondial, il n'est pas surprenant que si peu d'attention soit portée à ces questions. Les erreurs d'un État impérial mondial ont des répercussions matérielles bien au-delà de leurs frontières, tandis que les erreurs d'un État normal résonnent à l'intérieur du pays comme dans une chambre d'écho. Les torts de ceux qui agissent pour l'État impérial mondial sont protégés des regards par l'impunité de fait liée à leur force, tandis que les torts de ceux qui agissent pour un État normal sont de de plus en plus sujets à des procédures judiciaires internationales. Lorsque c'est arrivé après la Deuxième Guerre mondiale, cela s'est appelé justice des vainqueurs ; lorsque cela arrive aujourd'hui, en particulier avec la jurisprudence borgne de la légalité libérale, c'est expliqué en référence à la prudence et au réalisme, à la nécessité d'être pragmatique, de faire ce qu'il est possible, d'accepter les limites, d'accorder un procès équitable à ceux qui sont accusés, de dissuader certaines tendances aux dérives dangereuses.
Cela ne changera pas jusqu'à ce que l'une de ces deux choses se produise : soit la mise en place d'une instance mondiale pour interpréter et appliquer le droit pénal [ce tribunal existe, le TPI, mais les US ont obtenu une dérogation pour eux-mêmes (sic!), NdT], soit une modification considérable de la conscience politique des États impériaux mondiaux par l'internalisation d'un ethos de responsabilité envers les sociétés étrangères et leurs habitants. Cette description des progrès nécessaires du droit et de la justice devrait nous faire prendre conscience à quel point de telles attentes restent utopiques.
Actuellement, il n'y a qu'un seul et unique État impérial mondial, les États-Unis d'Amérique. Certains suggèrent que les prouesses économiques de la Chine créent un centre rival de pouvoir et d'influence, qui pourrait être reconnu comme un second État impérial mondial. Cela semble erroné. La Chine peut être plus résiliente et elle est certainement moins militariste dans sa conception de la sécurité et de la poursuite de ses intérêts, mais elle n'est pas mondiale, ni ne mène de guerres lointaines. De plus, la langue, la monnaie et la culture chinoises ne jouissent pas de la portée mondiale de l'anglais, du dollar américain et du capitalisme franchisé. Indubitablement, la Chine est actuellement l'État le plus important dans le monde, mais sa réalité est en accord avec les idées du Traité de Wesphalie relatives à la souveraineté territoriale, tandis que les États-Unis opèrent mondialement dans toutes les régions pour consolider leur statut d'unique État impérial mondial. En effet, le premier État de ce type dans l'histoire du monde.

Auteur: Falk Richard

Info: 30 mars 2015, Source zcomm.org

[ USA ] [ géopolitique ]

 

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philosophie

AP : Il y a une métaphore qui revient de manière récurrente dans votre ouvrage, qui est celle de l’ampoule et de la lumière. Cette métaphore rappelle vraiment celle de Bergson que je me permets de citer : "Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose. Ainsi la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau."*

ER : Oui, je pense que j’ai cité exactement ceci dans mon livre, ou alors, en réduisant le livre, il est possible que cette référence à Bergson ait sauté. Plusieurs métaphores sont envisageables, mais le cœur du problème est celui du cerveau conscient. Les neuroscientifiques posent (je crois) mal le problème, aussi bien du côté des athées que des spiritualistes puisque, pour faire simple, on est dans la seule alternative suivante. Soit la conscience cérébrale est matérielle et immanente : c’est le point de vue matérialiste. Soit la conscience est un phénomène transcendant et immatériel : c’est le point de vue spiritualiste. Je suis intermédiaire entre les deux. En effet, je prends d’un côté l’immanence (qui implique la possibilité d’une approche scientifique du fait mental), et de l’autre je prends le côté immatériel. J’appelais d’ailleurs à un moment ma théorie "im-im", "immatériel-immanent". Je fais de la conscience un phénomène à la fois immatériel – en un sens précis que j’indiquerai – mais néanmoins immanent. Je ne fais appel à aucune instance surnaturelle pour la conscience. Mon hypothèse "im-im" me place en position intermédiaire entre les deux extrêmes du matérialisme et du spiritualisme.

Sur le fond, l’histoire de la lampe est avant tout une manière de dénoncer certaines "bêtises" que l’on entend dans les neurosciences. Par exemple, on entend souvent que la conscience est le cerveau en marche, qu’elle est au sens de l’identité le cerveau. Changeux dit des choses de ce genre-là, et il n’est pas le seul. Je dis que c’est aussi stupide que si l’on disait que la lumière est la lampe qui la crée. Certes, je pourrais m’exprimer plus diplomatiquement…

AP : Vous développez donc le même argument que Bergson.

ER : Absolument ; mais jusqu’à un certain point seulement. C’est le même argument, à ceci près que la lampe me permet d’aller un peu plus loin. Voyons cela. La matière de la lampe n’est pas différente de la matière qu’on trouve ailleurs. Son secret ne réside pas dans une matière particulière qui serait la sienne, et qui expliquerait sa capacité à émettre de la lumière. Cette capacité est vient au contraire du fait que la lampe réalise les conditions d’émission d’actualisation d’un potentiel inhérent à toute matière, celui d’émettre de la lumière. Je comprends de même que le cerveau conscient est une structure qui réalise les conditions d’émission ou d’actualisation d’une potentialité qui (dans mon hypothèse) est latente dans la matière normale. Latente et universelle. Cette potentialité est celle de l’apparition de la conscience ou, plus généralement, du psychisme (qui englobe l’inconscient et le pré-conscient). Donc, ma métaphore suggère une certaine façon de comprendre le mystère du cerveau conscient.

AP : Oui, mais au risque d’insister sur cette métaphore, je dois dire que je ne l’ai jamais comprise, elle m’a toujours paru fonctionner à vide.

ER : Elle revient à dire qu’une corrélation n’est pas une identité.

AP : Cela, je le comprends très bien. Mais ce que je ne comprends pas, c’est la pertinence de la métaphore : Bergson et vous-même voulez montrer qu’il y a deux ordres de réalité différents : un ordre matériel et un ordre de l’esprit, sachant que l’ordre matériel donne naissance à l’ordre de l’esprit sans que ce dernier ne soit identique à l’ordre matériel. Cela, je le comprends fort bien. Chez vous, l’ampoule donne naissance à la possibilité énergétique de la lumière, mais l’ampoule n’est pas la lumière. Mais ce qui ne me convainc pas, c’est le fait que le clou et le marteau, ou l’ampoule et la lumière, appartiennent au même domaine de réalité : ils sont tous absolument matériels, si bien que cette métaphore me semble inapte à maintenir une différence quant aux ordres de réalité : la métaphore ne fonctionne que parce qu’on abolit dans les objets retenus ce qui justement pose problème, à savoir les différents ordres de réalité.

ER : Non, cette métaphore n’implique rien, dans mon esprit en tout cas, quant à l’identié – ou au contraire l’hétérogénéité – entre les ordres de réalité. D’ailleurs, je crois qu’ils dépendent en partie de nos catégories mentales, qui comportent de l’arbitraire. Si par exemple vous décrétez que la matière est la seule matière pesante, alors la lumière, qui n’est pas pesante, n’est donc pas matérielle en ce sens-là. Tout cela est arbitraire, c’est une question de définition. Vous pouvez à présent dire que la lumière est qualitativement différente de la matière, et vous avez donc une structure matérielle capable d’engendrer quelque chose de différent. Mais j’en profite pour rappeler qu’une métaphore n’est jamais exacte à 100 %. La carte, métaphore graphique du territoire, n’est pas le territoire. C’est juste une voie d’accès, une approximation de la vérité, qui permet à certains d’accéder à l’essentiel d’un message. Sans entrer dans ses détails plus ou moins subtils.

AP : Oui, je suis d’accord, mais il n’en demeure pas moins que la validité de la métaphore repose tout entière sur une pétition de principe : on prend pour acquis ce qui est très problématique, on évacue le problème, que ce soit chez Bergson ou chez vous puisqu’on crée une métaphore qui évite de penser ce problème : comment deux ordres de réalité différents peuvent être corrélés ? Le problème de Bergson est précisément de penser à la fois la solidarité de deux éléments et leur différence ontologique : mais au lieu de cela, il pose d’emblée une communauté ontologique (le clou et le manteau), et je crains que la métaphore que vous prenez pour illustrer la même idée fonctionne de la même manière ; je vous cite (p 52) : "Le cerveau sera alors conçu comme une machine à produire de la conscience, sans que cela implique la nature matérielle de cette dernière. Exactement à la manière dont une lampe, faite de matière solide et pesante, est néanmoins capable de produire de la lumière, qui est énergie pure et sans masse." On a le même problème : l’ampoule et la lumière ne sont pas strictement identiques, bien sûr, mais dans les deux cas on est dans ordre matériel, l’énergie pure est quantifiable, elle est objectivable, elle est matérielle, tout comme l’est l’ampoule. Par conséquent, on ne se demande plus comment ce qui est de deux ordres de réalité différents peut entrer en contact ou peut être corrélé, on prend au contraire la possibilité du contact comme acquise, parce qu’on écrase en fait la différence ontologique des deux éléments, alors même qu’elle devrait poser problème. Le clou et le manteau sont en contact parce qu’ils appartiennent tous les deux à la matière ; or, si la conscience est immatérielle, et le cerveau matériel, la question du contact se pose de manière très différente que dans le cas du clou et du manteau ou de l’ampoule et de la lumière.

ER : Cette métaphore est simplement une réaction par rapport à ceux qui identifient purement et simplement conscience et cerveau ; alors je leur dis que c’est comme si vous disiez que la lampe et la lumière sont la même chose. Or une telle identification est stupide, on le sait instinctivement.

AP : Oui, tout cela je le comprends ; mais je considère juste que cette métaphore n’est pas valide, précisément en raison de l’oubli de la différenciation ontologique des éléments qu’elle utilise (la lumière et l’ampoule ne sont pas ontologiquement différentes), alors même qu’elle est censée prouver la non-identité des deux termes, leur différence ontologique (la conscience est immatérielle, le cerveau est matériel). Bref, je ne vois pas bien en quoi ça réfute réellement la thèse matérialiste puisque la métaphore est obligée pour fonctionner, c’est-à-dire pour penser la corrélation, de prendre deux éléments qui appartiennent nécessairement au même ordre de réalité. Et le matérialisme ne dit rien d’autre.

ER : Ecoutez, je me permettrai modestement de dire que ça ne vaut pas la peine qu’on en fasse une telle histoire. Je rapelle deux choses cependant. D’une part, ma métaphore, contrairement je crois à celle de Bergson, invite à comprendre le cerveau (ou la "lampe à conscience") comme un outil de production d’autre chose – la conscience – SANS préjuger de l’identité ontologique, ou non, entre les deux. D’autre part, je suis un peu perplexe sur ce que vous dites sur la possibilité du contact entre matière (cérébrale, ou autre) et la conscience. Car ce contact est au coeur de mon livre, dont le but premier est précisément de proposer une solution à cette énigme. Ce n’est rien de moins que son sujet central ! Je crois pouvoir la résoudre, en m’appuyant sur la physique quantique (dépouillée des confusions et contresens qui l’entourent) et la notion de psychomatière. Tout mon livre est là… et je suppose que cela ne vous a pas échappé. En fait, je commence à douter : ai-je été suffisamment clair pour le lecteur ?

Auteur: Ransford Emmanuel

Info: Sur actu-philosophia, interview de Thibaut Gress, 7.1 2010 à propos de son livre "Les racines physiques de l’esprit ". *Henri Bergson, L’énergie spirituelle, Edition du centenaire, PUF, 1959, p. 842

[ dualité prison ] [ rationalisme impuissant ] [ limitation sémantique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel